MUTINERIE SUR FOND DE CRISE SOCIOPOLITIQUE AU BURKINA :On a des raison d’avoir peur
Le 23 janvier dernier, des tirs à l’arme automatique et à l’arme lourde ont été entendus à Ouagadougou, au camp général Baba Sy et au camp Sangoulé Lamizana. A Ouahigouya, dans le Nord du pays et à Kaya dans le Centre-Nord, les mêmes faits ont été également signalés dans des casernes. Immédiatement, la toile s’est enflammée et dame rumeur s’est emparée de la cité. Pour certains, il s’agit d’un coup d’Etat. Pour d’autres, il s’agit d’une mutinerie. Dans la foulée, le gouvernement publie un communiqué dans lequel il dément fermement les informations véhiculées sur les réseaux sociaux, tendant à faire croire à une prise de pouvoir par l’armée. Dans le même temps, le gouvernement reconnait l’effectivité de tirs dans certaines casernes et appelle les populations à rester sereines. Pour finir, il réaffirme sa confiance à l’armée qui, selon lui, demeure républicaine. Mais comment les populations peuvent-elles garder la sérénité alors que des armes lourdes sont en train de crépiter dans des casernes ? Cette question est d’autant plus fondée que le Burkina a déjà connu dans son histoire, une flopée de mutineries et les conséquences qui y sont liées.
“On peut se poser des questions sur les motivations véritables desdits « actes de mécontentement de soldats »
En 2011, par exemple, une mutinerie avait sérieusement ébranlé le régime de Blaise Compaoré. Des civils innocents, on se rappelle, en avaient payé le prix fort. Sous Roch, on ne compte plus les mutineries ou tentatives de mutineries enregistrées notamment au camp Guillaume Ouédraogo. Le gouvernement, certainement pour ne pas en rajouter à la psychose des populations, a préféré employer l’expression euphémique «d’actes de mécontentement» de soldats en lieu et place de mutinerie. La réalité est que ce sont des synonymes. Cela dit, l’on peut se poser des questions sur les motivations véritables desdits « actes de mécontentement de soldats ». A cette question, on peut se risquer à émettre des éléments possibles de réponses, puisque le gouvernement lui-même, par la voix respectivement de son porte-parole, Alkassoum Maïga et du ministre de la Défense, le général Simporé, n’a pas daigné piper mot sur les raisons qui ont conduit des soldats à poser ces « actes de mécontentement ». Le second cité, c’est-à-dire le Général Simporé, s’est contenté de dire, dans une allocution extrêmement brève, à la Radio Télévision du Burkina (RTB), que le gouvernement suivait l’évolution de la situation et cherchait à en connaître « les réelles motivations ». De toute évidence, de tels propos ne rassurent guère les populations. Au moment où nous traçons ces lignes, les Burkinabè attendent encore d’être situés sur ce qui a poussé des éléments de la grande muette à être si bruyants dans certains camps à Ouagadougou, Kaya et Ouahigouya. Pour certains Burkinabè, le mécontentement des soldats serait lié à la mauvaise gestion de la crise sécuritaire par la hiérarchie militaire et in fine par le gouvernement. Pour d’autres Burkinabè, les soldats sont mécontents de l’arrestation du lieutenant-colonel, Emmanuel Zoungrana.
Aucun pays ne peut prospérer dans la défiance permanente, l’anarchie et l’intox
En rappel, cet officier supérieur, dont on dit à tort ou à raison, qu’il est aimé des troupes et qui commandait les forces anti-terroristes dans le front Nord, vient d’être arrêté pour soupçon de coup d’Etat. Pour d’autres Burkinabè encore, c’est la libération du Général Diendéré qui serait la motivation réelle de la colère des soldats. Quelle que soit la motivation, l’on peut se permettre de dire qu’une mutinerie n’est pas une bonne chose. Car, elle renvoie du Burkina, l’image d’un pays anormal. Et l’impact sur la lutte contre le terrorisme risque d’être désastreux. Déjà, la situation est des plus préoccupantes. Il faut donc éviter de tirer sur l’ambulance. Car, personne n’y gagnerait. Mais Roch Kaboré doit impérativement prendre conscience, s’il ne l’a pas encore fait, que son armée, à l’image de son pays, va très mal. De ce point de vue, il doit travailler à réparer les torts et les manquements dont ont pu être victimes les soldats. Au delà de l’armée, il doit tout faire pour répondre, dans les meilleurs délais, aux grandes attentes de son peuple. L’une d’elles est la sécurisation du pays. Jusqu’à présent, les différents gouvernements qu’il a mis en place, n’ont pas donné satisfaction. Les statistiques sont formelles la- dessus. A cette gangrène s’ajoute une autre, celle de la corruption. Ces cancers, objectivement, ont probablement suscité d’énormes frustrations et déceptions qui peuvent faire le lit d’actes susceptibles de plonger le pays dans le chaos total. Et ce n’est pas forcément en réduisant systématiquement l’accès aux réseaux sociaux et en interdisant de manière récurrente, les marches qu’il peut faire baisser la tension. Car, ce serait casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre. C’est pourquoi il doit arrêter de s’illustrer dans les mesures liberticides même au nom de la sécurité de l’Etat. Le droit à l’information notamment, a été acquis de haute lutte au Burkina. Mais dans le même temps, les Burkinabè, quelle que soit leur obédience politique, doivent se rendre à l’évidence qu’aucun pays ne peut prospérer dans la défiance permanente, l’anarchie et l’intox. Tout cela complique davantage la quête de la réconciliation nationale dont a en urgence besoin le pays pour construire un front uni et efficace contre l’hydre terroriste. L’un dans l’autre, l’on peut dire que les Burkinabè ont des raisons d’avoir peur. Et plus Roch tardera à répondre à leurs attentes pressantes, plus leur peur ira crescendo.
« Le Pays »