NIANKORODOUGOU DANS LA LERABA : La population s’insurge contre la mesure interdisant l’orpaillage
Les habitants des villages des communes de Niankorodougou, Dakoro et Loumana se sont rassemblés à la mairie de Niankorodougou le 23 juin 2017, pour dire qu’il leur est impossible de respecter la mesure prise en 2015 par les autorités régionales visant à interdire l’orpaillage dans ces localités. D’une même voix, l’assemblée qui comptait d’autres acteurs que les orpailleurs, a également fustigé le comportement des éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) sollicités par la mine, qui, de leur point de vue, empêchent la population de vaquer à la moindre activité, même agricole. « Même en train de labourer dans ton champ, la CRS t’interpelle au motif que tu es en train de chercher de l’or », ont-ils martelé. En réaction à toutes ces exactions, la population de Niankorodougou exige le départ du commissaire de police.
Pour notre survie, nous ne sommes pas prêts à laisser tomber l’orpaillage
Le 14 septembre 2015, le gouverneur de la région des Cascades, Léontine Zagré, présidait une rencontre dans la salle de réunion de la mairie de Niankorodougou. Une rencontre qui se voulait celle de la dernière sommation pour le déguerpissement de l’ensemble des orpailleurs établis dans les différents villages des communes de Niankorodougou, de Loumana, de Dakoro et même de Konandougou à Sindou. Cet espace représentait la zone d’intervention de la société Gryphon qui avait obtenu du gouvernement burkinabè une autorisation d’exploration et de construction de sa mine d’or. Une semaine avait été donnée à tous ceux qui faisaient la recherche artisanale de l’or pour plier bagage. Ce jour, le message semblait être bien reçu des orpailleurs et engagement avait été pris de respecter la mesure. De nos jours, ce n’est plus le cas, puisque l’activité est menée par les autochtones desdits villages qui n’entendent pas y mettre fin. Ils ont pris la décision le 23 juin 2017 à Niankorodougou, dans la salle de réunion de la mairie qui a refusé du monde. Les visages étaient graves et les propos pointus et sans détour aucun. « Ceux qui étaient présents dans la salle et qui avaient donné leur aval au gouverneur le 14 septembre 2015 pour déguerpir, ne sont pas aujourd’hui représentés dans la salle », a rétorqué le porte-parole des jeunes, Moussa Ouattara, à la question de savoir pourquoi cette volte-face. Selon lui, les autorités régionales ont, à l’époque, pris la mesure de façon unilatérale et avec la complicité de certains chefs de villages qui ne voyaient que les perdièms des rencontres qui se tenaient. Premier à prendre la parole, Moussa Ouattara a souhaité dès l’entame que la rencontre se déroule dans un climat empreint de courtoisie. Il a fait savoir qu’interdire l’orpaillage à Niankorodougou revient à tuer le village. « Si vous vous mettez entre le margouillat et le mur qui lui sert de refuge, il vous grimpera dessus. C’est dire que pour notre survie, nous ne sommes pas prêts à laisser tomber l’orpaillage. C’est l’activité que nous faisons le mieux. Même l’agriculture ne nous procure pas autant de revenus que l’orpaillage », a-t-il lancé sous une salve d’applaudissements. Ceci pour dire qu’à Niankorodougou, ils ne sont pas des fonctionnaires qui touchent des salaires à la fin du mois et que leur seule source de revenus est l’orpaillage. A entendre Moussa Ouattara, c’est à Niankorodougou seulement qu’on voit l’installation d’une mine pour mettre fin à l’orpaillage. « C’est parce que chez nous on a constaté que nous respectons la loi et l’autorité qu’on veut nous marcher dessus. Sinon, partout ailleurs, sociétés minières et orpailleurs cohabitent ». Pour faire respecter cette mesure, la société en charge de la mine a fait recours à la CRS dont les éléments nous persécutent, a laissé entendre le responsable des jeunes, Moussa Ouattara. A l’entendre, c’est un projet qui a commencé il y a plus de 32 ans et aucun habitant n’a été dédommagé pour sa terre jusqu’à nos jours. Il renchérit que pour les empêcher de revendiquer, le projet change perpétuellement de propriétaire à tel point que nous ne savons plus à qui nous avons affaire. Prenant la parole à la suite du responsable des jeunes, Yacouba Ouattara déclare qu’il n’y aurait pas de problème à respecter cette mesure à Niankorodougou si elle était en vigueur sur toute l’étendue du territoire national. A l’entendre, l’orpaillage se limite à chercher l’or à la superficie, alors que les miniers ont les moyens de creuser jusqu’à 40 mètres de profondeur. Donc, conclut-il, nos activités ne se gênent pas. Mieux, elles peuvent cohabiter sans problème et les autorités doivent rappeler cela aux propriétaires de la mine, pour qu’ils les laissent eux aussi chercher leur or. Visiblement plus critique que les autres intervenants, Ardjouma Ouattara avance qu’il a fallu attendre l’après Blaise Compaoré pour vivre pareille situation et se demande comment la société minière peut dire qu’elle a acheté tout Niankorodougou. A-t-elle des documents qui le prouvent ? Si oui, qu’elle nous les montre au moins une fois en passant car jamais, le blanc ne nous a montré ses papiers.
Le commissaire de police incriminé
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette rencontre qui avait pour but de permettre à la population de dire non à l’interdiction de l’orpaillage et de réaffirmer sa détermination à poursuivre l’activité, s’est aussi transformée en un procès des éléments de la CRS qui surveillent l’étendue des villages et qui protègent les intérêts de la société minière en interdisant l’orpaillage. Seydou Ouattara qui se trouvait au présidium de la rencontre, estime que le commissaire de police de Niankorodougou, qu’il tient pour responsable dans les exactions de la CRS, ne doit plus rester dans la localité. « Sur ses instructions, les éléments de la CRS saisissent nos motos et nos détecteurs d’or, dès qu’ils nous aperçoivent. Même dans la circulation et dans nos concessions, ces éléments nous poursuivent au motif que l’orpaillage est interdit et qu’ils sont là pour faire respecter cette mesure. Et pour les récupérer, la CRS nous fait payer entre 35 000 F CFA et 100 000 CFA sans le moindre reçu » martèle-il. Témoignant à ce propos, Lassina Ouattara venu du village de Logokourani raconte qu’il en a déjà fait les frais, quand il se rendait en brousse, à la recherche de son bœuf qui avait disparu la veille. « Lorsque j’ai retrouvé l’animal, j’ai garé la moto afin de le conduire à la maison. Au moment où j’arrivais à la maison, un ami m’a dit au téléphone que de passage, il a vu les éléments de la CRS à côté de ma moto. Je me suis empressé de venir, conduit cette fois par un ami. En chemin, nous les avons croisés en train de tracter ma moto. Avec l’aide des frères qui ont accouru, j’ai pu arracher ma moto et nous sommes repartis à la maison. Le lendemain, les CRS sont arrivés chez nous à bord de deux véhicules. Avec leur nombre, ils ont ramené la moto et mon détecteur d’or qui sont toujours gardés au commissariat de Niankorodougou il y a deux mois de cela ». A entendre Lassina Ouattara, même les laboureurs dans leurs champs, ne sont pas épargnés. Les enfants qui jouent aussi au ballon dans la cour de l’école sont inquiétés par la CRS qui les accusent de creuser pour chercher de l’or. Il ajoute qu’ils ont même saisi des minerais qui se trouvaient en leur possession, bien avant l’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction. La conséquence, dit-il, est que c’est avec la peur au ventre qu’ils cultivent de nos jours. Ce témoignage de Lassina Ouattara semble irriter Abou Diarra pour qui Niankorodougou est ce qu’il est aujourd’hui, grâce à l’orpaillage qu’ils ont appris à pratiquer aux côtés des allogènes venus des autres régions du Burkina Faso. « Nous n’avons aucune qualification professionnelle pour être employés dans la mine. D’ailleurs, nous n’en voulons plus. Alors, conclut-il, que la société minière montre ses limites territoriales et nous laisse faire notre orpaillage car, assurément, elle ne peut pas acheter toutes nos terres », s’est-il exprimé. Pour Issouf Ouattara qui est venu de Banfora pour la rencontre, c’est le gouvernement qui a bradé Niankorodougou en donnant l’autorisation à une société sur laquelle aucun contrôle n’est exercé. Il dit ne pas comprendre comment en 32 ans d’existence, on ne voit rien de substantiel dans le village comme ayant été réalisé par le projet. « Chaque jour on nous parle de recherche, comme si le moindre gramme d’or n’a jamais été extrait ». Terminant ses propos, il a mis en garde ceux des leurs qui jouent aux indicateurs en renseignant la police sur leurs activités d’orpaillage. Yaya Traoré, un autre orpailleur venu du village de Fouroukoura, estime également pour sa part qu’il ne faut s’en prendre qu’au gouvernement. « Le fait qu’il n’y ait pas de voleurs ni de grands coupeurs de route dans notre contrée ne semble pas plaire à notre gouvernement. C’est pourquoi il nous impose cette mesure de suspension de l’orpaillage, notre source de revenus, pour que nous nous transformions en délinquants. Ainsi, les forces de sécurité pourront nous traquer. Mais il n’en sera rien, puisque nous n’allons pas abandonner le travail ».
D’autres acteurs dans la danse
Les orpailleurs n’étaient pas seuls à la rencontre, puisque dans la salle se trouvaient des vendeuses de légumes, de fruits, des restauratrices et des commerçants qui disent être victimes de la mesure qui interdit l’orpaillage. Mariam Ouattara, commerçante de son état, déclare que depuis que la CRS a commencé ses patrouilles au compte de la société, plus rien ne marche chez les commerçants. « De nos jours, on accuse les femmes de faire la prostitution. Mais que voulez-vous ? Si leur commerce ne marche plus, elle vont se livrer à ceux qui leur proposent de l’argent ». Embouchant la même trompette, Drissa Ouattara, le président des commerçants de Niankorodougou, a fait savoir que les orpailleurs sont leurs seuls clients. La mine commande l’essentiel de ses besoins dans les grandes villes. Si les orpailleurs ne peuvent plus travailler, qui va acheter nos marchandises ?, s’interroge-t-il.
La population de Niankorodougou dit attendre que des mesures soient prises par le gouvernement pour leur permettre de poursuivre l’activité qui les nourrit depuis plusieurs années. Déjà, elle a saisi le conseil régional de ce qu’elle vit, de par la présence de la CRS.
Mamoudou TRAORE