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NIGERIA : La corruption rendra-t-elle les armes au Général Buhari ?


Il a promis de s’y attaquer avec vigueur. L’ancien général de l’armée nigériane, Muhammadu Buhari, qui vient d’être élu président du Nigeria, a fait de la lutte contre la corruption l’une de ses promesses de campagne. Tout comme la lutte contre Boko haram, cette lutte est vitale pour le Nigeria. La corruption, comme on le sait, gangrène une société. Et le Nigeria est, de l’avis de bien des observateurs, un pays croupissant sous le poids de la corruption. D’ailleurs, l’un des reproches faits à Goodluck Jonathan par les frondeurs de son parti, comme Olesegun Obassanjo, qui a déchiré sa carte de militant en public, est relatif à sa passivité vis-à-vis de ce fléau, sa connivence avec ses acteurs. Beaucoup de ces « mécontents » ont rejoint, comme on le sait, avec armes et bagages, Buhari, qui en a fait l’un de ses principaux thèmes de campagne. C’est dire à quel point la lutte contre la corruption a pesé dans l’élection de Buhari.

On peut s’inquiéter de l’impact que pourraient avoir certains de ses soutiens financiers

Mais la corruption rendra-t-elle les armes au Général Buhari ? Il faut l’espérer, mais rien n’est moins sûr. Certes, certains atouts que le bref passage de Buhari à la tête de l’Etat nigérian dans les années 1980, a laissé voir, plaident en sa faveur. Président de la junte militaire entre 1983 et 1985, il a donné à voir qu’il est un homme à poigne. Une telle fermeté ne serait pas de trop dans le combat contre ce fléau qui l’attend. En effet, une grande rigueur est un atout précieux lorsqu’il s’agit de traquer des corrupteurs et des corrompus dans un Etat. Elle est nécessaire à l’application des règles et au choix des hommes devant entourer le président. Buhari est reputé « clean », incorruptible, à l’opposé de Goodluck Jonathan dont les proches collaborateurs ont été indexés dans de nombreuses affaires du genre. Il a affiché sa détermination à faire en sorte que la corruption n’ait pas droit de cité, à l’époque. Mais, quelles que soient son intégrité et sa volonté, Buhari ne saurait à lui seul avoir raison de la corruption dans le pays. Il ne saurait non plus le faire s’il est mal accompagné, mal entouré.
Et parlant d’accompagnement, on peut justement s’inquiéter de l’impact que pourraient avoir certains de ses soutiens financiers lors de la campagne présidentielle, sur cette lutte. En effet, il est à craindre que les hommes d’affaires qui ont participé au financement de la campagne du président élu, soient un boulet à ses pieds. La corruption, en tout cas la grande, est intimement liée au milieu des affaires. Les pots-de-vin et autres pratiques contraires à l’orthodoxie financière, sont légion dans les marchés publics, dans la conclusion de bien des contrats faramineux dans nombre de pays. Le Nigeria qui n’a pas bonne presse dans le domaine de la lutte contre ce fléau, n’échappe pas à cette règle. Muhammadu Buhari saura-t-il s’émanciper de ceux qui ont grandement contribué à son élection ? Ce n’est pas impossible. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il aura besoin de s’appliquer le devoir d’ingratitude vis-à-vis de ces hommes d’affaires qui ont délié les cordons de la bourse pour contribuer à le faire roi. Cela est d’autant plus vrai que l’on sait que ces hommes d’affaires ne font généralement rien pour rien. Les financements accordés à Buhari peuvent être perçus comme un réflexe de survie des corrupteurs. C’est certainement une manière pour les hommes d’affaires de lui lier les mains, lorsque viendra l’heure de la prise de mesures contre ceux qui se seraient rendus coupables d’actes de corruption.

Buhari devrait se donner les moyens de tenir ses promesses

Dans les Etats africains, comme on le sait, l’écrasante majorité des grands opérateurs économiques, pour ne pas dire tous les opérateurs économiques, n’ont pas d’autre choix que de se montrer proches des partis au pouvoir pour leur survie. Tout comme la mafia qui finance des hommes politiques qui promettent pourtant de la combattre, une fois au pouvoir. L’objectif de ces opérateurs économiques est clair : s’attirer les bonnes grâces de la future autorité et lui ôter du même coup la rage de combattre leurs affaires louches. En d’autres termes, ils financent les campagnes électorales et en attendent beaucoup en retour. Et comme pour beaucoup de candidats « la fin justifie les moyens », bon nombre d’entre eux s’accommoderaient bien de certaines compromissions, pourvu que leur objectif soit atteint. Se faire élire par tous les moyens, peu importe le prix à payer. Cette situation remet au goût du jour le débat sur le plafonnement des dépenses et l’encadrement des sources de financement des campagnes électorales, surtout des présidentielles. Buhari qui a été élu, entre autres, pour lutter contre le fléau de la corruption, devrait se donner les moyens de tenir ses promesses et d’assurer sa part de travail contre ce fléau. Il serait alors bien inspiré de ne pas se laisser handicaper par des calculs politiciens personnels ou de calculs de ses proches. Buhari peut réussir ce combat au prix de certains sacrifices. En voici la recette : d’abord il ne devrait pas craindre d’être impopulaire. Surtout auprès des hommes d’affaires. Cela lui permettrait de taper là où cela est nécessaire, avec toute la fermeté requise. Et puis, à 72 ans, il devrait se contenter d’un seul mandat à la tête de l’Etat nigérian. Un tel choix lui donnerait les coudées franches pour agir, en ce sens que n’ayant pas besoin de briguer un second mandat présidentiel, il n’aurait plus l’obligation de conserver certains soutiens, de faire de sa popularité dans les milieux d’affaires un souci permanent. Il s’éviterait la crainte d’être impopulaire, tout chose qui freine l’action de tout candidat à un scrutin à venir. Cette crainte d’être victime du mécontentement des soutiens qui attendent forcément qu’il leur soit retourné l’ascenseur. A Buhari de se donner les moyens de tenir ses promesses. Ses concitoyens l’attendent à présent au pied du mur, là où on voit généralement le vrai maçon.

« Le Pays »


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