HomeA la uneNON-RESPECT DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL AU TCHAD SUITE A LA MORT DE IDRISS DEBY  

NON-RESPECT DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL AU TCHAD SUITE A LA MORT DE IDRISS DEBY  


Tué dans des combats contre des rebelles au lendemain de sa réélection à un sixième mandat, le président tchadien, Idriss Deby Itno, sera conduit à sa dernière demeure le vendredi 23 avril 2021. Plusieurs chefs d’Etat dont le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré et le président français, Emmanuel Macron, sont attendus à ses obsèques.  Mais avant, il s’est engagé comme une lutte de succession qui a vu un Conseil militaire de transition (CMT) sorti de nulle part, prendre le contrôle de la situation en portant Déby fils au pouvoir, au détriment du président de l’Assemblée nationale constitutionnellement fondé à diriger la Transition devant conduire à des élections dans les plus brefs délais. Une situation différemment appréciée et qui n’a pas manqué de faire réagir à travers le monde. C’est ainsi que les Etats-Unis d’Amérique, tout en présentant leurs condoléances, encouragent les Tchadiens à mener la Transition suivant les règles constitutionnelles.

 

Tant qu’en Afrique, l’armée ne se mettra pas résolument au service de la démocratie, cette dernière aura du mal à s’enraciner sur le continent

 

La France dont l’influence dans le pays en particulier et en Afrique francophone en général, n’est plus à démontrer,  dit « prendre acte » tout en souhaitant une Transition pacifique et très limitée dans le temps. Un jeu de prudence et d’équilibrisme qui  pourrait s’expliquer par les enjeux sécuritaires dans la sous-région, et qui pourrait traduire la volonté de Paris de s’appuyer sur le cercle restreint des proches du défunt président pour essayer de maintenir le cap dans la lutte contre le terrorisme, en attendant de voir plus clair.  Au plan interne, les Tchadiens eux-mêmes sont divisés sur la question. En effet, pendant que le parti au pouvoir semble s’accommoder des militaires en justifiant leur action par la nécessité de défendre l’intégrité du territoire et stabiliser d’abord et avant tout le pays face à la menace sécuritaire, des organisations de la société civile et formations politiques de l’opposition dénoncent cette « confiscation du pouvoir » par les hommes en kaki, et appellent au respect du processus de transition.  Quant aux rebelles du Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) contre qui se battait Idriss Deby, ils disent ne pas reconnaître le Conseil militaire de transition. Au contraire, ils affirment qu’ils verraient d’un bon œil une transition civile suivant l’ordre constitutionnel, quitte à l’équipe de transition d’ouvrir un dialogue inclusif pour jeter les bases d’un Tchad nouveau.  La question que l’on se pose est de savoir pourquoi tous ces tiraillements alors que la Loi fondamentale a déjà balisé le terrain.  A quoi servent finalement les Constitutions en Afrique, si à la moindre occasion, elles sont balayées du revers de la main pour servir des intérêts partisans ? C’est dire que tant qu’en Afrique, l’armée ne se mettra pas résolument au service de la démocratie, cette dernière aura du mal à s’enraciner sur le continent. De même, tant que les militaires ne comprendront pas que leur place se trouve dans les casernes, on assistera au même jeu de yoyo avec les Constitutions.

 

Avec cette mort brusque et brutale du maréchal Déby, le Tchad se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins

 

Mais à force de jouer les mauvais rôles, la Grande muette qui devait être le rempart de la démocratie, n’est pas loin d’en être le principal ennemi si elle doit continuer d’être au cœur des intrigues de palais. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent. En effet, on se souvient encore des conditions dans lesquelles le président togolais, Faure Gnassingbé, a été installé dans le fauteuil présidentiel de son défunt père, Gnassingbé Eyadema en 2005, au détriment du dauphin constitutionnel qu’était le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Ouattara Natchaba. On se rappelle aussi le Gabon où, de ministre de la Défense, Ali Bongo a coiffé au poteau l’intérimaire constitutionnelle qu’était la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé, dans la succession de son défunt père Omar Bongo en 2009.  Et que dire de la République démocratique du Congo où de numéro 2 de l’armée à l’époque, Joseph Kabila a été propulsé au sommet de l’Etat après la mort de son père, Laurent Désiré Kabila, mystérieusement  assassiné dans son palais en 2001, alors qu’il n’en était pas le  successeur constitutionnel ? Aujourd’hui, c’est Mahamat Idriss Deby Itno qui est bombardé chef de la transition militaire tchadienne dans la perspective d’une succession dynastique comme il en a été au Togo et au Gabon. Autant de raccourcis et d’entorses à la loi fondamentale qui n’auraient pas  été possibles sans la volonté ou l’onction de la Grande muette. C’est à se demander si au lieu de contribuer à protéger et à renforcer la démocratie dans le rôle de veille qui est le leur, les militaires africains ne cherchent pas eux-mêmes à être sous les feux des projecteurs. Comme si après avoir troqué la Jeep et le Velera contre des V8 de dernière génération, il leur en fallait plus pour mieux s’affirmer. Pauvre Afrique ! En tout état de cause, avec cette mort brusque et brutale du maréchal Déby, le Tchad se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Et le réflexe d’accaparement du pouvoir par la junte militaire en violation de la Constitution, vient une fois de plus rappeler qu’en plus d’être un système politique, la démocratie est d’abord et avant tout un état d’esprit.  Mais il faut croire qu’en la matière, l’Afrique a encore du chemin à parcourir.  Les mentalités doivent encore évoluer.

 

« Le Pays »

 


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