LA NOUVELLE DU VENDREDI : Chassez le naturel…
Enfant, j’étais à l’école primaire dans les années 80. Les dames de la nouvelle et haute société africaine au contact de l’Occident découvraient le biberon c’est-à-dire l’allaitement artificiel et son prestige. Seuls les nantis pouvaient se permettre ce luxe. Presque toutes les femmes d’un niveau élevé lisant parfaitement le vocabulaire de la mode du savoir-vivre, ne juraient que par le biberon.
L’image de la femme donnant le sein avec amour à son enfant dans l’intimité ou en public de la vieille école de nos ancêtres, était devenue une tare. Et presqu’une insulte à la dignité de la femme moderne, instruite et souscrite au collège de l’émancipation.
Pendant que dans nos modestes familles, avec nos yeux d’enfants nous regardions le biberon comme un privilège, une pratique bourgeoise et inaccessible, un bouleversement magique, un réveil s’opéra dans l’œil de la société africaine.
Campagnes publicitaires, sensibilisations, meetings, conférences, émissions… tout le gratin du monde médical, les responsables de l’éducation, les leaders politiques et religieux montèrent au créneau. Avec un slogan unique et sans équivoque.
- Aucune alimentation artificielle ne remplace le lait maternel et ses vertus. L’allaitement à la bonne école de nos grand-mères. Donnez le sein à son enfant est un geste d’amour…
Les slogans pleuvaient. Le singe évolué et moderne grimpant sur la cime des arbres, retournait sur ses pas. La queue entre les jambes. Honteux et confus, l’Homme moderne s’était trompé. L’allaitement maternel est le meilleur pour l’enfant. Sans doute et certain !
Heureusement d’ailleurs. Tous reconnaissaient l’égarement sur le chemin du modernisme et du copier-coller sans vigilance. L’Homme moderne accepta son erreur et retourna sur le pas des aïeux.
Chassez le naturel, il revient au galop ! Disait le sage de la savane de Dunia.
Gamin, à l’école, nous étions complexés de mentionner devant les autres enfants de parents avec des métiers nobles comme agents de bureau, commerçants, chauffeurs et autres, l’occupation très dégradante des nôtres : agriculteur.
Un jour, le maître nous parla alors de ces pays occidentaux où le cultivateur est une personnalité. Incroyable !
- Dans ces pays dont je vous parle, nous disait-il, n’est pas cultivateur qui le veut. Il faut posséder des terres. Mais, c’est le contraire ici. Là-bas, ce ne sont pas des cultivateurs à la daba et aux semences dans une calebasse. Là-bas, tout est industrialisé. La machine remplace efficacement l’Homme. Les semences génétiquement modifiées et chimiquement traitées ont une large victoire sur l’insuffisance alimentaire. Deux cultivateurs de là-bas en une seule récolte nourrissent en 10 ans toute notre population.
Nos yeux de gosses grandement ouverts, rêvaient de cette agriculture. Un jour, le directeur de l’école après un séjour en Occident, nous parla et nous montra des boîtes de conserves. Il disait :
- Ici, vous avez le temps de préparer au petit feu matin-midi-soir, du haricot, du riz, du tô et autres repas. Là-bas on n’a pas le temps. Tout est préparé et vendu dans les boutiques comme cette boîte de haricot déjà préparé. Au besoin, on l’ouvre et hop !
Séduit, le directeur nous parla des plats en conserve. Il nous parla de poulets et de dindons à 30 jours de naissance. Le directeur nous parla aussi de vaches qui sans avoir mis bas disposent de lait coulant sans interruption suite à des branchements électriques. C’était beau et féerique. On se demandait :
- A quand le comprimé miracle de l’Occident pour lutter contre la faim, la grave maladie incurable du tiers monde ? La vraie maladie de L’Afrique.
On en rêvait, car c’était la solution miracle pour l’Afrique avec ses sécheresses à répétition, ses famines qui se succèdent, ses guerres fratricides sans trêve.
Le comprimé contre la faim. C’était cela la solution. Gamin, j’en rêvais!
Mais, un beau matin. Cataclysme !
On accusa, on cria au scandale, on indexa la perversité de la chimie, ses conséquences, son inconvénient souvent fatal dans l’assiette de l’Homme.
On regretta, on loua, on encouragea la consommation du poulet des champs de nos grands-pères à celui des boîtes de conserve. On préféra pour une bonne santé, le haricot de grand-mère à celui des conserves. L’Homme moderne parla de produits bios. Bio pour sauver l’Homme et sa planète. Et Bio, devint une marque, un fonds de commerce.
Au lieu de dire simplement la patate, le manioc, l’arachide, le maïs produit à la manière des ancêtres, il y a des millions voire des milliards d’années.
Chassez le naturel
Depuis, chaque fois que j’observe une nouvelle innovation technologique, découverte ou une nouvelle pratique pour faciliter la vie de l’Homme sur terre, je ne peux m’empêcher de répéter cette phrase :
- Chassez le naturel… il revient souvent au galop !
Ousseni Nikiema, [email protected] 70-13-25-96