LA NOUVELLE DU VENDREDI : La colère est mauvaise conseillère
« Même passagère, la colère est mauvaise conseillère », avertissait un sage.
C’est l’histoire d’une petite rue de quartier. Une petite rue ordinaire dans un quartier ordinaire du pays des Hommes intègres. Dans cette petite rue ordinaire de quartier, se trouve un petit cabaret. Un lieu de buverie avec ses habitués, ses habitudes, son cortège d’illusions pour les abonnés de la calebasse et ses nuisances et désagréments pour ceux qui se tiennent loin de l’alcool.
Mais, c’est aussi cela la philosophie du bien vivre communautaire. La tolérance avec l’acceptation de l’autre, avec ses qualités et ses faiblesses.
Le vieux Noufou a 63 ans. Il habite juste à coté de cet endroit. Ouvrier, il vient de bénéficier de sa retraite. C’est en allant ou en rentrant de travail que le vieux Noufou regardait le cabaret. De près ou de loin il n’a jamais eu de contact avec ce lieu de buverie. Croyant pratiquant sa religion avec mesure et modestie, ce n’est ni par rigueur religieuse ni par radicalisme quelconque, mais pour le vieux Noufou, depuis son enfance, l’alcool est ce qu’il est. Et il s’en est toujours tenu très loin. Gardant ses distances par principe.
Depuis sa retraite, les séances de prières, les visites de parents et amis rythment son quotidien. L’après-midi, c’est souvent sur son fauteuil à l’ombre du mur devant la rue qu’il écoute sa radio. Qu’il écoute le monde en saluant amicalement les passants et discutant de temps en temps avec un voisin.
C’est la vie, et à chaque âge ses contraintes.
Un soir, assis à côté de son mur, le vieux Noufou vit un pensionnaire du cabaret avancer. Un homme sous l’effet du dolo peinant à se tenir sur ses jambes. L’homme, après quelques calebasses, venait se soulager dans le fossé à cinq ou six mètres du retraité.
Le vieux Noufou est un homme de nature calme et posé. Il tenta de raisonner le buveur.
– Cher ami, je crois que le cabaret a un lieu pour se soulager.
– Je m’en fou ! c’est là que je veux me soulager. C’est ainsi que réagit l’homme sous l’effet de l’alcool. Libérant abondamment par des jets d’urine sa vessie trop pleine dans le fossé.
Le vieux Noufou comprit vite qu’il avait affaire à un homme sous l’effet de la boisson. Provocateur et violent. Le retraité le laissa faire. L’homme du cabaret se soulagea, insulta et repartit tranquillement pour d’autres calebassées. Il revint une deuxième fois dans la même soirée et une troisième fois.
« Il y a des gens qui ne cherchent que des problèmes », pensa le vieux.
Et depuis, pendant des mois, ce fut une sorte de rituel pour notre buveur. Malgré l’intervention du voisinage, des jeunes du quartier et des enfants du retraité qui voulaient en découdre avec lui. Le buveur intraitable venait au cabaret, buvait et venait se soulager dans le fossé derrière le mur du vieux Noufou. Le vieux raisonna son monde.
Laissez-le faire ! un jour il se lassera.
C’était sans connaître le démon de l’alcool. L’alcool quand il s’invite dans l’esprit.
Un après-midi, le vieux Noufou écoutait tranquillement sa radio lorsque le provocateur pour la énième fois revint. Cette fois, notre paisible retraité en avait vraiment marre.
Il se leva et dit au buveur.
Cher ami, je crois que…
Allez vous faire foutre ! Rétorqua l’alcoolique qui tenta de gifler le retraité.
On ne sut jamais ce qui se passa vraiment, mais il y eut une petite altercation entre le vieux Noufou et le provocateur qui se tenait à peine sur ses jambes. L’homme du cabaret, l’homme à la vessie toujours pleine et provocateur, se retrouva dans le fossé. La tête la première. Et, quand il y a mort d’homme dans une affaire, raison ou pas raison il faut une procédure.
Une chute fatale pour l’organisme du buveur déjà éprouvé par l’effet dévastateur de l’alcool. Inculpé pour homicide involontaire ou volontaire selon les experts du domaine, le vieux retraité pour cette colère passagère passa des jours très difficiles. La vérité du commissariat par des constats, des dépositions, des interrogations pour la manifestation de la vérité. Car, une vie est une vie. La vérité des maisons d’arrêts, des lieux de méditation pour les uns, des sanctuaires de durcissement dans leur vice pour certains. Car, une vie est une vie.
L’émotion des tribunaux, des cris, des protestations sincères ou hypocrites. Des vérités qui se transforment en mensonge. Des mensonges qui se transforment en vérité. Car, une vie est une vie.
Le vieux Noufou le découvrit ; un autre monde au soir de sa vie. Par une légère colère. Vu son âge et les circonstances peut-être… Seulement, comme le disait le sage : « Il n’y a pas de petite colère ».
Ousséni Nikiema 70-13-25-96