LA NOUVELLE DU VENDREDI Une leçon sur l’art du récit
Au pays des Hommes intègres dans les années 1980, j’étais gamin. Dans la patrie mère du cinéma africain, aller au ciné Rialé ou au ciné Oubri au centre de la ville de Ouagadougou pour voir un film, était un luxe. Un lieu incontournable et par excellence pour la jeunesse.
Dans notre quartier, les postes téléviseurs se comptaient au bout des doigts. Pour ne pas dire presqu’inexistants. Avec souvent seulement 4 ou 5 heures de diffusion dans la soirée. Regarder un film était alors un privilège.
Pour les gamins que nous étions, aller en grande salle par regarder un film avec les aînés, était un rêve inaccessible. Cependant, nous avions notre lot de consolation. Les beaux récits de films que nous rapportaient les grands.
Parmi les aînés qui nous gratifiaient de ce plaisir immense autour du thé sous l’ombre du manguier, Gary était incontestablement le meilleur. On avait presque oublié son vrai nom et il portait admirablement ce patronyme d’une légende du cinéma américain. Lorsque le grand frère Gary se levait pour raconter un film, bon Dieu ! C’était un art.
Vous voyez les images à travers sa voix, vous voyez les traits de visage, vous sentez l’odeur du bistrot ou s’affrontent les bagarreurs, vous respirez le parfum de l’héroïne, vous entendez les rires, les coups, vous voyez le combats à travers les mouvements et les acrobaties de Gary. Lorsqu’il racontait un film le temps était suspendu, c’était merveilleux de l’écouter. Pour les enfants que nous étions, c’était un spectacle de voir le grand frère Gary dans son art du récit. A chaque fois que Gary nous annonçait son intention d’aller au cinéma le soir, nous l’attendions avec impatience le lendemain.
Un soir de week-end, un autre grand frère me prit sur son vélo et par la bonne surprise m’offrit une séance de cinéma en matinée. C’était la première fois que j’entrais dans une salle de cinéma. Une joie inexplicable de 18h à 20h. J’étais aux anges. C’était un très bon film western avec de belles bagarres, des coups de feu, des Indiens et tout le décor qui va admirablement avec.
En sortant de la salle de cinéma, nous rencontrions le frère Gary. Il venait lui aussi de voir le film. Cette fois, je me dis que je n’aurai pas besoin de son récit le lendemain.
Lorsque le lendemain le grand frère Gary se mit à raconter le film western que j’avais vu la veille, je me surpris à l’écouter plus que d’ordinaire. J’étais le plus attentif, le plus accroché au récit. En racontant le film que j’avais pourtant vu, Gary avec un incroyable talent me faisait revoir le film. Et même en mieux, en plus beau. J’avais l’impression qu’il me rappelait des détails les plus meilleurs que je n’avais pas bien vus.
Un camarade surpris me demanda :
- Mais je croyais que tu a regardé le film hier.
- Oui, mais c’est encore meilleur de l’écouter avec le grand frère Gary.
J’étais enfant, ensuite les études, les métiers, les aventures, les aléas et les pas de la vie nous ont éloignés des uns des autres. Je ne sais pas ce que Gary et certains sont devenus. Mais enfant, sans le savoir, le grand frère Gary nous donnait une belle léçon sur l’art du récit.
Ousséni NIKIEMA
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