HomeOmbre et lumièreNOUVELLES PEINES D’AMENDES POUR DIFFAMATION EN MATIERE DE PRESSE : Attention à ne pas retirer de la main gauche ce qu’on veut donner de la main droite

NOUVELLES PEINES D’AMENDES POUR DIFFAMATION EN MATIERE DE PRESSE : Attention à ne pas retirer de la main gauche ce qu’on veut donner de la main droite


Voilà qui provoquera des grincements de dents dans le monde des médias burkinabè ! Le Conseil national de la Transition (CNT), dirigé par un des leurs, SY Chérif, a entre ses mains un projet de loi portant dépénalisation des délits de presse. Dans mes recherches, j’ai trouvé qu’en droit, la dépénalisation signifie « soustraction légale à la répression pénale ». Qu’est-ce à dire ? Que les journalistes de mon pays voudraient se couvrir du manteau de l’impunité ? En tout cas, la problématique de la dépénalisation des délits de presse n’est pas aussi simple que cela. De mémoire de Fou, je sais que cela fait plusieurs années que les professionnels des médias se battent pour ne pas se retrouver derrière les barreaux, pour avoir pris leur plume. Il reste à savoir s’ils le font toujours dans l’intention de construire ! Car, ma foi, je dois avouer que certains gratte-papiers déraillent ! Et s’il y a bien des infractions en matière de presse, cela s’explique en partie par le fait que certains journalistes sont arrivés dans le métier par effraction. Même si je reconnais qu’à force de forger, certains sont devenus de très bons forgerons. C’est dire si le problème de la formation peut avoir poussé ceux qui ont plaidé pour le relèvement du quantum, à vouloir se prémunir contre les dérapages. Une dépénalisation des délits de presse sans la contrepartie de sanctions pécuniaires fortes, passerait ainsi à leurs yeux, comme une prime à l’impunité. Et à ce propos, je me souviens d’un débat que j’ai suivi au Sénégal, au cours duquel le président sénégalais, Macky Sall, a dit être d’accord pour « la dépénalisation des délits de presse, certes. Mais il faut une contrepartie civile du journaliste ». Ajoutant que «si le journaliste commet un délit, une diffamation, il doit répondre de ses actes ». Bien sûr, il rend d’énormes services à son pays par le caractère spécifique de son métier. On ne peut pas lui dénier le fait, pour autant qu’il mesure bien son rôle d’être notamment un éveilleur de consciences, de participer à sa façon à la construction de la démocratie dans son pays. Mais, avant tout, un journaliste est un justiciable comme tout citoyen ; il n’est pas au-dessus des lois de la République. Il ne serait pas juste que des gens utilisent leur plume, leur appareil photo, leur caméra pour salir la réputation d’autres personnes, encore qu’eux-mêmes ne sont pas toujours des parangons de vertu. Sous cet angle, je ne pense pas qu’il faille donner un blanc-seing aux journalistes. Et je comprends donc que certains soient réservés sur la question de la dépénalisation.

Le législateur et le juge doivent éviter de tomber dans le piège des prédateurs des médias

Qu’à cela ne tienne, il la faut absolument. D’autant que la liberté de la presse est l’essence même de la démocratie et participe grandement à la construction d’une nation. Du reste, ce n’est pas un hasard si aux Etats-Unis, pays dont la démocratie est la plus achevée dans le monde, la liberté d’expression et de presse a fait l’objet du premier amendement de la Constitution. Ils ne transigent pas avec cela.

Pour ceux qui ne le savent pas, ce premier amendement stipule : « le Congrès ne fera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis ». Pour revenir au Burkina, la peine privative de liberté pour les journalistes dans l’exercice de leur métier, est donc en bonne voie d’être supprimée. Et je m’en réjouis.

Alléluia, le journaliste ne croupira plus en prison du fait de ses opinions et je dirais même pour des salades qu’il aura à servir à ses lecteurs. Mais cela aura un prix ; s’il est en faute, en lieu et place de la prison, il paiera une amende allant de 10 à 15 millions de F CFA si le projet de loi est adopté. Est-ce trop lui demander ? En tout cas, j’ai entendu, dans le milieu,  certaines voix murmurer que dans ce cas, mieux vaut pour elles, aller en prison ! Tant l’augmentation du quantum pourrait conduire à la fermeture de leur entreprise. J’en viens donc à me demander si on ne veut pas retirer de la main gauche, ce qu’on veut donner de la main droite. Même si je reconnais, avec Me Halidou Ouédraogo, que « l’Etat a voulu amener les journalistes à se responsabiliser davantage ». Il n’empêche que je pense, comme lui, que « l’amende peut diminuer ». Qu’on me comprenne bien, je n’ai pas l’intention de défendre la médiocrité, ni les dérapages et autres travers qui n’honorent franchement pas la profession. Mais je pense que ce ne serait pas une mauvaise chose de chercher le juste milieu ; de trouver un équilibre entre le désir du citoyen de se prémunir contre tout excès des médias et celui de permettre aux journalistes d’avoir suffisamment les coudées franches pour bien exercer leur métier. Autrement, on s’acheminerait vers l’affaiblissement de la profession qui souffre déjà de sa faiblesse économique. On peut être en tout cas sûr d’une chose : si cette loi était adoptée dans sa forme actuelle, des gens en feraient leur miel, même dans des situations où l’on sentirait manifestement la bonne foi du journaliste. Car, c’est connu, à Ouagadougou, il y a toutes sortes de gens parmi lesquels ceux qui dorment avec des calculs, des plans avec pour objectif ultime de se faire des sous à tous les coups. Et l’entreprise de presse pourrait être dans leur viseur. Ce faisant, je comprends Me Halidou Ouédraogo quand il exhorte les journalistes à faire plus attention.

Certes, ceux-ci doivent mesurer leur responsabilité sociale. Mais le législateur et le juge doivent, à mon humble avis, éviter de tomber dans le piège de ces prédateurs animés de toutes les intentions possibles vis-à-vis des médias : il y a ceux qui rêvent de les savoir moins gênants parce qu’ils auraient eux-mêmes des choses à se reprocher, et ceux qui pensent déjà à tondre la laine sur le dos de la presse à la faveur de cette nouvelle loi, si elle venait à être adoptée dans sa formule actuelle.

Le Fou


Comments
  • A qui profite réellement ce baillonnement de la presse et des médias en Afrique francophone? Hier, au Cameroun, Afrique Media a fait l’objet de suspension pour non respect de l’éthique et de la déontologie, ici on parle de nouvelles peines d’amendes pour diffamation en matiére de presse. Est-ce une campagne ourdie et orchestrée par des hommes de l’ombre qui veulent museler la presse et l’opinion africaines de ne plus dénoncer les dérives pour lesquelles leurs responsabilités sont engagées? A quoi servira dont le droit á l’information? La privation de liberté pour diffamation n’est-elle pas suffisante , pourquoi vouloir nécessairement l’accoupler d’amende qui risquerait d’être interprêtée d’une double peine pour une seule faute commise? Devrions-nous tout copier de l’Occident et quand appliquerions-nous notre propre vision en la matiére?

    6 septembre 2015

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