HomeA la uneORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE : Michaëlle Jean doit travailler à remplacer Abdou Diouf

ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE : Michaëlle Jean doit travailler à remplacer Abdou Diouf


Elle a le triomphe modeste. Michaëlle Jean, nouvellement désignée Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a estimé qu’elle ne pouvait pas remplacer son prédécesseur, Abdou Diouf, tant le Sénégalais aura beaucoup fait dans sa mission à la tête de cette organisation. Il faut vraiment espérer que ce soit juste une façon de rendre un hommage appuyé au désormais ex-Secrétaire général de l’OIF pour son œuvre. Car, Michaëlle Jean ne devra pas se contenter de succéder à Abdou Diouf. Elle devra travailler à le remplacer de façon effective, à faire plus et mieux que lui. Se contenter de faire comme Diouf ne permettra pas à la Francophonie d’obtenir de meilleurs résultats. Ne dit-on pas d’ailleurs que « qui n’avance pas recule » ? Michaëlle Jean en est certainement consciente et sait qu’elle devra améliorer bien des choses pour tendre vers la Francophonie des peuples tant espérée.

La Francophonie a besoin de prouver son importance et sa pertinence aux peuples

C’est du moins ce que laissent penser ses promesses d’une Francophonie plus anticipatrice. En effet, dans le domaine de la prévention des conflits et de la préservation de la paix, l’OIF a rarement été en première ligne. Il est pourtant indéniable que les objectifs de développement de ses Etats membres ne peuvent être atteints dans un environnement trouble. Mieux anticiper pour prévenir les crises, surtout politiques qui minent bon nombre de pays africains, sera un moyen pour la Francophonie de se rendre plus utile aux peuples. Face aux crises en gestation du fait de la volonté de certains chefs d’Etat de tripatouiller les lois fondamentales de leurs pays respectifs, le rôle de la nouvelle Secrétaire générale ne sera pas de tout repos. Il lui appartient de se prononcer de manière franche et sans langue de bois sur les atteintes aux principes de l’Etat de droit démocratique, de sorte à rehausser l’image de la Francophonie longtemps accusée de souper avec des tyrans africains et de caresser les dictateurs dans le sens du poil.

C’est sans doute l’une des attentes qui a pu motiver le consensus sur sa personne. La Francophonie a besoin de prouver son importance et sa pertinence aux peuples qui aspirent à la liberté et à la démocratie. Et, contrairement à un candidat comme Henri Lopès, Michaëlle Jean avait la chance et l’avantage d’être soutenue par un pays qui fait partie des plus grandes démocraties du monde et par un Premier ministre canadien sur lequel ne pèse aucun soupçon de prise en otage de la démocratie dans son pays. Le président Sassou N’Guessou qui parrainait la candidature de Henri Lopès, a, faut-il le rappeler, des velléités de modifier la Constitution de son pays pour pouvoir briguer un énième mandat. Nul doute que le soutien d’une telle personnalité n’était pas de nature à rendre service à Henri Lopès ni à la Francophnie. Surtout que l’insurrection populaire au Burkina Faso est passée par là, contraignant la France elle-même à soutenir l’alternance en Afrique et offrant une certaine liberté de ton à un François Hollande désormais débarrassé de l’équation Blaise Compaoré. Certainement que si Blaise Compaoré avait réussi son coup de modifier la Constitution burkinabè, le soutien de Sassou à Lopès n’aurait pas été pour ce dernier un si lourd handicap. Sans doute, les chefs d’Etat qui se sont réunis lors du huis clos de désignation de la Secrétaire générale, le président français en tête, n’ont-ils pas voulu prendre quelque risque que ce soit, en désignant un Henri Lopès qui serait incapable de hausser le ton face à son mentor Sassou N’Guessou, si celui-ci venait à s’entêter dans son refus de favoriser l’alternance au Congo.

Surtout que, comme on le sait, la désignation de Henri Lopès aurait été une victoire personnelle pour le président congolais qui se serait senti ainsi encouragé dans sa volonté de tripatouiller la Constitution de son pays. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Sassou N’Guessou, après cette déconvenue, a eu une réaction « primaire », s’en retournant aussitôt chez lui sans plus demander son reste. Lopès a donc eu le malheur d’avoir comme parrain un président « gondwanais » dans un contexte où les partisans de la boulimie du pouvoir sont dans une très mauvaise passe. Il aurait peut-être échoué même en dehors d’un tel contexte, mais avec ce soutien, son échec était encore plus difficile à éviter. Ce, d’autant que les chefs d’Etat africains n’ont pas été en mesure de taire leurs divergences et de présenter une candidature unique. On peut aussi trouver à redire sur le mode opératoire dans la désignation du/de la Secrétaire général (e), qui est difficilement compréhensible dans une organisation qui se veut chantre de la démocratie. L’OIF gagnerait en effet à revoir ce mode de désignation de son premier responsable, pour le rendre démocratique et éviter certaines frustrations face à ce qui s’apparente à des arrangements entre quelques chefs d’Etat influents.

Le contexte est favorable aux prises de position et aux choix audacieux

Cela dit, il convient de souligner que Michaëlle Jean n’a pas été un choix par défaut. Bien au contraire. Ancienne Gouverneure du Canada et issue de la diversité culturelle, elle a le profil de l’emploi. Elle part du reste sur de bons auspices, en ce sens qu’elle a le soutien de la France en plus de celui de son pays, le Canada, qui n’est pas un simple faire-valoir au sein de l’OIF, à l’opposé de bien d’autres Etats. En effet, le pays de Stephen Harper a des capacités énormes de financement. Il est l’un des plus grands contributeurs au budget de l’OIF, donc l’un des poids lourds de la Francophonie. Ces soutiens seront plus que nécessaires à la nouvelle Secrétaire générale qui va devoir certainement faire avec les mesquineries et autres ressentiments des chefs d’Etat dont les candidats n’ont pas eu la chance d’être désignés. Première femme à accéder à ce poste, elle devra se montrer à la hauteur du défi. Il lui appartiendra de savoir s’entourer des compétences qu’il lui faut pour réussir sa mission. On peut s’attendre à ce qu’elle apporte une touche anglo-saxonne salutaire à l’OIF, en faisant moins de place à la lourde bureaucratie du modèle français et en tablant sur le pragmatisme anglo-saxon.

On est d’autant plus fondé à espérer que cette dame saura bien tenir la barque quand on considère son attachement à la liberté. Cela est important pour faire bouger l’OIF dans le bon sens. Michaëlle Jean ne devra pas craindre de froisser les susceptibilités de quelque dictateur que ce soit. Pour ce faire, elle devra chausser les bottes de certaines personnalités comme Alpha Omar Konaré qui, alors président de la Commission de l’Union africaine, n’hésitait pas à monter au créneau pour dénoncer les travers et autres turpitudes de bien des princes africains, en termes de démocratie notamment. Surtout qu’elle arrive à un moment où les peuples ont compris qu’ils sont forts et seuls maîtres de leur propre destin, et où la peur est désormais du côté de ceux qui bafouent les règles démocratiques. Le contexte est donc favorable aux prises de position et aux choix audacieux, courageux. A Michaëlle Jean de travailler à mériter plus la confiance des peuples que celle des chefs d’Etat.

« Le Pays »


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