HomeA la uneGIANNI PITTELLA : « L’Europe doit changer de stratégie en Afrique »

GIANNI PITTELLA : « L’Europe doit changer de stratégie en Afrique »


Depuis qu’il a assumé la présidence du Groupe des Socialistes et Démocrates européens (S&D), l’eurodéputé d’origine italienne Gianni Pitella a décidé de faire de l’Afrique « une priorité politique de notre groupe ». Avec les conservateurs du PPE, les socialistes et démocrates constituent le groupe le plus influent du Parlement européen, dont les pouvoirs se sont considérablement élargis à Bruxelles après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009. De retour d’une mission officielle en Ethiopie, le président Pittella a coordonné l’Africa Week, une initiative du groupe S&D qui a accueilli du 5 au 11 avril des experts, des députés, des entrepreneurs sociaux et des leaders de la société civile européens et surtout africains, pour débattre sur le futur du continent africain et des relations UE-Afrique.

 

Monsieur le président Pittella, vous avez récemment effectué un voyage officiel en Ethiopie pour y rencontrer les autorités éthiopiennes et des représentants de la Commission de l’Union africaine. Quel bilan faites-vous de cette mission ?

 

Selon moi, le parcours commun entre l’Europe et l’Afrique est encore très long. Si vraiment nous souhaitons résoudre les défis globaux qui associent les Africains et les Européens, ainsi que tous les citoyens du monde, il nous faut adopter et mettre réellement en œuvre un partenariat politique sur le moyen et long terme entre nos deux continents. Je ne vois pas d’alternative possible.

 

Par où faut-il commencer ?

 

Certains des problèmes que connaît actuellement l’Europe trouvent leurs origines en Afrique. Je me réfère aux guerres, à la pauvreté, à l’instabilité politique et au niveau d’insécurité très élevé qui, sévissent encore aujourd’hui sur le continent africain. Je pense que l’accentuation des inégalités sociales au cours de la dernière décennie résume bien les contrastes qui perdurent dans de nombreuses régions africaines. Malgré la très forte croissance économique, des millions d’hommes et de femmes continuent à ne pas bénéficier du « miracle africain ». Les maux ci-dessus cités alimentent le terrorisme et les migrations irrégulières qui mettent en péril la vie de milliers de citoyens africains. Si nous n’intervenons pas à travers une stratégie politique ambitieuse, nous serons toujours forcés d’affronter les problèmes dans l’urgence.

 

Concrètement, quels liens faites-vous entre les attentats de Paris ou de Bruxelles et ceux qui touchent le continent africain ?

 

Les profils des personnes qui se sont fait exploser à l’aéroport de Paris ou au Bataclan et ceux qui commettent les attentats suicides aux marchés de Maïduguri au Nigeria ou qui ont attaqué l’Université de Garissa au Kenya, diffèrent. Mais, la mort que tous ces terroristes sèment en Europe et en Afrique naît d’une même folie : tuer au nom d’une religion qui n’a rien à voir avec la violence. Les attentats qui ont touché le cœur de l’Europe et de nombreux pays africains, sont commis par une nébuleuse terroriste qui reconduit – à différentes latitudes – à l’ISIS, Al Qaïda au Maghreb islamique, Boko Haram, Al-Shabaab, etc. Tous ces groupes sèment la haine et la terreur avec la volonté de détruire des valeurs comme la paix et la démocratie qui associent les citoyens européens et africains.

 

Quelle stratégie faut-il mettre en œuvre pour faire face au terrorisme et à l’émigration irrégulière en Afrique ?

 

Il faut avant toute chose séparer les choses. En Europe, un sentiment très dangereux est en train de se propager, qui associe les terroristes aux migrants qui arrivent sur le continent européen au terme d’un périple dont nous ne mesurons pas vraiment les dangers et les souffrances psychologiques que les traversés de mers ou de déserts génèrent. De la Syrie à la Libye, en passant par l’Erythrée, la Somalie ou le Niger, des familles quittent leur famille et leur terre pour fuir la guerre, l’insécurité, les régimes oppresseurs et l’extrême pauvreté, sûrement pas pour commettre des attentats en Europe. Il est tout aussi important de rappeler que plus de 80% de la mobilité africaine a lieu en Afrique, et les 20% restants dans le reste du monde, dont le continent européen. En même temps, il est indéniable que la très grande majorité des flux migratoires actuels proviennent de zones de conflit comme la Syrie, de zones d’instabilité politique comme la Libye ou des pays et régions de l’Afrique sub-saharienne où l’extrême pauvreté et les discriminations sont très diffuses. Le terrorisme djihadiste naît dans ces zones géographiques. Seule une coopération politique renforcée entre l’UE et l’Afrique peut nous permettre de combattre ce cancer.

 

Cela fait désormais un certain temps que l’Europe utilise, comme quasiment seul atout, le fait d’être le « premier donateur international du continent africain », alors que le dialogue politique entre l’UE et les pays africains n’a pas donné les résultats escomptés. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

 

L’aide au développement est un facteur très important dans nos relations avec l’Afrique. Le problème c’est que nous continuons à envoyer des messages erronés aux Africains à travers des politiques qui sont loin d’être cohérentes. Prenez comme exemple le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière en Afrique. Ce fonds a été adopté en novembre 2015 au cours du Sommet de La Vallette qui a réuni l’UE et un nombre important de pays africains.

 

L’Union européenne doit être un acteur majeur en Afrique, tout en évitant de faire des accords mesquins avec des dictateurs ou des leaders politiques qui répriment leurs citoyens

 

Malte, la Commission européenne et les Etats membres se sont engagés à financer des projets et des programmes avec une aide de plus de 1,8 milliard d’euros destinés à 28 pays africains pour une durée de cinq ans, comprise entre 2015 et 2020. Cette somme peut sembler colossale, mais quelques mois plus tard, l’UE a signé un accord avec la Turquie pour arrêter les flux migratoires vers l’Europe en s’engageant auprès du gouvernement turque à verser six milliards d’euros jusqu’en 2018 ! Quel message envoyons-nous à l’Afrique dans notre lutte commune contre les migrations irrégulières ? Croyez-moi, les Africains ne sont pas dupes ! Au-delà des chiffres, l’aide ne suffit pas pour établir des relations fortes avec l’Afrique, il faut un changement de paradigme qui passe par un partenariat politique permettant à l’Europe d’être un partenaire fort permettant la réalisation d’infrastructures physiques et immatérielles, de programmes ambitieux pour l’éducation, la recherche et la formation, pour favoriser l’accès de millions de femmes et de jeunes au marché du travail, pour défendre la démocratie, les droits de l’Homme et le pluralisme des médias. Bref, l’Union européenne doit être un acteur majeur en Afrique en s’associant aux forces qui se mobilisent pour le développement du continent africain et le bien-être de ses populations, tout en évitant de faire des accords mesquins avec des dictateurs ou des leaders politiques qui répriment leurs citoyens, avec l’unique but de profiter des ressources dont le continent regorge.

 

Dans la précédente législature, seul le Groupe des Libéraux prêtait une attention particulière à l’Afrique. Aujourd’hui, c’est au tour du Groupe des Socialistes et Démocrates européens dont vous êtes le président. Comment justifiez-vous votre intérêt par rapport au continent africain ?

 

J’ai décidé de faire de l’Afrique une priorité politique absolue de notre Groupe, car je suis fermement convaincu que le destin de l’Europe et celui du continent africain sont étroitement liés. Peut-être le fait que je sois italien m’a poussé à avoir une plus grande sensibilité par rapport aux problématiques africaines, mais aussi à l’opportunité que représente l’Afrique.

 

Au-delà des sentiments personnels, l’actualité géopolitique ne peut plus nous permettre d’ignorer le continent africain, auquel j’associe les Balkans, qui constituent le deuxième pilier de notre politique étrangère.

 

Je voudrais citer comme exemple la première grande bataille que nous avons menée avec mes collègues Cécile Kyenge, Marie Arena et Linda Mc Evan sur les minerais de sang en Afrique centrale. Cette bataille, qui est toujours en cours au sein des institutions européennes, nous a convaincus de la nécessité de devoir défendre les droits de millions de femmes, hommes et enfants exploités par des groupes armés criminels et des mafias sans foi ni loi, qui contrôlent des mines dans l’Est de la République démocratique du Congo où ils extraient des minerais qu’ils exportent dans le reste du monde, notamment l’Europe. Ces minerais sont donc importés par des multinationales pour produire du matériel technologique, tels les téléphones portables. Ces mobiles que chacun d’entre nous utilise pour appeler des amis, parents et collègues, ou pour surfer sur Internet, sont tachés de sang. Afin de contrer ce phénomène dévastateur, il est nécessaire de rendre obligatoire la traçabilité de l’ensemble de la chaîne de production et de commercialisation des minerais en provenance des zones de conflits comme la RDC. Le Kivu symbolise à mes yeux les violences les plus extrêmes qui sévissent dans certaines parties du continent africain et dont sont victimes des citoyens ordinaires, annihilés par une globalisation qui bien souvent, bafoue les droits des travailleurs et les droits de l’Homme.

 

Le Groupe des Socialistes et Démocrates européens ont décidé d’organiser au Parlement européen, une semaine entière dédiée à l’Afrique. Qu’est-ce qui a motivé ce choix et quel en est l’objectif ?

 

L’Africa Week n’est pas un spot publicitaire pour notre groupe politique et nous ne voulons pas planter des drapeaux africains au beau milieu du Parlement européen pour tout juste promouvoir nos députés auprès de l’opinion publique et des médias. L’Afrique doit être prise très au sérieux, et cela nécessite de notre part un engagement sincère et transparent. Cela passe par des missions sur le terrain que nous avons effectuées en RDC et tout récemment en Ethiopie, ou bien à travers un travail acharné et constant de nos membres dans les Commissions parlementaires du Parlement de l’UE comme celle du développement (DEVE), ou bien à travers l’adoption de résolutions pour dénoncer les violences dans des pays comme le Burundi ou la RDC, ou des actions sur le terrorisme qui afflige de nombreux pays africains, ou encore sur les migrations pour demander la protection des droits des migrants africains. L’Africa Week est une étape importante de notre stratégie, c’est une occasion qui nous a permis d’accueillir des leaders africains avec lesquels nous comptons établir un dialogue structurel dans un respect réciproque. C’est la seule façon qui puisse nous permettre de comprendre l’Afrique, et vice-versa.

 

De Joshua Massarenti

© Afronline/Vita (Italie) et Le Pays

 

 

 

 

 

 

 


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