HomeOmbre et lumièrePENURIE D’EAU A OUAGA : Le calvaire des femmes des quartiers périphériques

PENURIE D’EAU A OUAGA : Le calvaire des femmes des quartiers périphériques


La pénurie d’eau à Ouagadougou préoccupe énormément les populations. Dans les quartiers périphériques en particulier comme Yagma, Marcoussis, Bissighin et Rimkièta, l’eau ne coule plus assez depuis le mois d’avril dans plusieurs bornes-fontaines. Il est dur, dans ce contexte, pour les femmes de s’approvisionner au quotidien en ce liquide précieux. Elles sont d’ailleurs obligées d’organiser au quotidien des « veillées d’eau » autour des robinets dans l’espoir d’en bénéficier, mais le plus souvent, sans succès. Constats et témoignages recueillis dans 4 quartiers périphériques où nous nous sommes rendu dans la nuit jusqu’à la journée du mercredi 11 mai 2016.

 

« L’eau, c’est la vie ! Evitons le gaspillage ». Ce message vulgarisé par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) suscite aujourd’hui un intérêt particulier. L’eau ne coule plus à flots comme avant dans les robinets. Cette situation s’est aggravée depuis le mois d’avril au point d’atteindre un niveau de pénurie durement ressentie dans les quartiers périphériques de la capitale comme Marcoussis situé dans l’arrondissement 9. Dans ce quartier où nous étions dans la nuit du 11 mai aux environs de 3h du matin, il régnait un calme olympien. Difficile de croiser un noctambule dans les parages, même ceux qui se levaient tôt pour balayer leurs lieux de commerce s’étaient toujours engouffrés, à l’instar de plusieurs autres habitants, dans les bras de Morphée. L’air frais qui se faisait ressentir se prêtait favorablement à cet exercice après la forte canicule de la journée. Seul fait remarquable : les va-et-vient des femmes avec des bidons, à vélo, ou des barriques et bidons dans des charrettes, à la recherche d’eau. Pour les suivre dans les lieux d’approvisionnement collectifs appelés communément robinets ou bornes-fontaines, il faut faire preuve de courage dans cette nuit « noire » à hauts risques. Même le reporter de la nuit (auteur de ces lignes) avait la peur au ventre, s’interrogeant parfois sur son sort dans cette aventure nocturne. Les aboiements de chiens dans le silence absolu et l’obscurité totale, laissaient craindre le spectre de l’insécurité grandissante de nuit comme de jour suspendu au-dessus des têtes comme « l’épée de Damoclès ». Ce phénomène est bravé chaque jour par les femmes à la recherche d’eau. « On va faire comment ? On n’a pas le choix. Nous sommes obligées de veiller ici toutes les nuits autour des robinets pour chercher l’eau. Nous sommes ici depuis 1h du matin pour nous aligner en attendant que l’eau coule dans le robinet », a confié une d’entre elles « inscrite » sur la liste d’attente dans cette première borne-fontaine qui nous a accueilli. Plus loin à Yagma, les 3 robinets visités dans notre randonnée nocturne sont restés fermés. « Depuis le mois d’avril, l’eau ne coule plus dans aucun robinet dans cette localité », a avoué Safoura Ouédraogo, vendeuse d’eau. Conséquence, les femmes de Yagma se déplacent dans la nuit jusqu’à Marcoussis, dans le même arrondissement, et à Bissighin dans l’arrondissement 8 pour s’approvisionner en ce liquide précieux. A Bissighin où nous sommes arrivés aux environs de 7h du matin, l’eau vient au compte-gouttes dans les quelques bornes-fontaines installées. C’est le cas de ce robinet où l’affluence était perceptible, preuve de l’épreuve subie par les femmes pour se procurer « l’or bleu ». Pas besoin donc de poser trop de questions pour se convaincre de leur souffrance. Du reste, l’alignement des centaines de bidons et de barriques disposés de tous les côtés de la borne-fontaine en disait long sur le long temps que les femmes devaient passer à la borne-fontaine pour espérer bénéficier d’une petite quantité d’eau afin de sauver leur famille. Ces femmes sont obligées de patienter pendant plusieurs heures et le plus souvent, celles qui n’ont pas de chance repartent, selon la gérante de la borne-fontaine, Cécile Sawadogo, à domicile sans disposer du liquide précieux. « L’eau coule un peu plus dans la journée que la nuit. Ce matin, j’ai ouvert mon robinet à 4h du matin. Comme vous le voyez déjà, il y a  plus d’une centaine de femmes qui attendent ici l’eau », a affirmé Cécile qui vend la barrique d’eau à 60 F CFA. Elle réussit malgré la pénurie d’eau, à avoir une recette journalière conséquente de  15 000 F CFA contre 5 000 F CFA en temps normal, où l’eau coule dans les robinets (ndlr : avant le mois d’avril). Toutefois, elle ne se frotte pas les mains, loin s’en faut : « Le problème d’eau entraîne beaucoup de souffrances. Certaines femmes viennent à la borne-fontaine à 1h du matin. D’autres viennent après avoir fini de préparer leur repas du soir pour veiller et attendre l’eau dans les robinets ». C’est une situation difficile qui mérite, selon Cécile Sawadogo, de trouver des solutions appropriées. « Les autorités doivent nous aider à résoudre le problème. A cause de la pénurie d’eau, les femmes ne peuvent pas bien s’occuper de leurs maris la nuit puisqu’elles veillent auprès des robinets », a déclaré Mme Sawadogo sous des applaudissements nourris d’autres femmes regroupées autour de son robinet situé à Bissighin. En ce lieu qui constitue un point central de ravitaillement important pour les quartiers périphériques environnants, les femmes montent la garde de la « veillée d’eau » à partir de minuit. « L’eau vient souvent vers minuit et disparaît parfois vers 5h ou 6h du matin. Les femmes de Yagma, de Marcoussis et de plusieurs autres quartiers périphériques se ravitaillent ici. Elles viennent à partir de minuit et restent jusqu’au petit matin, attendant que l’eau vienne. Par jour, ce robinet peut recevoir 3 000 bidons et plus d’une centaine de barriques. Parfois, seulement 20 barriques sont ravitaillées à cause de l’aggravation de la pénurie », a témoigné Sita Ouédraogo. Celle-ci a affirmé n’être pas au courant de la distribution alternée de l’eau décidée par les autorités. « Quoi qu’il en soit, nous souffrons toujours du problème d’eau et nous ne sommes pas contentes », a martelé notre interlocutrice. Et de solliciter l’indulgence des hommes par rapport à l’absence des femmes tout le  temps qu’elles passent à chercher l’eau : « Ce n’est pas toujours facile pour un mari de supporter que sa femme dorme pratiquement tous les jours au robinet. Mais les hommes doivent être tolérants parce que l’eau, c’est la vie. Sans eau, aucune femme ne peut s’approcher de son époux, de jour comme de nuit ». Mais « si tu as une femme qui vient dormir à minuit au robinet pour attendre l’eau jusqu’à 5h du matin, tu iras au travail le matin peut-être sans la voir. Cela peut entraîner des mésententes et autres problèmes dans la vie des couples », a rétorqué Amidou Ouédraogo qui s’est brusquement invité aux échanges. Ressortissant de Saaba et résidant à Bissighin, celui-ci a expliqué les difficultés d’approvisionnement en eau par le non-achèvement des travaux de branchement de robinets dans son quartier. « On nous avait promis des branchements de robinets dans nos domiciles. Les gens en ont fait beaucoup la demande mais ils ont installé seulement les raccords, les tuyaux. Mais les robinets en question n’ont pas été fixés pour permettre l’approvisionnement d’eau dans les ménages. Ce qui fait que toutes les femmes sont obligées de se rabattre sur ce seul robinet où l’eau vient de temps en temps. Donc, nous ne pouvons pas avoir suffisamment d’eau avec l’alimentation d’un seul robinet qui fonctionne en cette période. Si 50% des habitants de Bissighin avaient bénéficié des branchements de robinets dans leurs domiciles, le problème d’eau allait moins se poser », foi d’Amidou Ouédraogo. A l’en croire, la distribution alternée de l’eau n’a pas pour le moment changé la situation difficile que vivent les résidents des quartiers périphériques. « Je suis maçon et cela fait un mois que nous avons un chantier à Rimkièta mais nous ne pouvons pas débuter les travaux à cause de la pénurie d’eau. C’est toujours la même chose qu’avant », a-t-il indiqué. Le même constat est fait par Marie Zongo, gérante d’une borne-fontaine à Marcoussis. « Le problème d’eau n’a pas changé. Je me lève tous les jours à 2h ou 3h du matin pour venir ouvrir mon robinet. Arrivée, je trouve que l’espace est envahi par de nombreuses femmes. Il n’y a pas d’eau ». De quoi susciter le mécontentement de ces femmes héroïnes qui ne cèdent pas pour autant au découragement. Elles sont plutôt armées de courage et organisent au quotidien, des « veillées d’eau » aux allures de « veillées d’armes » dans les bornes-fontaines pour la conquête de  l’eau, devenue rarissime. « Depuis le mois d’avril, nous ne pouvons pas avoir suffisamment d’eau. Parfois nous pouvons rester du matin jusqu’à 21h et repartir avec les barriques et les bidons vides », a avoué Safiatou Kaboré, vendeuse d’eau résidant dans la zone de Rimkièta sise dans l’arrondissement 3. Au moment où nous quittions les lieux à 11h en cette journée du 11 mai, les femmes se mobilisaient toujours avec des bidons et barriques dans l’espoir de pouvoir s’approvisionner en ce liquide précieux. Et impossible de savoir si elles auront au finish gain de cause.  

 

Saïdou ZOROME

(Collaborateur)

 

 


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