PLAINTE DU PARTI VERT CONTRE UN 3E MANDAT DE PAUL KAGAME : Une tempête dans un verre d’eau
Dans moins d’une semaine, le Parlement rwandais débattra d’une éventuelle modification de la Constitution, afin de permettre au président Paul Kagamé de rempiler pour un 3è mandat consécutif, à l’occasion de la présidentielle de 2017. Rappelons qu’à cet effet, une pétition signée par près de 4 millions d’électeurs potentiels a été introduite auprès des deux chambres réunies du parlement rwandais, en vue de réformer l’article 101 de la loi fondamentale qui limite à deux les mandats présidentiels, et qui, ipso facto, condamne Paul Kagamé à se retirer à l’issue de la présidentielle de 2017 dans son ranch du lac Muhazi, après avoir été porté par deux fois de suite à la tête du Rwanda post génocide, en 2003 et en 2010.
A priori, rien ne s’opposera à la volonté déjà faite de ce parlement largement dominé par les partisans de Kagamé de modifier l’article rédhibitoire, surtout qu’il s’agit de se conformer à une « demande populaire », exprimée par plus de la moitié du corps électoral pour qui, la non-candidature de leur champion en 2017 serait le prélude à une nouvelle saison de machettes. Parmi les idolâtres du guérilléro devenu président, il y en a qui menacent déjà de se suicider ou de partir en exil si Kagamé venait à larguer les amarres, et des militaires ont même prévenu qu’ils déserteraient l’armée, par dépit et par fidélité à un rêve non réalisé, celui de voir « His Excellency Paul Kagamé » occuper ad vitam aeternam, le fauteuil présidentiel.
Face à cette hystérie collective qui rappelle à bien des égards la Corée du Nord du temps de Kim Il Sung, peut-on encore trouver à l’intérieur du pays des voix discordantes pour rappeler que la démocratie ne saurait s’accommoder de l’unanimisme, du culte de la personnalité et de l’absence d’une opposition politique ? Fort heureusement oui, et le parti démocratique Vert du Rwanda de Frank Habineza en a apporté la preuve, en s’opposant au plébiscite de la loi portant « canonisation » de l’homme à la silhouette longiligne, par la saisine de la Cour suprême aux fins d’invalider le projet de révision constitutionnelle. Même si les récriminations de ce parti créé en 2009 par des anciens compagnons du président Kagamé et reconnu seulement en 2013 ne vont pas au-delà du seuil tolérable par la majorité au pouvoir, c’est une initiative quasiment suicidaire qu’il a prise, quand on sait que toute opposition au système en place a toujours été considérée comme une atteinte à la sûreté de l’Etat et réprimée comme telle. Le président du parti Vert en sait d’ailleurs bien des choses, lui dont le vice-président a été décapité en 2010, lors de la campagne électorale marquée par une série d’exécutions sommaires et une vague d’arrestations d’opposants au nombre desquels figurait Victoire Ingabire Umohoza, jugée et condamnée en appel à 15 ans d’embastillement, justement pour avoir voulu être reine à la place du roi… Ubu.
Les opposants ont de la peine à se faire entendre
Dans ce contexte de chasse ouverte à l’opposant jusque dans ses derniers retranchements même en dehors du pays, il n’est pas étonnant que le Parti Vert soit, à l’intérieur du Rwanda, le seul à donner de la voix pour s’opposer à la révision de la clause limitative des mandats présidentiels.
Les opposants les plus gênants et les plus bruyants ont d’autant plus de peine à se faire entendre que de très nombreux Rwandais sont acquis à la cause du dictateur, à cause non seulement de son bilan économique et social incontestablement positif, mais aussi de la peur du vide ou plutôt de l’inconnue dans ce pays encore hanté par le souvenir de la guerre civile et du génocide.
Pour autant, Kagamé a-t-il le droit de museler ses concitoyens et de saper les fondements de la démocratie pluraliste dont son pays a forcément besoin pour amorcer un développement humain durable ? La réponse est évidemment non, et ni les nombreuses avancées constatées au Rwanda et dont il est crédité, ni les trémolos que suscitent les souvenirs du génocide ne doivent donner un blanc-seing au « tyran au col blanc » de Kigali pour se momifier au pouvoir. Les arguties du genre « c’est Kagamé ou c’est le chaos » sont de nature à infantiliser le peuple rwandais et à mettre dans le subconscient de l’ubuesque président, que les sonnettes d’alarme tirées contre les risques d’une implosion ne proviennent que de certains oiseaux de mauvais augure qui brillent plus par la méconnaissance de la situation sociopolitique de leur pays que par l’objectivité et la clairvoyance de leurs propos.
Et comme en réponse à la déclaration du président américain Barack Obama à l’occasion de sa récente tournée au Kenya et en Ethiopie, selon laquelle « les progrès démocratiques en Afrique sont en danger quand des dirigeants refusent de quitter le pouvoir à l’issue de leur mandat », le longiligne président du Rwanda a affirmé qu’il « n’a pas la prétention de dire qui doit diriger la France ou les États-Unis ; la réciproque doit être vraie ». Voilà qui vient doucher les espoirs de tous ceux qui pensaient qu’avec l’humiliation qu’a subie l’entêté et ancien président du Burkina Faso Blaise Compaoré, Paul Kagamé allait ranger pour de bon sa funeste intention de rester perché, contre vents et marées, au sommet du pays des 1000 collines.
Hamadou GADIAGA