HomeA la unePOE NAABA, 2E VICE-PRESIDENT DU PPS  : « Nous avons désarticulé cette nation et nous avons de la peine à la reconstruire »

POE NAABA, 2E VICE-PRESIDENT DU PPS  : « Nous avons désarticulé cette nation et nous avons de la peine à la reconstruire »


Poé Naaba, Justin Compaoré à l’état civil, n’est plus à présenter à l’opinion publique burkinabè. En effet, cadre de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), il va démissionner pour créer le MODEM. Aujourd’hui, il est le 2e vice-président du Parti panafricain pour le salut (PPS). Il crachinait, le 16 juillet 2022, au moment où notre équipe de reportage a été reçue à son domicile à Ouagadougou. Dans les lignes qui suivent, le Poé répond sans détour à nos questions sur plusieurs sujets d’intérêt national.

 

« Le Pays » : Vous avez démissionné de l’UPC pour créer le MODEM avec Nathanaël Ouédraogo avant d’être membre fondateur du PPS. En l’espace de quelques années, vous avez milité dans plusieurs partis politiques. Pourquoi une telle inconstance politique si l’on peut appeler les choses de la sorte ?

 

Poé Naaba : Je pense que les acteurs politiques comme tous les autres acteurs doivent revenir à un débat sain et sincère en ce qui concerne la question du choix et de l’orientation des hommes et femmes politiques. Cela pour dire que souvent, il est très important pour nous tous qui nous prévalons de connaitre la scène politique, de nous imprégner de la vie des partis politiques en amont comme en aval. On doit savoir comment les partis politiques fonctionnent en rapport avec les textes qu’ils ont adoptés, qui doivent définir leur fonctionnement et leur organisation. Souvent, le fonctionnement des partis politiques ne correspond pas exactement à ce qui a été adopté lors de certaines instances et qui doit régir leur fonctionnement et organisation. En Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso, les partis politiques ne fonctionnent pas comme il se doit. Lorsqu’un parti politique est créé, il est au service de son président qui a le nerf de la guerre et qui définit le contenu en termes de statuts et règlement intérieur. Quand vous êtes dans un parti politique et que vous avez une voix discordante et que le chef de parti, à l’occasion de certaines instances, dit clairement que « dans un parti politique, on rentre librement et on ressort librement et que celui qui n’est pas content peut sortir et aller créer son propre parti politique », cela veut tout dire. Alors, j’insiste qu’il faut bien connaitre le fonctionnement des partis politiques pour ne pas faire de jugements hasardeux.

 

 A vous écouter, il y a de la dictature au sein des partis politiques et ce, de la part des chefs de partis !

 

Quand vous regardez ces deux dernières décennies, vous verrez que les partis politiques, à part quelques exceptions, ont toujours eu le même président. En Europe, par exemple, dans un parti politique, vous pouvez partir du bas de l’échelle vers le haut. Chez nous, généralement, il y a le risque de ne pas pouvoir gravir les échelons car tout dépend de la volonté du chef de parti. Ici, quand un chef de parti dit quelque chose, cela a force de loi.

 

Qu’est-ce qui fait la spécificité du PPS par rapport aux autres partis que vous avez connus jusque-là ?

 

Nous n’avons pas un homme qui décide de ce qu’il veut. Les grandes décisions sont prises au niveau du Conseil permanent et les membres de ce conseil ont chacun une voix. Il faut savoir qu’à tout moment, nous pouvons décider, avec nos militants et sympathisants, d’un changement de direction parce que nous n’avons pas un homme qui pense tout connaitre, qui pense tout avoir et qui a, de façon exclusive, le cordon des finances. C’est souvent à cause de l’argent qu’on est parfois obligé de ménager les chefs de partis. Au PPS, la configuration est tout autre et cela est une particularité. La deuxième particularité du PPS, c’est que nous avons une ambition panafricaniste. Nous voulons travailler à regrouper les partis politiques en Afrique, qui ont la même vision que nous.  

 

« Est-ce qu’on pouvait demander au président Roch Marc Christian Kaboré, à l’époque, de prendre les armes et d’aller au front ? Cela est le rôle des militaires »

 

D’après vous, dans quels aspects les partis politiques doivent-ils agir, dans leur fonctionnement et gouvernance, pour répondre aux attentes des populations ?

 

D’abord, il faut que nous ayons de la cohérence entre les discours que nous prononçons tous les jours et les actions que nous développons sur le terrain. La politique doit se revêtir de l’orthodoxie de la morale et de l’éthique. Ces valeurs doivent être partagées dans un parti politique. C’est la première chose que nous devons travailler à gagner si nous pensons que les partis politiques doivent être le fer de lance du développement dans une nation.

 

Après leur arrivée au pouvoir en janvier 2022, les militaires ont imputé la responsabilité de la situation chaotique dans laquelle se retrouve le Burkina, aux politiques tout particulièrement. Votre commentaire !

 

Vous me donnez déjà l’occasion de saluer les actions d’un grand homme, le président Roch Marc Christian Kaboré qui s’est vraiment investi, de façon personnelle, pour résoudre la question sécuritaire. Nous sommes dans un environnement où il y a l’influence des grands de ce monde et celle des organisations régionales et sous-régionales. Le président Roch a fait ce qu’il pouvait. Il n’a pas réussi mais cela doit être imputé à l’ensemble des Burkinabè. Je pense que militaire comme civil, chacun a eu l’occasion de donner, d’une manière ou d’une autre, son avis sur la marche de la Nation. Donc, les responsabilités sont partagées. Imputer la situation du pays aux seuls politiques, ne me parait pas juste. Nous sommes tous responsables. Je pense que pour améliorer les choses, il faut éviter de trouver des boucs-émissaires pour endosser ses actions. Il faut plutôt travailler à réunir tout le monde, donner la parole à tout le monde car c’est de nos contradictions que naissent les idées qui peuvent faire avancer le pays.

 

Pensez-vous que c’était une bonne idée de la part des militaires, d’avoir écarté les politiques dans la conduite de la transition ?

 

Je ne saurais donner une réponse définitive à cette question. En tant qu’officiers supérieurs, les militaires au pouvoir ont dû faire une analyse situationnelle avant de prendre la décision de mettre à l’écart les hommes et les femmes politiques. Et comme je ne suis pas dans le secret des dieux, j’ignore ce que les militaires se sont dit. Mais j’estime que, que ce soit les politiques, la société civile, les militaires ou paramilitaires, la Nation a besoin de tous ses fils. Les politiques ont une expérience acquise dans la gestion de la cité. Souvent, les politiques ont été à l’origine de certaines divisions mais souvent également, les Hommes politiques ont été à l’origine et à la base de la mise en place d’un certain nombre de projets et programmes qui ont permis à notre pays d’aller de l’avant. Mettre les Hommes politiques à l’écart dans la gestion de la nation, pour ma part, constitue une erreur. Je pense que ceux qui gèrent la transition sont en train d’essayer de rattraper cette erreur.

 

 

Vous étiez, ces jours-ci, auprès des PDI dans la Boucle du Mouhoun et à l’Est. D’aucuns ont vite crié au populisme. Que leur répondez-vous ?

 

J’ai dit, au départ, qu’il faut que nous puissions recadrer un certain nombre de débats. Nous devons avoir un débat sain et sincère pour pouvoir poursuivre notre mission de construire le Burkina Faso. Un message de solidarité a été lancé à toute la Nation pour venir en aide à nos compatriotes en difficulté. Des actions de solidarité ont été et sont menées par plusieurs acteurs. Je ne sais pas pour quelle raison, les acteurs politiques doivent rester en marge de cet appel à la solidarité d’autant qu’ils sont appelés à gérer le pays. Nous devons exprimer notre solidarité vis-à-vis de la population pour qui nous travaillons. Voir en des actions de solidarité, du populisme, c’est faire preuve de malhonnêteté et de manque de sincérité.

 

Malgré l’avènement du régime militaire et les promesses faites, la situation sécuritaire s’aggrave si fait que certains appellent à un départ des militaires du pouvoir. Quel commentaire pouvez-vous faire sur ce sujet ?

 

On peut comprendre les opinions qui s’expriment. Lorsque vous êtes assaillis par beaucoup de problèmes, il vous arrive souvent de ne pas bien réfléchir parce que vous voulez une solution rapide à vos problèmes. Nos populations qui sont durement éprouvées par la situation de crise, souhaitent l’arrivée d’un messie qui va résoudre leurs problèmes ici et maintenant. En ce qui me concerne, je pense qu’un coup d’Etat à l’étape actuelle ou un changement radical de régime, n’est pas la solution. La solution, c’est de faire en sorte que nous puissions véritablement nous réconcilier avec nous-mêmes, nous réconcilier avec les autres. Nous devons appréhender le poids de nos responsabilités parce que j’ai l’impression que certains ne mesurent pas suffisamment le poids de leurs responsabilités. Il faut faire en sorte de mobiliser tous les Burkinabè autour de la question sécuritaire. Et c’est seulement à ce moment que nous pourrons gagner la lutte contre le terrorisme. J’ai écouté, aux premières heures, les différents discours lorsque les militaires sont arrivés au pouvoir. J’ai senti leur volontarisme. J’ai aussi senti qu’ils avaient une conviction que le terrorisme sera un souvenir lointain pour les Burkinabè. Mais si aujourd’hui, ils piétinent, c’est qu’il y a quelque chose qui n’a pas marché.

 

« La responsabilité incombe également en grande partie aux intellectuels et aux universitaires qui refusent de s’assumer en prenant la parole »

 

Ont-ils fait un mauvais diagnostic de la situation avant le putsch ?

 

C’est possible. Malheureusement, dans mes responsabilités politiques, je n’ai pas eu l’opportunité de prendre en charge certaines questions d’Etat. Cela va être très difficile pour moi de dire que c’est parce qu’ils ont fait un mauvais diagnostic que la situation se présente ainsi. Lorsque vous pensez que c’est la tête qui est malade alors que c’est en réalité le bras qui l’est, vous ne pouvez qu’appliquer le mauvais remède.

 

On a chassé  Roch Kaboré du pouvoir et finalement, d’aucuns estiment qu’il n’était pas le problème. C’est aussi votre point de vue ?

 

Un homme, à lui seul, ne peut pas diriger un Etat. Même dans le fonctionnement de la société traditionnelle moaga où le Mogho Naaba était au centre de la gestion des affaires, que ce soit l’information, la justice et la vie des hommes, il ne pouvait pas, à lui seul, résoudre un certain nombre de problèmes. Il n’est pas juste, à mon avis, d’imputer la responsabilité de la gestion d’un pays à un seul homme. Qu’il ait réussi ou échoué, je pense qu’il (Roch Kaboré, ndlr) avait, avec lui, un gouvernement, des institutions et les rôles étaient partagés. Les militaires étaient ceux qui devaient travailler afin que le terrorisme soit annihilé. Est-ce qu’on pouvait demander au président Roch Marc Christian Kaboré, à l’époque, de prendre les armes et d’aller au front ? Cela est le rôle des militaires. Est-ce qu’on pouvait demander à l’Assemblée nationale de prendre des AK 47 pour aller au front ? Le rôle de l’Assemble nationale, c’est de voter de bonnes lois qui vont faire en sorte qu’on puisse ensemble lutter contre le terrorisme.

 

Voulez-vous dire que c’est la faillite des institutions qui a aggravé la situation sécuritaire ?

 

C’est la faillite de tous. Et surtout la faillite du citoyen et à tous les niveaux. Dans une démocratie, chacun a son rôle. Dans une démocratie, le rôle du citoyen, c’est de dénoncer quand cela ne marche pas. Lorsque vous laissez les choses piétiner parce que vous ne comprenez pas grand-chose à la démocratie, vous avez une part de responsabilités si le pays s’enfonce. Le citoyen doit être le dernier rempart contre les abus ou les mauvaises décisions des institutions et de ceux qui les incarnent. Le citoyen burkinabè n’a pas bien joué son rôle. Il a laissé ce rôle à des organisations de la société civile qui, souvent, s’identifient à des partis politiques ou à des personnalités économiques. Lorsque ces OSC montent au créneau, c’est pour seulement dire ce que le politique ou l’homme économique veut entendre. Le citoyen a donc laissé ce rôle de veille à une minorité de citoyens parce qu’il n’appréhende pas bien son rôle. La responsabilité incombe également en grande partie aux intellectuels et aux universitaires qui refusent de s’assumer en prenant la parole. Les intellectuels qui veulent protéger leur dignité et réputation ne veulent pas s’exposer. Ils refusent de parler et de s’investir afin que les choses s’améliorent.  Pour ma part, je n’ai pas fait un diagnostic sérieux, mais les intellectuels ont plus de 30% de responsabilités dans notre échec commun.

 

Pour certains, la réconciliation nationale telle que conçue par les tenants du pouvoir et leurs «  supporters », vise à assurer l’impunité à quelques individus ou à faire des arrangements sur le dos du peuple. Qu’en pensez-vous ?

 

J’ai écouté le président Damiba à l’issue de la rencontre avec des anciens chefs d’Etat. Il assurait que le format de la réconciliation qu’il veut implémenter, n’assure pas l’impunité à qui que ce soit. J’ose croire que ce que le président Damiba a dit, est la vérité.

 

D’aucuns estiment que la rencontre entre le président Damiba et les anciens chefs d’Etat, a tourné au fiasco. Qu’en dites-vous ?

 

Est-ce que c’était un fiasco étant entendu que la rencontre a eu lieu ? Je ne sais pas car je n’y étais pas. Qu’est-ce qui est sorti de cette rencontre ? Ce qui est important, c’est que des hommes et leurs fans qui ont souvent des divergences fondamentales sur la gestion de ce pays, puissent discuter. Est-ce que ces divergences sont aussi fondamentales pour que nous continuions à nous combattre mutuellement ? Je pense que ce n’est pas la solution pour nos enfants et nos petits-enfants.

 

Certains établissent un lien entre la réconciliation nationale et la résolution de la crise sécuritaire. Etes-vous du même avis ?

 

Il se pourrait que ceux qui ont la charge de notre destin, aient peut-être fait  la corrélation entre les deux. Car je suis convaincu que quel que soit le diagnostic et qu’il soit bon ou mauvais, ceux qui prennent des décisions pour nous, font également des analyses et vont sur le terrain. Ils ont des informations que souvent, nous n’avons pas.

 

 

« Je crois aux divinités. Je crois à la puissance du Ciel et de la Terre. Je fais des sacrifices et des immolations. Je n’ai pas honte de le dire »

 

Vous êtes un chef coutumier et vous êtes en contact avec les populations. Est-ce qu’aujourd’hui, les Burkinabè sont divisés au point qu’on veuille les réconcilier ?

 

Les Burkinabè ont un problème entre eux. Car, ceux qui nous tirent dessus sont des fils du Burkina. Ils ne sont pas venus d’ailleurs. Ce sont nos enfants. Ce sont nos petits-enfants. Les Burkinabè ont donc un problème entre eux. Pourquoi certains disent-ils que leurs régions ont été longtemps délaissées ? Pourquoi disent-ils que leurs fils ont beaucoup souffert ?  Certains ont donc pris les armes à cause de cette situation. Certains acteurs politiques pensent que le problème du Burkina Faso, pourrait venir d’une ethnie précise. C’est pour vous dire que les Burkinabè ont un problème entre eux. Si des questions régionalistes sont posées, c’est que des gens ont pendant longtemps, gardé cela dans leur cœur. Et nous avons justement intérêt à poser le débat quand bien même il serait très délicat. Je pense qu’un jour ou l’autre, il faut qu’on se parle de façon sincère. Un grand homme politique burkinabè, je ne le nommerai pas, a dû penser un jour, qu’un certain grand chef moaga a influencé des élections. Si les gens le pensent ainsi, c’est que les débats sont souvent menés dans des endroits que nous ignorons. Si ces débats viennent en public, c’est que les Burkinabè ont un problème. Maintenant, est-ce que les Burkinabè sont divisés, je pense que c’est trop dire. Est-ce que les Burkinabè ne se parlent pas, je pense que c’est cela qui doit être le problème.

 

Vous êtes un ministre du Mogho Naaba. Pensez-vous qu’il est disposé à ce qu’on crève l’abcès sur cet aspect des choses ?

 

Quand vous êtes assaillis par des problèmes, vous ne trouvez pas de temps pour vous isoler. Mais souvent, il faut s’isoler pour réfléchir. Nous avons, au sein de nos populations, des personnes faibles et perméables qui subissent un certain nombre d’intoxications à travers de fausses informations. Je crois que nous sommes dans de bonnes dispositions pour discuter de ces questions ethniques. C’est vraiment important. Si vous avez quelque chose de lourd sur votre cœur, et que vous arrivez à le sortir, vous devenez léger. A ce moment, vous comprenez les autres et vous allez au-delà de votre compréhension des choses. Souvent, les gens sont fermés dans une vision unique. S’ils arrivent à extérioriser certaines questions existentielles, je pense qu’on se comprendra. De nombreuses personnes pensent que les chefs coutumiers ne s’impliquent pas suffisamment dans la situation qu’ils vivent. Pour la vie chère et le terrorisme, ils pensent que si les chefs coutumiers s’impliquent davantage, dans quelques mois, on n’en parlera plus. Tout ceci est l’expression de l’espérance. Et il faut travailler à donner une suite à cette espérance. Car, pour eux, les chefs traditionnels peuvent aider à mettre fin à cette situation. On est chef coutumier parce qu’on a une population avec soi. Sinon, on n’est qu’un simple citoyen. Mais il ne faut pas seulement voir le chef sous l’angle de régulateur social et de prêtre de la terre. Cela ne suffit pas.

 

Que peuvent encore les chefs traditionnels dans la lutte contre l’insécurité quand on sait la déliquescence dans laquelle se trouve le Burkina Faso ?

 

Nous devons changer de paradigme. Nous menons des actions qui ne sont pas rendues publiques. On nous reproche d’avoir une certaine inertie face aux problèmes qui assaillent notre pays. Je suis chef coutumier traditionnel. Je crois aux divinités. Je crois à la puissance du Ciel et de la Terre. Je fais des sacrifices et des immolations. Je n’ai pas honte de le dire. Aujourd’hui, les gens pensent que si tu n’es pas musulman ou chrétien, ce n’est pas correct. Nous avons fait des invocations aux mânes de nos ancêtres. Les moyens que nous avons mis dans ces sacrifices, sont énormes. Mais personne n’est au courant et c’est cela qui pose problème. Si certaines actions des coutumiers étaient rendues publiques, cela pourrait renforcer leur conviction que nos ancêtres ne sont pas morts. Ils sont dans le vent, ils nous aiment et continuent de nous protéger. Cela peut beaucoup aider. Mais chez les traditionnalistes, quand on parle d’interdit, cela peut conduire à la mort. Et personne ne veut mourir ; ce qui est normal jusqu’à ce que son heure arrive. Les chefs coutumiers ont un rôle à jouer dans la reconstruction de notre nation. Notre pays a été désarticulé. Quant à l’incivisme, on doit revenir aux fondamentaux de l’éducation. Car, on a constaté que l’éducation qu’on donne à nos enfants afin qu’ils deviennent des hommes et des femmes de qualité, n’est pas la meilleure. Nous avons désarticulé cette nation et nous avons de la peine à la reconstruire. Et les chefs coutumiers doivent jouer un rôle à ce niveau, si tant est leur essence et si l’on est disposé à les accompagner et à leur donner les moyens qu’il faut.

 

La question de la place des chefs coutumiers est aussi soulevée. D’aucuns estiment qu’ils n’ont plus d’autorité ni de légitimité à cause des accointances avec les milieux politiques et économiques. Que répondez-vous à ces critiques ?

 

Je pense que c’est méconnaitre la chefferie coutumière et traditionnelle. Lorsque souvent vous interrogez une personne qui a ses opinions sur un chef coutumier et son rôle, il n’a presque rien à vous dire. Ils veulent juste que les chefs coutumiers et traditionnels se mettent à l’écart. Ce qui est intéressant, c’est de savoir quel est leur rôle dans la société traditionnelle. Quel a été leur rôle dans la construction et la consolidation de notre Nation ? Quelle est la perception de leur rôle par l’ensemble des populations ? Lorsqu’on veut dénier quelque chose à quelqu’un, il faut savoir ce qu’on veut quand même lui enlever. Quand on parle de la légitimité du chef, il faut toucher du doigt certaines réalités pour savoir quelle est la forme de  légitimité que les populations leur confèrent. Les gens lisent dans les livres, la définition de légitimité et disent : «  Voilà, les chefs coutumiers et traditionnels n’ont plus de légitimité ». Mais quelque part, les chefs coutumiers ont une responsabilité quant à la dépréciation de leur rôle et de leur place. Moi-même, j’ai souvent remarqué des comportements de certains chefs. Malheureusement, tout le monde porte le bonnet rouge mais on n’a pas le même poids social. Vous allez rencontrer des chefs coutumiers traditionnels dans des bars avec leur bonnet. C’est dommage ! Ce comportement participe à déprécier le rôle et la place du chef coutumier dans notre société. Le fond de votre question pose également la participation du chef coutumier en politique. Mais c’est malhonnête de lui dénier sa place dans la politique. Les chefs coutumiers et traditionnels ont participé à construire un héritage fort qui est notre Nation. Pendant cette époque, il y avait des citoyens dits de premier rang, qui n’ont pas joué autant de rôles que nos pères et nos grands-pères. Aujourd’hui, ils se réclament la plus grosse part de l’héritage et accordent une petite part aux enfants de ces pères et grands-pères.  Cela me pose un problème de fond. Et ce débat, je l’ai demandé à plusieurs reprises dans mes interviews. Je suis prêt à aller à un débat sur la place et le rôle du chef coutumier dans la société. Un jour ou l’autre, ce débat va être posé. Je ne réfute pas la part de responsabilités des chefs coutumiers et traditionnels dans la perception qu’ils laissent les populations nourrir sur leur place dans notre société. Mais beaucoup, notamment les intellectuels, discutent de questions qu’ils ne maitrisent pas.

 

Propos recueillis par Boureima KINDO et Michel NANA

 

 


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