HomeA la uneLE PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT TUNISIEN POUR LE RETOUR DE BEN ALI : Ballon de sonde ou dérapage langagier ?  

LE PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT TUNISIEN POUR LE RETOUR DE BEN ALI : Ballon de sonde ou dérapage langagier ?  


 

Le porte-parole du gouvernement tunisien, Khaled Chouket, a jeté un véritable pavé dans la mare, mardi dernier, quand dans un entretien radiophonique, il a ouvertement appelé au retour au pays de l’ancien président, Zine el Abidine Ben Ali, au nom de la réconciliation nationale et en reconnaissance des mérites de celui qui avait été chassé par la rue en janvier 2011. Khaled Chouket s’est dit indigné de voir l’ancien dictateur toujours en exil  sur les rives de la mer rouge, à  Jeddah,  dans le désarroi et dans l’indifférence totale des Tunisiens. Et comme il n’y a eu, pour le moment, aucune réaction officielle, suite aux propos pour le moins controversés de M. Chouket, beaucoup de Tunisiens se demandent s’il s’est exprimé en son nom personnel ou si son point de vue est également celui du gouvernement dont il est le porte-parole. Dans tous les cas, les internautes et de nombreux citoyens du pays de Habib Bourguiba se sont déchaînés dès la diffusion de l’entretien, certains allant jusqu’à demander rien moins que la traduction du ministre devant un tribunal pour « apologie du terrorisme ». Ils n’ont pas, en effet, oublié les 23 ans de règne sans partage de Ben Ali et la chape de plomb qui s’est abattue sur eux jusqu’à la veille de sa fuite vers l’Arabie, au terme de violentes manifestations réprimées dans le sang. Ce départ forcé du dictateur du pouvoir avait suscité d’immenses espoirs pour le monde arabe et pour tous les peuples opprimés, et avait servi de référence ou de déclic pour d’autres peuples qui ont osé braver les canons à eau et les mitraillettes pour exiger et obtenir la « reddition » de leurs tyrans, comme ce fut le cas en Egypte, en Libye et plus récemment au Burkina Faso. Mais une chose est de chasser un dictateur, une autre bien plus importante est de lui trouver un successeur qui réponde aux aspirations de paix, de sécurité, de liberté et de démocratie du peuple. Si en Tunisie, on semble avoir tourné la page hideuse de la torture et celle du musèlement de l’opposition tels qu’on les a connus sous l’ère Ben Ali, il n’en reste pas moins vrai que le pays connaît un recul sur le plan de la sécurité, notamment avec des attaques et des attentats jusqu’au cœur même de la capitale, Tunis.

Il appartient à ceux qui sont arrivés au pouvoir à la faveur de la « Révolution du Jasmin », d’être à la hauteur des attentes des populations

Cette dégradation de la situation sécuritaire ajoutée au chômage devenu quasiment endémique, a certainement exaspéré certains Tunisiens, et les a rendus nostalgiques de l’époque de Ben Ali où le danger ne venait, pour ainsi dire, que de l’intérieur et précisément des forces de sécurité fidèles au dictateur. N’oublions pas non plus qu’après un si long règne, Ben Ali a un héritage politique, aussi lourd soit-il, et de très nombreux cadres de son parti (RCD) sont allés se recycler dans le parti actuellement au pouvoir, Nida Tounès, dont est issu Khaled Chouket, l’auteur de l’appel au retour au bercail de l’ancien président. Il appartient à ceux qui sont arrivés au pouvoir à la faveur de la « Révolution du Jasmin », d’être à la hauteur des attentes des populations et de travailler à se départir de cette image qui leur colle à la peau et qui restera attachée aux prévarications et à tous les passifs des régimes auxquels ils ont succédé. En clair, ils devront faire mieux que leurs prédécesseurs, faute de quoi, des détracteurs ou des nostalgiques comme Khaled Chouket risquent de les mettre en conflit avec leurs opinions publiques respectives, très majoritairement acquises à la cause du changement. La polémique soulevée par le « come-back » de Ben Ali envisagé par le porte-parole du gouvernement, tombe au plus mauvais moment pour le régime de Caïd Essebsi, malmené à la fois par les forces politiques de l’opposition, le front social et les terroristes venant de la Libye voisine. Que cette sortie de Khaled Chouket soit un ballon de sonde pour tester la popularité de l’ancien dictateur ou un simple dérapage langagier, le chef du gouvernement devrait recadrer son ministre et porte-parole qui, semble-t-il, est coutumier du fait. Le gouvernement tunisien a actuellement plus urgent à faire que de créer des remous au sein de la société, à cause d’un dictateur condamné à mort et dont le retour aux affaires est plus qu’improbable.

Hamadou GADIAGA


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