Pr ARISTIDE KABORE, CHEF DE SERVICE UROLOGIE-ANDROLOGIE AU CHU-YO : « L’éjaculation précoce peut conduire à des tendances suicidaires »
Elle est souvent la cause de séparations de certains couples car une partenaire insatisfaite lors des rapports sexuels avec son conjoint, se sent toujours frustrée ou négligée. Elle, c’est l’éjaculation précoce qui touche beaucoup d’hommes dans leur vie sexuelle. Pour en parler, nous avons rencontré le chef de service de l’urologie-andrologie au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU YO), le Pr Fasnéwindé Aristide Kaboré. Lisez !
Les hommes ont-ils des problèmes d’éjaculation précoce au Burkina ?
Oui ! Les hommes ont des problèmes d’éjaculation précoce comme partout dans le monde.
Recevez-vous des patients en consultation pour cause d’éjaculation précoce ?
On n’en reçoit pas énormément, parce que c’est un problème qui est parfois mal vécu et perçu comme tabou et les hommes n’en parlent pas facilement.
Qu’est-ce que l’éjaculation précoce ?
il n’y a aucune définition consensuelle sur l’éjaculation précoce, parce que l’éjaculation et l’érection sont des situations fonctionnelles. Elles permettent le rapport sexuel et la satisfaction. Et comme on parle de satisfaction, cela veut dire que les besoins et les attentes des uns et des autres sont différents. Il est donc difficile d’avoir une définition qui s’applique à tout le monde. Mais, en pratique, on retient l’éjaculation précoce comme une maladie ou une anomalie, lorsque l’éjaculation est jugée précoce par les deux partenaires et entraîne des problèmes au niveau du couple ou chez l’homme. Il y a une moyenne de 1 minute qu’on estime comme la valeur la plus basse. Quelqu’un qui a une éjaculation en moins d’une minute de rapport sexuel, on peut considérer qu’il a une éjaculation précoce. Il y a un groupe bien déterminé qui est ipso facto éjaculateurs précoces. Ce sont ceux qui éjaculent avant la pénétration, qu’on appelle éjaculation ante portas. Mais lorsque les rapports sexuels sont possibles, la limite de temps qui permet de dire que c’est précoce, dépend des couples et du retentissement que cela a sur la personne.
Quelqu’un qui éjacule sans pénétration, cela est-il aussi appelé éjaculation précoce ?
Oui. C’est d’ailleurs la forme la plus sévère de l’éjaculation précoce. Ceux sont des personnes qui, dès les préliminaires, éjaculent avant même la pénétration
Quelles en sont les causes ?
Les causes sont nombreuses, mais pour ne pas rentrer dans un jargon médical compliqué, je simplifierai les choses en notant que l’une des premières causes est tout ce qui est lié à la psychologie, notamment des conflits dans le couple, ceux familiaux, des frustrations sociales, un besoin de vengeance et la phobie de la performance. Il y a aussi des causes organiques, liées au fonctionnement de l’organisme, des personnes qui ont un déficit dans une substance qui contrôle le plaisir et les émotions au niveau du cerveau, qu’on appelle la sérotonine. Dans les causes, il faut différencier celles qui sont dites primaires, où la personne n’a jamais eu une éjaculation normale, et les causes secondaires, où la personne a eu des éjaculations normales.
Qu’en est-il pour les excitants ?
Il y a des substances qui augmentent le plaisir. Donc, il est clair que si on prend ces substances et qu’on a des prédispositions à avoir une éjaculation rapide, cela va accélérer les choses. Mais globalement, ces produits qui augmentent le plaisir ne jouent pas sur la précocité de l’éjaculation, s’il n’y a pas de prédispositions particulières.
Existe-t-il différents degrés d’éjaculation précoce ?
En fonction du retentissement chez l’individu et dans le couple, on a des degrés. Déjà en fonction de la durée : on a le premier groupe qui est le plus sévère, éjaculation avant la pénétration. Il y a des éjaculations qui surviennent dans la minute, celles entre la première et la deuxième minute et les éjaculations après la deuxième minute. Les éjaculations qui surviennent après la deuxième minute sont moins graves, si on tient compte de la durée, car il y a un deuxième élément à prendre en compte, qui est la satisfaction des partenaires. Si l’homme a une éjaculation au bout de 5 minutes et que la partenaire estime cela insuffisant, même si nous on considère que cela est normal, ça va être amplifié par le sentiment d’échec et de ne servir à rien que va ressentir l’homme. A ce moment, cela peut être plus grave que quelqu’un qui éjacule en une minute, mais dont la partenaire est parfaitement satisfaite. Donc, il faut tenir compte aussi, dans la sévérité, du vécu psychologique de cette pathologie.
Comment arrivez-vous à dire aux patients qu’ils ont des problèmes d’éjaculation ?
La plupart du temps, ce n’est pas nous qui informons les patients qu’ils ont des soucis d’éjaculation précoce. Ceux qui viennent à l’hôpital n’ont aucun problème pour parler de leur pathologie. Quand ils viennent, ils disent clairement ce pourquoi ils sont là. Ceux qui ne peuvent pas s’exprimer correctement, écrivent souvent sur des bouts de papier qu’ils nous donnent. Le problème, c’est ceux qui n’arrivent pas à venir à l’hôpital.
Quel est l’état des lieux ?
Je dirai que la maladie prend de l’ampleur. Mais je ne sais pas si le nombre d’éjaculateurs précoces augmente ou si c’est tout simplement que les gens ont accès facilement aux services de santé et aux informations liées au phénomène. A travers des informations dans les médias, les gens se posent des questions et prennent le courage pour venir en consultation. Cela augmente le nombre de cas pris en charge, mais je ne peux pas dire que la fréquence de la pathologie augmente, car il n’y a pas d’étude scientifique qui permet de le dire.
Un homme peut-il souffrir d’une éjaculation précoce à vie ?
Bien sûr ! Si la personne ne va pas en consultation, c’est sûr qu’elle peut souffrir en silence toute sa vie. Cela s’adresse surtout à ceux qui ont des éjaculations précoces primaires, qui n’ont jamais eu une éjaculation normale, parce que le problème est basique et existe depuis la naissance et on n’y peut rien.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
L’éjaculation précoce entraîne des conséquences très graves, surtout au niveau du psychique. Cela peut conduire à de la dépression, à de la paranoïa, à des troubles plus graves comme la schizophrénie, qui sont des troubles psychiatriques. L’éjaculation précoce entraîne souvent des conflits dans les couples, pouvant amener à la séparation ou au divorce. L’éjaculation précoce peut conduire à des tendances suicidaires, à des violences extrêmes chez ces personnes qui se sentent inutiles.
Comment se comporte une personne qui souffre d’éjaculation précoce ?
Elle se comporte comme une personne qui n’est pas sûre d’elle-même, qui est très nerveuse et très irritable et trouve toujours des raisons pour ne pas avoir des rapports dans son couple, ou a des rapports mais a toujours des frustrations. La personne qui a une éjaculation précoce développe un dysfonctionnement de l’érection, parce qu’elle n’est pas sûr de pouvoir satisfaire sa partenaire. Du coup, cette personne n’arrive plus à avoir d’érection. Donc, c’est une des complications majeures de l’éjaculation précoce car, à la longue, la personne va avoir des problèmes pour avoir une érection.
A quel stade les hommes sont-ils exposés à l’éjaculation précoce ?
Il n’y a pas d’hommes en particulier, qui sont exposés. Peut-être ceux qui sont plus exposés, sont ceux-là même qui ont un manque de confiance en eux et cela peut se ressentir dans les couples. Les hommes qui ont fréquemment des conflits dans leur couple et qui ressentent des frustrations énormes, sont aussi exposés. Les hommes qui ont aussi des anomalies organiques qui augmentent la sensibilité au niveau du pénis, ceux dont la circoncision a été mal faite par exemple, peuvent avoir une augmentation de la sensibilité au niveau du pénis, qui expose à des éjaculations précoces à la longue. On estime à peu près entre 30 et 40%, les hommes qui vont faire l’expérience d’une éjaculation précoce dans leur vie. Cela représente une part non négligeable de la population.
Est-ce que l’éjaculation précoce diminue le goût des rapports sexuels dans un couple ?
Evidemment que cela diminue le goût des rapports. Si au niveau psychologique on n’est pas stable et rassuré, il va sans dire qu’il n’y aura pas de plaisir. Mais dans le principe, l’homme qui éjacule précocement, a son orgasme. Donc, il pourra être satisfait, contrairement à sa partenaire. Et même si ce dernier a un orgasme, mais n’est pas satisfait de cet orgasme, il ne ressentira pas le plaisir comme il devrait le ressentir.
Est-ce une maladie ?
Il faut considérer l’éjaculation précoce comme une maladie, car la définition de la santé que l’OMS donne, contient non seulement les désordres organiques qui sont les maladies les plus courantes, mais inclut également le bien-être de la personne, même en l’absence de maladie décelée. quand on considère ces éléments, même si on ne peut pas considérer l’éjaculation précoce comme une maladie organique dans tous les cas, c’est une maladie du fait qu’il y a un retentissement énorme sur le bien-être de la personne. Donc, c’est une maladie comme les autres.
L’éjaculation précoce est-elle mortelle ?
C’est une maladie qui n’est pas mortelle. Mais elle est mortelle indirectement, si la personne a des tendances suicidaires.
Est-elle connue du grand public ?
Je pense que oui, parce que quand on éjacule précocement, on doit le savoir. Peut-être qu’on n’en parle pas assez dans la vie courante.
La femme a-t-elle un rôle à jouer lors des rapports sexuels, pour empêcher son conjoint d’éjaculer de façon précoce ?
Tout à fait. Dans les thérapies comportementales qu’on conseille aux couples, la femme a un rôle important à jouer. Il y a des thérapies comportementales que la femme doit faire pour retarder l’éjaculer. Par exemple, on conseille aux hommes qui éjaculent de manière précoce, d’apprendre à contrôler et à détecter le moment où ils vont avoir une éjaculation. A ce moment, on fait une compression du gland (tête du pénis) pour empêcher l’éjaculation de se produire. Ce geste va permettre de calmer la tension afin de diminuer la sensation de plaisir et retarder l’orgasme, et cela peut se faire par la femme qui peut s’anticiper de se retirer pour faire la compression. Il y a aussi des positions, notamment celles qui permettent à la femme d’avoir le contrôle lors des rapports sexuels, qui permettent de limiter l’éjaculation précoce. On conseille souvent les rapports sexuels sur une chaise, où l’homme est assis sur une chaise et la femme au-dessus avec les pieds sur le sol, ce qui lui permet de retirer le pénis au moment où elle sent que son partenaire va avoir une éjaculation, pour exercer la compression. Ceci est un exemple parmi tant d’autres. C’est pour dire que la femme a un rôle important à jouer pour empêcher son partenaire d’éjaculer précocement. Il y a aussi certains traitements, notamment des pommades anesthésiques qu’on prescrit aux patients, qui diminuent les sensations au niveau du pénis et leur application peut être faite par la femme qui participe ainsi au traitement.
Quelle est la conduite à tenir pour une femme quand son partenaire souffre d’éjaculation précoce ?
La place de la femme est capitale, car il faut avoir en tête que l’homme porte le pénis, mais « l’utilisateur final », c’est la femme. La satisfaction de la femme compte énormément et son rôle est aussi important lorsqu’il y a une anomalie, parce qu’elle peut aggraver l’anomalie comme elle peut participer à la solutionner. Au cas où elle aggrave l’anomalie, c’est quand elle le vit mal et a des propos discourtois envers son conjoint. Cela peut augmenter sa frustration et son sentiment d’être inutile. La femme doit s’atteler à garder son calme et à discuter sereinement et calmement, à trouver les moyens pour régler le problème avec son partenaire. Par exemple, en convainquant son homme d’aller en consultation. Cela ne doit jamais se faire de façon brutale.
La qualité de sperme d’un homme qui éjacule précocement est-elle la même chez un homme qui éjacule normalement ?
Bien sûr que le sperme d’un homme qui éjacule précocement est de bonne qualité. Le type d’éjaculation n’affecte pas la qualité du sperme. Un éjaculateur précoce peut faire normalement des enfants, car le sperme n’est pas altéré.
Peut-on soigner l’éjaculation précoce et en guérir définitivement ?
On peut soigner l’éjaculation précoce. Mais en guérir définitivement, c’est un peu délicat, en l’absence de traitement. Lorsque c’est une éjaculation précoce secondaire, et qu’on connaît le problème qui est à l’origine, on peut guérir définitivement. Surtout quand ce sont des problèmes de relation au niveau du couple et qu’on arrive à les gérer. Cela peut disparaître complètement. Mais quand ça concerne par exemple le déficit en sérotonine, on est obligé d’instaurer des traitements à vie, pour permettre de suppléer à ce manque. Si c’est aussi quelqu’un qui est instable sur le plan psychologique et qui a besoin d’un accompagnement psychologique permanent, le traitement devrait se faire de façon permanente. Mais habituellement, ce sont des patients qu’on est obligé de suivre sur le long terme, à cause des rechutes qui sont fréquentes.
Quelques conseils ?
Le premier conseil est qu’il faut déjà se dire qu’une éjaculation n’est considérée comme précoce que si véritablement on la vit comme une anomalie. Si on est satisfait dans le couple avec une éjaculation qui est considérée comme précoce, on ne peut pas dire que c’est une éjaculation précoce tant que ce n’est pas vécu comme une anomalie. Le premier conseil que je donnerai, c’est que les gens, une fois qu’ils sentent quelque chose d’anormal sur leur organisme, viennent en consultation au lieu de se renfermer sur eux-mêmes. Je demande aussi aux femmes d’essayer de trouver le moyen d’en parler calmement dans leur couple, si toutefois elles sentent de l’insatisfaction lors des rapports sexuels avec leur conjoint. Je rassure aussi qu’il y a des traitements contre cette maladie. les conséquences de ces troubles peuvent être graves au niveau du couple, au niveau social et cela peut compromettre l’avenir professionnel de la personne qui en souffre. Les troubles d’érection ou éjaculation précoce peuvent cacher d’autres maladies plus graves, notamment du cœur, des vaisseaux, du métabolisme (diabète, hypertension artérielle) et des troubles psychiatriques. D’où l’importance, pour ces patients, d’être vus par un médecin.
Valérie TIANHOUN