Pr RABIOU CISSE, radiologue : « Les radiologues burkinabè sont insatisfaits de leurs conditions de travail »
Il est le premier radiologue à être président de l’université Ouaga I, Pr Joseph Ki-Zerbo. Lui, c’est le Pr Rabiou Cissé, Professeur titulaire de radio diagnostique et d’imagerie médicale au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), et président de la Société burkinabè de radiologie (SOBURA). Il nous a accordé cette interview dans le cadre du 5e congrès de ladite société. Il nous parle aussi de la radiologie comme spécialité. Lisez !
Le pays : Comment peut-on définir le radiologue ?
Pr Rabiou Cissé : Avant toute chose, je voudrais remercier le journal « Le Pays » pour son soutien multiforme à l’endroit des médecins et du ministère de la Santé en général. Un radiologue est un médecin d’abord généraliste et qui, par la suite, a bénéficié d’une formation de spécialiste. Sa spécialité est qu’il a été formé en dehors du fait qu’il a eu des compétences de médecin généraliste et peut utiliser un certain nombre d’équipements pour aider le médecin non radiologue à trouver son diagnostic. Autrement dit, le radiologue est un médecin spécialiste dans le domaine de la radiologie où de l’imagerie médicale. Aussi, la radiologie est une spécialité médicale qui utilise des rayons X à des fins de diagnostic, c’est-à-dire trouver la maladie dans le corps humain, ou à des fins thérapeutiques, c’est-à-dire participer au traitement. Par exemple, dans le cas du cancer des poumons, du sein, on peut utiliser la radiothérapie qui relève de la radiologie pour les soins. Et cette discipline, à un moment donné, ne s’appelle plus radiologie mais l’imagerie médicale, parce que la radiologie, de par le passé, n’était limitée seulement qu’aux simples radiologies du ventre, du poumon et autres. Mais depuis l’avènement de l’échographie, du scanner et de l’imagerie par résonnance magnétique (IRM), ils ont globalisé pour donner le nom de l’imagerie médicale. C’est ainsi qu’en parlant de la radiologie, on sous-entend échographie, scanner et IRM ; et ces trois modalités sont appelées technique d’imagerie en couple, parce que permettant de voir le corps humain sur plusieurs plans de l’espace. Donc, le radiologue est un médecin spécialiste qui a en charge, dans l’arsenal sanitaire de diagnostic, de trouver la maladie, d’utiliser une ou deux de ces techniques pour aider le médecin généraliste ou spécialiste non radiologue qui aurait examiné un patient et qui le réfère à un radiologue comme il peut le référer à un biologiste pour prise de sang. Avant de demander la radiographie, qu’elle soit spécialisée ou non ou l’échographie, le scanner ou l’IRM, il faut que le médecin ait l’information sur chaque modalité qui peut être apportée dans le domaine du diagnostic.
Combien de radiologues existent au Burkina ?
Nous sommes 75 radiologues au Burkina. Je vous rappelle que la radiologie est née au Burkina en 1959 et la première table de radiologie dans notre pays, était à l’actuelle Maison du peuple. Et ironie du sort, cette date correspond à mon année de naissance et je suis aussi radiologue ; donc une coïncidence signifiante, car j’étais prédisposé à être radiologue. Et à cette période, il n’y avait que des radiologues français. C’est jusqu’en 1981 qu’est rentré le premier radiologue burkinabè, le Pr Seydou Bernard Ouédraogo. Parmi ces 75 radiologues, 13 sont des enseignants-chercheurs dans des universités. Et sur les 75 que nous sommes, certains ont été formés en France, d’autres en Belgique, mais beaucoup en Côte d’Ivoire. Avec la formation, chaque année, la faculté met en place une quinzaine de radiologues et à l’heure actuelle, il y a 4 promotions sur le marché, qui sont constituées de plusieurs nationalités.
Par rapport à la demande, est- ce que ce nombre est suffisant ?
A quel moment un patient doit-il aller en radiologie ?
Le nombre n’est vraiment pas suffisant. Quand on parle de ratio médecins généralistes, spécialistes confondus par rapport à la population burkinabè qui est de 18 millions d’habitants, c’est loin d’être suffisant. Mais si je vous dis que ce n’est pas suffisant, c’est compte tenu du vécu, parce que pour pouvoir dire que le nombre de radiologues n’est pas suffisant pour une population donnée, il faut avoir une politique nationale au plan sanitaire avant que l’OMS ne donne des normes standards. Quand on fait le point sur certains centres sanitaires, ces derniers n’ont pas de radiologue ni même une table de radiographie. Cela donne de longues files d’attente dans les hôpitaux. D’où la création d’une spécialité de radio diagnostic dans laquelle ils enregistrent au minimum 15 apprenants par an et parmi ces 15, il y a une dizaine de Burkinabè.
A quelle étape de la maladie un patient peut-il aller vers un radiologue ?
Le malade doit aller voir le radiologue quand un médecin généraliste ou quand un médecin spécialiste l’examine, rassemble les signes et fait des hypothèses de diagnostic. C’est après les hypothèses que le médecin spécialiste, avec le bulletin bien rempli, va vers le radiologue qui autorise le manipulateur ou le technicien de faire la radio. Mais le radiologue aussi peut manipuler. Il est interdit au patient d’aller directement vers un radiologue pour demander une radiographie sans l’autorisation d’un médecin généraliste ou spécialiste.
Quelles sont les maladies qui suscitent fréquemment la radiologie ?
C’est l’occasion pour moi de dire aux uns et aux autres que la radiologie est une discipline transversale, c’est-à-dire tous azimuts. Il n’y a pas un seul médecin généraliste ni spécialiste qui peut travailler sans le radiologue ou la radiologie, car elle est une discipline transversale, un examen para-clinique, c’est-à-dire qu’il vient en complément. En résumé, les pathologies malformatrices, quel que soit l’organe touché, la radiologie ou l’imagerie médicale peut aider. Il y a aussi les maladies infectieuses qui sont très fréquentes en Afrique, la tuberculose, le SIDA, les infections bactériennes, les pathologies vasculaires notamment les AVC, celles traumatiques, les pathologies neurologiques, les pathologies endocrinologiques. C’est pour dire que quelle que soit la maladie, cela oriente vers l’imagerie médicale qui est incontournable. Donc, nous demandons au ministère de la Santé de nous aider à faire des spécialités sûres en radiologie, notamment du cerveau, de la face du rocher, du thorax, en neurologie et c’est en cela qu’on va améliorer la formation que nous avons reçue.
Dans quel contexte se tient votre congrès ?
Notre 5e congrès se tient dans un contexte assez particulier. Après 59 ans, il était important pour nous de faire le point de ce qui s’est passé et de dire où nous en sommes et quelles sont nos perspectives. On s’est rendu compte qu’il y a cinq aspects à défier. Le premier aspect concerne les ressources humaines comme les radiologues, les manipulateurs et aussi les personnels de soins. Il y a également les ressources matérielles et les gros équipements ; car, il fut un moment où il n’y avait que deux tables de radios au Burkina, zéro échographe, zéro scanner et zéro IRM. La grosse question, c’est la maintenance. Une chose est d’avoir des équipements, une autre est de pouvoir les maintenir. Il y a eu des moments où ce sont les Français, les Allemands qui venaient assurer la maintenance ici. C’est vrai qu’aujourd’hui nous avons 50 maintenanciers dont 6 ingénieurs, mais cela n’est pas suffisant. Le défaut aussi, c’est le fait que ces maintenanciers n’arrivent pas à prendre soin de certains modèles des équipements qui nous sont livrés. Donc, cela n’exclut pas de voir une panne qui va d’un mois à six mois dans un hôpital, sans dépannage. C’est pourquoi il faudra que l’Etat finance la maintenance. Vous serez très surpris de savoir que les équipements, au niveau du privé comme les équipements de radiologie, d’échographie, de scanner et de l’IRM, font le double de ceux au niveau du public et tombent rarement en panne. En plus, nous avons la question de la radio protection. Il est important d’avoir l’arsenal pour protéger le patient, l’utilisateur et le citoyen lambda qui sont dans l’environnement. En effet, le technicien doit avoir un paravent plombé qui arrête les rayons X. Le technicien qui fait la radio spécialisée doit avoir un tablier et des lunettes plombées. Aussi, la radio vigilance qui est de mettre tout élément capable de nuire à un individu qui va dans un service de radiologie, doit exister dans les différents hôpitaux. Pour finir, il faut évoquer les infrastructures de radiologie, de scannage et de l’IRM. Car, souvent, les équipements ne correspondent pas aux bâtiments construits. J’interpelle le ministère de la Santé pour une politique nationale en matière d’équipement et de maintenance au niveau de la radiologie, des blocs opératoires, des ophtalmologies, des gynécologies. etc.
Quel est le thème retenu pour ce congrès ?
Le thème choisi est « Imagerie médicale au Burkina Faso : Etat des lieux et perspectives ». Il y a également des sous-thèmes dont le premier est « La problématique de l’équipement et de la maintenance ». Le deuxième est « Imagerie des malformations tout venant » et le troisième est « Imagerie du tube digestif » car la plupart des radiologues ne prennent pas le temps d’analyser le tube digestif qui est tout en mouvement.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre métier ?
Les difficultés que nous rencontrons sont, entre autres, l’insatisfaction des radiologues burkinabè de leurs conditions de travail, que ce soit dans le public ou le privé. Ensuite, sur le plan des ressources humaines, nous sommes en nombre insuffisant et de surcroît, des radiologues généralistes. Pourtant, il faut une spécialisation car il est compliqué de maîtriser tous les organes.
En plus, les infrastructures ne respectent pas les normes et sont souvent inadéquates aux équipements.
Ce que je souhaite, c’est la possibilité d’avoir des équipements fonctionnels de manière continue dans le public, parce qu’il n’y a pas de financement pour le maintien et même quand il y en a, la procédure de dépense pose problème et fait traîner les dépannages. Par ailleurs, nous avons le coût élevé des actes en radiologie que beaucoup ne peuvent pas honorer. La limite des moyens fait que certains centres de radiologie n’arrivent pas à s’acquitter de certaines charges financières. Enfin, il y a l’absence de mutuelle, de sécurité sociale et l’assurance maladie universelle.
Autre chose
De 1959 à aujourd’hui, c’est un sentiment de satisfaction mais nous sommes conscients qu’il y a toujours des insuffisances et nous travaillons d’arrache-pied pour relever les défis dans le domaine des ressources humaines, de la maintenance des équipements et des infrastructures. Je souhaite que le radiologue soit au point du centre pour aller au-delà des mains du clinicien afin de mieux asseoir le diagnostic pour la qualité des soins de nos populations.
Valérie TIANHOUN