PRESENTATION D’UN AVANT-PROJET DE CONSTITUTION SUR FOND D’APPELS A MANIFESTER EN GUINEE : Mamadi Doumbouya fait-il dans la diversion ?
En Guinée, le 29 juillet dernier était jour de présentation d’un avant-projet de Constitution au Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif. Une présentation qui marque une étape importante dans le cours de la transition, en ce qu’elle pose les jalons des débats autour de la nouvelle loi fondamentale qui devrait être soumise à référendum avant la fin de l’année. Le nouveau texte constitutionnel qui a été soumis à la Représentation nationale en présence de membres du gouvernement, de représentants du corps diplomatique, mais aussi de partis politiques et d’acteurs de la société civile, prévoit, entre autres, la limitation des mandats présidentiels, l’instauration d’un système de parrainages ainsi que la fixation d’un âge minimum de 35 ans et maximum de 80 ans pour être candidat à la présidentielle. Il est aussi question de la mise en place d’un parlement à deux chambres avec notamment l’Assemblée nationale d’une part et le Sénat d’autre part. Et la démarche des autorités intérimaires se veut d’autant plus inclusive qu’elles promettent de soumettre, dans les jours à venir, le texte aux différentes entités pour un débat citoyen.
Si la démarche inclusive du gouvernement est à saluer, on espère que le référendum attendu ne sera pas une mascarade
Ce, à l’effet de recueillir le maximum de consensus autour de cette nouvelle loi fondamentale dont l’adoption marquera un nouveau départ pour le pays de Sékou Touré. En attendant de voir la suite des événements, on peut déjà se féliciter que le gouvernement de la transition soit sorti de sa léthargie pour proposer un texte qui se veut un pas important dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel. Il était d’autant plus temps qu’ils sont nombreux, les Guinéens qui commencent à s’impatienter et à exprimer ouvertement leurs frustrations par rapport à une transition entamée en septembre 2021 au lendemain de la chute du président Alpha Condé dans les conditions que l’on sait, et qui manque largement encore de lisibilité. Et ce, dans un contexte de restriction des libertés individuelles et collectives où le respect du calendrier de retour à l’ordre constitutionnel reste toujours une énigme. De là à soupçonner l’officier-président et ses compagnons d’armes de velléités de confisquer le pouvoir à défaut de pouvoir s’y éterniser, il y a un pas que de nombreux Guinéens prêts à descendre dans la rue, ont allègrement franchi. A l’image de ces organisations de la société civile qui avaient planifié des journées de protestation contre les arrestations arbitraires, en l’occurrence les 30 et 31 juillet ainsi que le 1er août 2024, et qui ont vu leurs manifestations frappées d’interdiction avec en sus, des menaces de poursuites pénales en cas de non-respect de la mesure. C’est dire la chape de plomb qui pèse sur les Guinéens dans un contexte de restriction des libertés, y compris de la presse et de musèlement des voix discordantes. Si fait que le timing de la présentation de l’avant-projet de Constitution ne manque pas d’interroger.
Il appartient aux Guinéens de se montrer vigilants, s’ils ne veulent pas rater leur rendez-vous avec l’histoire
Alors, face à la pression de la rue qui gronde et aux risques élevés de violences, le président Doumbouya fait-il dans la diversion avec son avant-projet de Constitution présenté en plénière spéciale rien que le 29 juillet dernier, alors qu’il était attendu depuis plusieurs mois ? On est d’autant plus porté à le craindre que cette présentation intervient à la veille de manifestations visant à interpeller les autorités de la transition sur plusieurs points qui ont fait monter, de plusieurs degrés, les tensions sociopolitiques dans le pays. Lequel a été secoué, ces derniers mois, par les arrestations et autres enlèvements de nombreux activistes et hommes politiques, dont des leaders du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Et jusqu’aux avocats qui ont donné de la voix. En tout cas, les Guinéens restent globalement mobilisés non seulement sur les questions des libertés et des droits de l’Homme, mais aussi sur la gouvernance et le retour à l’ordre constitutionnel. C’est pourquoi la présentation de l’avant-projet de Constitution dans le contexte actuel, ne paraît pas innocent. Mais il appartient aux Guinéens de saisir la balle au bond, pour prendre le président Doumbouya et son équipe au mot, en vue du renforcement de la démocratie dans leur pays. A ce propos, si la démarche inclusive du gouvernement est à saluer, on espère que le référendum attendu ne sera pas une mascarade. On attend aussi de voir si le tombeur d’Alpha Condé s’imposera des limites pour ne pas biaiser le jeu, ou s’il fera tout pour se maintenir au pouvoir dans un contexte où il fait déjà l’objet de contestation de la part de certains de ses compatriotes. En tout état de cause, il appartient aux Guinéens de se montrer vigilants, s’ils ne veulent pas rater leur rendez-vous avec l’histoire par rapport à cette nouvelle Constitution.
« Le Pays »