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PRESIDENTIELLE AU TOGO


Les Togolais avaient rendez-vous avec les urnes samedi dernier pour choisir qui des sept candidats en lice après l’écrémage de la Cour constitutionnelle, présidera aux destinées de leur pays pour les cinq prochaines années. Il n’y a certes pas eu de longues files à l’entrée de tous les bureaux de vote, mais pour un pays connu pour ses faibles taux de participation aux différentes élections, le nombre d’électeurs enregistré à l’occasion de cette présidentielle, est tout de même satisfaisant, même si l’on ne dispose pas, pour l’instant, de chiffres exacts émanant de la Commission électorale nationale indépendante. En attendant les résultats provisoires annoncés pour cette semaine, on peut se féliciter du déroulement, dans le calme, du scrutin alors qu’on redoutait une sanglante impasse avec des électeurs aveuglés, des années durant, par des frustrations diverses et surtout au regard des enjeux actuels depuis que la Constitution adoptée en mai 2019, dispose que le président de la République est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours et à la majorité absolue des suffrages exprimés.

Ce serait une erreur de parallaxe que de croire que les lignes de la magouille électorale ont définitivement bougé

Fort heureusement, il n’en a rien été, et même si des manquements ont été signalés çà et là, notamment dans la capitale Lomé qui est historiquement acquise à l’opposition, l’élection de cette année n’a pas donné lieu à un festival de fraudes éhontées comme ce fut le cas lors des précédents scrutins. C’est déjà un bon signe pour la démocratie dans ce pays, qu’en plus du changement du mode de scrutin obtenu sous la pression populaire, le président Faure Gnassingbé qui est seul maitre à bord du rafiot togolais depuis son « intronisation » en 2005 par les officiers nordistes, en vienne à rivaliser avec ses adversaires dans des conditions moins critiquables. Toutefois, ce serait une erreur de parallaxe que de croire que les lignes de la magouille électorale, même tracées avec plus de subtilité et de finesse, ont définitivement bougé dans ce pays. N’oublions pas, en effet, que la nouvelle Constitution n’a pas fait que lever les scellés de la limitation des mandats au profit évidemment de l’actuel président de la République. Elle a aussi permis au régime de réduire sa vulnérabilité à la contestation populaire à travers la loi qui restreint les manifestations publiques, désormais interdites avant 11h et après 18h, avec la possibilité pour l’administration d’en limiter le nombre. A côté de ces moyens liberticides contre d’éventuels opposants à la réélection du candidat à sa propre succession, le parti au pouvoir a procédé, cette fois-ci encore et même pendant les votes, à l’achat de consciences à travers la distribution massive de sacs de riz estampillés « Faure » et de l’argent public, pour une victoire sans nuance de leur champion à l’issue du scrutin. Et que dire de l’inégalité de traitement entre les prétendants au sacre, le président en exercice ayant bénéficié des moyens de l’appareil d’Etat et des faveurs des médias publics ? Avec tous ces moyens de répression et ces avantages dont dispose Faure Gnassingbé, on se demande pourquoi les autres candidats qui sont tous de l’opposition, et qui disent rêver d’une alternance à l’occasion de cette élection a priori jouable, n’ont pas décidé d’une stratégie commune, c’est-à-dire de se préparer à faire bloc derrière celui qui serait qualifié pour le second tour, afin de sortir enfin le sortant dans les quinze jours suivants.

La réélection de Faure Gnassingbé ne relève plus d’une hypothèse d’école, mais d’une quasi-certitude

La réponse à cette interrogation est à chercher dans le déficit de confiance réciproque entre les ténors de cette opposition et dans les éternelles querelles picrocholines qui ont toujours fini par avoir raison de sa cohésion et de l’espoir qu’elle a suscité à un moment donné chez tous ces Togolais assoiffés d’alternance. En tout état de cause, l’implosion de la Coalition des 14 partis de l’opposition qui avait drainé des foules gigantesques dans les rues des principales villes togolaises, en 2017 et 2018, l’irruption impromptue sur la scène politique de candidats indépendants et/ou centristes dont certains sont de parfaits inconnus, la connivence avec le parti au pouvoir de quasiment tous les corps constitués qui ne sont pas prêts à renoncer à la manne financière officielle ou officieuse offerte par les tenants du pouvoir, ont fait en sorte que la réélection de Faure Gnassingbé ne relève plus d’une hypothèse d’école, mais d’une quasi-certitude malgré les jérémiades inévitables de ses principaux challengers. Pour être davantage précis, c’est sur du velours que le natif de Afagnan est vraisemblablement en train actuellement de rouler pour effectuer son quatrième tour de piste présidentielle, et rêve peut-être déjà du cinquième que lui autorise la nouvelle Constitution. En attendant que la CENI confirme ce que l’on imagine déjà, Faure Gnassingbé se mure dans le silence probablement pour se fabriquer des résultats juste suffisants pour le faire passer pour un chef d’Etat véritablement élu à la régulière : pas de score fleuve et gênant à la Noursoultan Nazarbaev, mais…attention, il ne poussera pas la modestie ou l’humilité jusqu’à s’octroyer un pourcentage qui flirtera avec la ligne rouge du ballotage. Jusqu’en 2025 au moins, lui qui dirige le seul pays de l’Afrique de l’Ouest qui n’a jamais connu d’alternance démocratique, pourrait continuer à faire figure d’exception parmi ses pairs de la sous-région, avec la bénédiction et les félicitations de l’ancienne puissance coloniale française qui, même si elle n’a pas d’amis au Togo, a beaucoup d’intérêts dans ce pays qui espère devenir un hub régional avec son taux de croissance séducteur de 5%, l’absence de groupes terroristes actifs sur son territoire, son nouvel aéroport international et son port en eaux profondes. Des atouts énormes qui pourraient ouvrir le boulevard à cet homme qui nourrit secrètement l’ambition de faire mieux que son père qui a régné sans partage sur le Togo trente-huit ans durant, car, même si la Constitution actuelle limite ses mandats à deux, rien n’indique qu’avec l’Assemblée nationale actuellement largement dominée par son parti, le calendrier des ajustements constitutionnels soit complètement bouclé pour les années à venir.

« Le Pays »


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