PRESIDENTIELLE AU ZIMBABWE
Le jeune Chamisa parviendra-t-il à chasser le crocodile de la mare ?
Alors que les Zimbabwéens sont invités à faire le choix entre la ZANU/PF de Emmerson Mnangagwa et le MDC du jeune Nelson Chamisa, l’ex-président, Robert Mugabe, que l’on n’avait plus entendu depuis quelques mois, vient de jeter un pavé dans la mare. En effet, au cours d’une conférence de presse animée le 29 juillet, il appelle ses partisans à voter contre son parti, la ZANU/PF ; preuve, s’il en est, que l’homme n’a pas encore digéré son éviction du pouvoir. En tout cas, si sous l’ère Mugabe, les élections étaient considérées comme une vaste comédie, il en va autrement aujourd’hui où l’on enregistre une grande évolution. En effet, avec l’arrivée de Emmerson Mnangagwa au pouvoir, l’on peut avoir l’impression que cette page d’élections simulées, est en passe d’être tournée.
Un vent nouveau souffle sur le pays
En effet, d’abord, les nouvelles autorités ont ouvert les frontières du pays à de nombreux observateurs étrangers, à l’effet de vivre en live le déroulement des élections. Pour une révolution, c’en est une. En tout cas, c’est le signe qu’un vent nouveau souffle sur le pays, depuis que le palais présidentiel du pays, le Blue Roof, pour ne pas le nommer, a connu l’arrivée d’un nouveau locataire. Une autre illustration du vent démocratique qui souffle sur le Zimbabwe, est liée à ceci : le samedi dernier, les différents partis ont pu tenir librement leurs derniers rassemblements politiques dans la capitale Harare. Sous le règne de Mugabe, c’était chose impensable. Tous ces changements majeurs allant dans le sens des bonnes pratiques démocratiques, sont à mettre à l’actif de Emmerson Mnangagwa. Mais l’homme aurait eu droit à davantage de lauriers si après avoir débarrassé le pays de Mugabe, il avait eu la grandeur d’esprit et l’élégance de prendre sa retraite politique après la transition. Ce qui, malheureusement, n’a pas été le cas.
Cela dit, les élections d’hier sont les plus ouvertes de l’histoire du pays. De ce point de vue, l’on peut se poser la question suivante : le jeune Nelson Chamisa parviendra-t-il à chasser le vieux crocodile du fleuve Limpopo ? Répondre par l’affirmative à une telle question est loin d’être insensé. Et pour cause. D’abord, Nelson Chamisa a réussi le tour de force de fédérer autour de sa personne, l’ensemble des forces de l’opposition. Après la disparition de Morgan Tswangirai, on avait craint que la bataille pour lui succéder, ne conduise l’opposition à voler en éclats. Apparemment, ce tournant a été bien négocié au point que l’opposition parle aujourd’hui d’une même voix. Ce qui est assez rare sous nos cieux pour être souligné et salué. Ensuite, pendant presque 40 ans, les Zimbabwéens n’ont pas connu la joie de vivre une véritable alternance. De manière exclusive, ils ont été gavés de nourriture servie par le parti de Robert Mugabe. Et ils ont vu des vertes et des pas mûres sous le règne des vétérans de la guerre de libération. Même avec l’arrivée de Emmerson Mnangagwa, la mainmise des vétérans en général et celle de l’armée en particulier sur la vie politique, reste encore d’actualité. Les Zimbabwéens, de ce point de vue, peuvent avoir envie de
connaître une autre expérience, avec une nouvelle classe politique. Et Nelson Chamisa leur en donne l’opportunité. Le troisième et dernier argument et non des moindres qui milite pour lui, est sa jeunesse.
L’effet Macron pourrait se reproduire au Zimbabwe
En effet, il vient de fêter ses 40 ans. Et beaucoup d’électeurs sont de sa génération. Et comme lui, ils pourraient être imperméables à l’argument massue de la ZANU/PF selon lequel le pays doit beaucoup à tous ceux qui ont pris les armes pour que les populations accèdent à la dignité et à la liberté. Cette légitimité historique pourrait ne pas être déterminante dans le choix des électeurs. Les jeunes, sans renier cette contribution majeure de la ZANU/PF à l’indépendance du pays, sont beaucoup plus préoccupés par le présent et l’avenir. De ce point de vue, ils pourraient tourner le dos à la ZANU/PF dont le regard est exclusivement orienté vers le passé, pour envisager autre chose avec le MDC de Nelson Chamisa. Et sait-on jamais ? L’élection de Macron, le plus jeune président de l’histoire de la France, pourrait inspirer bien des électeurs du Zimbabwe. Certes, comparaison n’est pas raison, mais l’effet Macron pourrait se reproduire au Zimbabwe. Mais ce serait aller trop vite en besogne que d’analyser la nouvelle situation politique sous l’angle de ces éléments. En effet, Emmerson Mnangagwa bénéficie de la prime au sortant. En outre, il peut tirer profit de la puissante machine électorale de la ZANU/PF. L’on peut ajouter à cela le fait qu’il existe encore au Zimbabwe, de véritables nostalgiques de la longue et difficile guerre de libération. Et Emmerson Mnangagwa, après le départ forcé de Robert Mugabe, est justement un des héros de cette époque. En tout état de cause, Emmerson Mnangagwa a l’occasion de prouver à la face de ses compatriotes, et du reste du monde, qu’il n’a pas pris la place de son ancien mentor, Robert Mugabe, pour simplement jouir des délices du pouvoir mais pour arrimer le Zimbabwe à la démocratie, la vraie. Et ces élections constituent un véritable test pour lui. S’il perd à la régulière et s’il accepte de se plier à la sanction de ses compatriotes, il pourra passer dans l’histoire de son pays comme un homme d’Etat, malgré le fait que bien des crimes commis sous l’ère Mugabe, peuvent lui être imputés. Mais s’il organise les choses de sorte à gagner coûte que coûte, il risque, comme celui qu’il a déposé il y a 8 mois avec l’aide de l’armée, de quitter le pouvoir par la fenêtre. En tout cas, les choses sont claires. Il lui revient de choisir l’image qu’il voudra que ses compatriotes retiennent de lui.
« Le Pays »