PRESTATION DE SERMENT DE LA MINISTRE DE LA DEFENSE RAPONDA AU MAROC
Le Gabon a-t-il perdu la raison ?
Le fait est tellement d’une grande curiosité qu’il mérite d’être évoqué. Un Etat souverain qui affrète un avion pour les membres de la Cour constitutionnelle et pour un membre du gouvernement pour aller prêter serment à l’étranger. On croirait au synopsis d’un film sarcastique qui est destiné à faire un carton à la toute prochaine édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Mais là, il ne s’agit pas d’une fiction. Ça se passe au Gabon. En effet, le 12 février dernier, la nouvelle ministre de la Défense nationale et de la sécurité du territoire, Rose Christiane Ossouka Raponda, a prêté serment devant le président grabataire gabonais Ali Bongo en présence des Sages. Et ce, conformément à l’article 15 de la Constitution du pays. Quoi de plus normal que de sacrifier à ce sacro-saint principe d’autant qu’il est prévu par la Loi fondamentale ?
Cela dit, ce qui pèche et qui est répugnant dans cette cérémonie de prestation, c’est le lieu. En se basant sur le principe de l’extraterritorialité, on a organisé le cérémonial dans les locaux de l’ambassade du Gabon, à Rabat, capitale marocaine. Cela est tout simplement indécent. C’est inadmissible pour un pays qui veut se faire respecter. Car toute prudence gardée, l’on a envie de dire qu’il s’agit là d’un fait inédit dans le monde, qu’une Cour constitutionnelle d’un pays souverain, aille tenir une audience solennelle sur un autre territoire en se prévalant du principe de l’extraterritorialité. C’est pourquoi on en est toujours à se demander si le Gabon n’a pas perdu la raison.
Ali Bongo aurait pu s’inspirer de Cameroun où Ahmadou Ahidjo avait décidé de démissionner pour raison de maladie
Au-delà des frais que cette cérémonie de prestation de serment a engendrés pour le contribuable gabonais, elle montre à souhait les limites des institutions de ce pays, tout en apportant de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la République gabonaise se limite à une seule personne : Ali Bongo. La Constitution change régulièrement en fonction des intérêts vitaux du président gabonais. Si besoin en était de le rappeler encore, au lendemain de sa crise d’AVC qui l’a éloigné du palais présidentiel, la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo, avait procédé, par un tour de passe-passe, au reajustement de la Constitution afin de ramener tous les pouvoirs entre les mains du président. Cette fois-ci, en faisant fi de toute décence républicaine pour permettre à sa Cour de se déplacer jusqu’au Maroc afin de montrer aux yeux du monde que le président gabonais a toujours les pleins pouvoirs et les facultés nécessaires de diriger le pays, le régime laisse entrevoir plutôt que ce n’est pas demain la veille le retour du président Bongo. Toute chose qui va davantage alimenter les débats sur l’obstination de ce dernier à vouloir diriger le pays, malgré sa santé chancelante. Alors qu’il aurait pu s’inspirer de ce qui est déjà arrivé dans un des pays voisins, notamment le Cameroun pour ne pas le citer, où Ahmadou Ahidjo avait décidé de démissionner pour raison de maladie vraisemblablement beaucoup moins grave que l’AVC dont souffre le chef de l’Etat gabonais au pouvoir depuis octobre 2009.
Drissa TRAORE