PRESTATION DE SERMENT DE RAILA ODINGA AU KENYA : Peut-on revendiquer la victoire d’une bataille que l’on n’a pas menée ?
Hier, 30 janvier 2018, Raïla Odinga a tenu parole en prêtant serment, comme prévu, devant des milliers de sympathisants accourus à Uhuru Park autant pour défier l’interdiction faite par le gouverneur, que pour ne pas se faire conter l’évènement. Rien n’est donc parvenu à bout de la détermination du challenger du président Uhuru Kenyatta : ni les mises en garde du procureur général le menaçant de la peine de mort, ni les tentatives de médiation menées par les nombreuses bonnes volontés et les grandes chancelleries présentes à Nairobi, ni les risques de violences, ni même les menaces d’implosion de son propre camp. Si la cérémonie s’est déroulée pacifiquement malgré le déploiement massif des forces de l’ordre, point n’est besoin d’avoir le troisième œil du sorcier pour prédire que les pas de danse des faucons de la Nasa, se sont exécutés sur un volcan dont la meurtrière éruption a été pour l’instant retardée.
La position de Raïla Odinga est difficilement défendable
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? L’imbroglio consécutif à cette prestation de serment est tributaire de la dernière présidentielle que l’on pourrait qualifier de chaotique. Elle a fourni le prétexte à la contestation et à la défiance des autorités étatiques qui en sont issues, mais l’on sait que ces agitations ne constituent que le remous de surface d’une lame de fond alimentée par des clivages entre les deux groupes ethniques majoritaires du pays. A cette vase magmatique entretenue par le système colonial britannique, sont venues s’ajouter les ambitions personnelles de deux hommes qui cristallisent l’antagonisme de ces deux ethnies, Raïla Odinga qui semble lancé dans ce qui, de toute évidence, s’apparente au dernier combat de sa vie et Uhuru Kenyatta dont l’entêtement à demeurer au pouvoir a été à l’origine de pratiques qui ont jeté le discrédit sur les dernières élections. Et de ce dernier point de vue, l’on peut comprendre Raïla Odinga qui s’est senti floué à de nombreuses reprises lors des consultations électorales. La sagesse africaine ne fait-elle pas dire au chien que « c’est se faire tomber à tour de rôle qui rend le jeu intéressant » ? Raïla Odinga est donc résolu à pourrir le mandat de son challenger, quel que soit le prix à payer. « Si cela me coûte la vie ou qu’on m’emmène en prison, je suis prêt à en payer le prix », avait-il lancé la veille. Cela dit, quelles que soient les motivations de l’opposant kényan, sa position est difficilement défendable. En effet, n’ayant pas pris part au scrutin repris du 26 octobre dernier, l’on comprend difficilement comment il peut revendiquer la victoire d’une élection à laquelle il n’était même pas candidat. Son attitude est d’autant plus incompréhensible que sa prestation de serment prend des libertés avec la loi kényane, la Cour suprême qu’il avait applaudie à se rompre les doigts ayant annulé le scrutin du 9 août et validé la victoire de son adversaire. Ce dernier dispose donc de la légalité constitutionnelle et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’opposant offre des verges au pouvoir pour se faire fouetter. Si le pouvoir, malgré l’armada qu’il a déployée, s’est retenu d’intervenir brutalement, l’on imagine difficilement comment il pourrait tolérer pendant longtemps cet acte de défiance qui menace les fondements même de l’Etat kényan.
Une bataille perdue d’avance
Cela dit, l’on peut se demander si la stratégie choisie par Raïla Odinga en se faisant introniser, est payante pour le combat qu’il mène. On peut en douter pour plusieurs raisons. D’abord, sa prestation de serment n’a aucune valeur juridique et la réalité du pouvoir ne changera pas de camp du fait de cette simple cérémonie d’intronisation. Ensuite, il est tout à fait certain qu’il ne sera pas reconnu comme président du Kenya par la communauté internationale ; ce qui aura pour effet de l’isoler et de le priver de tout soutien diplomatique. Cela est d’autant plus vrai que les chancelleries occidentales ont vainement tenté de le convaincre d’abandonner son projet, en mettant en avant son héritage politique et son image auprès de la communauté internationale. Par ailleurs, en se laissant séduire par les chants de sirène de l’aile radicale de son parti, l’homme s’est sans doute mis à dos une bonne partie de l’opinion nationale dont ses propres partisans qui estiment que la page des élections est tournée. C’est pourquoi l’on pourrait penser que cette investiture ne sert pas l’image de l’opposant attaché à la légalité que le monde entier avait applaudi, ni ne préserve l’héritage politique que celui-ci était censé léguer aux générations montantes pour continuer le combat pour l’alternance. Enfin, l’on peut se demander légitimement si l’opposant ne livre pas une bataille perdue d’avance. Car, que peut une poignée d’irréductibles, les mains nues, face à un Etat qui dispose de tous les moyens ? Mais faut-il pour autant charger l’homme de tous les péchés du Kenya ?
L’on peut répondre par la négative. En effet, le président Uhuru Kenyatta dont l’autorité est contestée par le dernier développement du feuilleton électoral kényan, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Car, c’est son entêtement à conserver le pouvoir comme un héritage familial, qui, en partie, explique la crise actuelle.
« Le Pays »