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PROCES DE BLAISE COMPAORE ET SON DERNIER GOUVERNEMENT : Les avocats de la défense claquent la porte


Après deux renvois dans ce que l’on peut désormais appeler « Affaire Luc Adolphe Tiao et autres », les 27 avril et 2 mai derniers, la reprise de l’audience était prévue pour hier, 8 mai 2017. Mais dès l’ouverture du procès, la défense a introduit une requête aux fins de renvoi à la Cour constitutionnelle pour statuer sur la constitutionnalité de la Haute cour de justice. Une requête que la cour a jugée irrecevable. Face à une telle décision, la défense a simplement décidé de se retirer du procès.

 

Depuis le début du procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, le Tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou ne désemplit pas, lors des audiences. La journée du 8 mai 2017 n’a pas dérogé à la règle. La longue file d’attente pour accéder à la salle, en ce 3e jour des audiences, en dit long sur l’engouement que suscite cette affaire au sein de l’opinion. Ils étaient des centaines à n’avoir même pas franchi le hall du TGI lorsque l’on a entendu dans les hauts parleurs installés à cet effet, le président de la Haute cour de justice, Mathieu B. Ouédraogo, annoncer que « l’audience a repris ». Il commence par faire cas des exceptions soulevées par les avocats de la défense. Ces derniers, a-t-il dit, pourront intervenir dans un ordre qu’il a pris le soin d’établir. C’est à ce moment précis que l’on a entendu Clémence Witt, avocate de Blaise Compaoré et collaboratrice de Pierre-Olivier Sur, déclarer : « Nous sommes là pour renouveler notre demande d’assister Blaise Compaoré », a-t-elle fait savoir au président de la cour. Mais ce dernier lui a avancé les mêmes arguments que ceux annoncés préalablement à Me Sur, le 2 mai dernier, à savoir que selon les lois burkinabè, et dans une procédure pénale, on ne peut représenter un accusé qui n’est pas présent. Me Clémence Witt demande donc de faire noter qu’elle entend assister au procès en tant qu’observatrice. « On vous remercie de prendre la parole sans l’avoir demandée », a-t-il répondu à l’avocate de Blaise Compaoré avant de passer la parole à la défense. Et c’est l’ex- bâtonnier, Mamadou Traoré, qui a été le premier à intervenir. Avant de rentrer dans le fond de l’exception de nullité soulevée, il a d’abord précisé que la défense n’est pas dans le dilatoire, contrairement à ce que l’on pense. Leurs clients, a-t-il mentionné, s’impatientent aussi de voir l’épilogue de cette affaire, mais il faudra que cela soit fait dans le respect des règles de droit. « La loi doit être la loi, mais les textes qui fondent la Haute cour de justice posent problème », foi de Mamadou Traoré. Cela, a-t-il ajouté, pour deux raisons essentielles. D’abord, selon la défense, parce que les dispositions de la loi organique portant composition et fonctionnement de la Haute cour de justice font fi du principe du double degré des juridictions. A entendre la défense, en son article 21, cette loi stipule que les décisions rendues par la cour ne peuvent faire l’objet de recours ou d’appel. Toute chose qui, selon lui, est inacceptable car ce serait affirmer avec certitude que le premier juge ne saurait se tromper. Pour la défense, disposer et profiter du double degré des juridictions est une disposition pour tous les citoyens et la Constitution burkinabè, en son article 4, stipule que tous les citoyens sont égaux en droit. « Même Hissène Habré, jugé pour crimes contre l’humanité a eu droit à l’appel », a-t-il fait remarquer avant de poser la question : « Pourquoi nos clients ne bénéficieraient-ils pas d’une telle disposition ? ».

C’est pour cette raison que l’ex-bâtonnier a évoqué l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 21 de la Haute cour de justice. Car, pour lui, poursuivre l’audience dans de telles circonstances n’aboutirait pas à la justice équitable tant recherchée. Et ce n’est pas tout. « Nul ne peut être poursuivi qu’en vertu des textes promulgués avant les faits », a lancé Me Mamadou Traoré. Pourtant, a-t-il ajouté, les textes de la cour ont été promulgués en juin 2015, soit près d’une année après la chute du régime Compaoré. Il y a donc vice de procédure, à entendre la défense car, le principe de non-rétroactivité de la loi n’est pas non plus appliqué dans la présente affaire. « Pourtant, cela relève du principe élémentaire du droit », a-t-il martelé.  Le non-respect du double degré des juridictions et celui de la non-rétroactivité de la loi sont, pour la défense, synonymes d’inconstitutionnalité. Evoquant l’article 157, alinéa 2 de la Constitution, la défense a donc demandé à la cour de renvoyer l’affaire auprès du Conseil constitutionnel qui est la seule instance qui puisse se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi.  Prenant la parole, le ministère public a d’abord indiqué qu’il prend acte des requêtes de la défense. Mais, selon lui, la Haute cour de justice n’est pas une juridiction ordinaire. C’est une juridiction d’exception et en tant que telle, ces règles ne devraient pas s’appliquer forcément. Aussi, selon le procureur, la loi portant composition et fonctionnement de la Haute cour de justice est une loi organique qui, d’ailleurs, a déjà fait l’examen par le Conseil constitutionnel pour vérifier sa constitutionnalité, comme l’indique l’article 97 de la Constitution. Pour la défense, cet argument ne peut tenir car, l’article 157 est clair et de ce fait, en dehors du Conseil constitutionnel, la Haute cour même est incompétente pour statuer sur la question d’inconstitutionnalité qui a été soulevée. C’est sur ces mots que le président a suspendu l’audience pour 45 minutes. Il était exactement 10h. Mais au lieu de patienter 45 minutes comme l’a indiqué la Cour, toute l’assemblée a attendu pendant 3 heures de temps. En effet, c’est à 13h que la Cour a fait son entrée dans la salle, pour la reprise des audiences. Après avoir rappelé l’ensemble des questions soulevées par la défense et le ministère public, elle a conclu que le recours de la défense est dépourvu d’objet, par conséquent rejeté. « Nous allons donc suspendre et reprendre l’audience dans 1 heure », a encore annoncé le président de la Cour. Mais avant qu’il n’ait terminé sa phrase, la défense, estimant que cette décision de la cour est injuste, prend la parole et dit ceci : « Avant de suspendre l’audience, permettez-nous de relever ceci : (…) Aucun confrère ne va rester ici pour suivre le reste de cette procédure. Ce sera à votre juridiction d’expliquer au peuple pourquoi nous sommes partis ». Tous les avocats de la défense ont ainsi claqué la porte de l’audience. A la reprise, le président de la Cour a demandé aux accusés ce qu’ils avaient à dire au regard des différents débats qui ont eu lieu. C’est Luc Adolphe Tiao, l’ex-Premier ministre, qui a pris la parole au nom des autres accusés. Pour lui, sans leurs avocats, ils ne savent pas comment les choses vont vraiment se passer. Le président de la Cour leur a donc donné 72 heures pour trouver d’autres avocats et a reporté l’audience pour le 15 mai prochain.

 

Adama SIGUE

 

 Les articles de la Constitution cités lors de l’audience

 

Article 97 de la Constitution

 

Loi  N°033-2012/AN  du  11  juin  2012–Art.  1er

 

La  loi  est  une  délibération régulièrement promulguée du Parlement. La loi à laquelle la Constitution confère le caractère organique est une délibération du  Parlement  ayant  pour  objet  l’organisation  ou  le  fonctionnement  des  institutions. Elle est votée à la majorité absolue et promulguée après déclaration de sa conformité avec la Constitution par le Conseil constitutionnel. L’initiative de la loi appartient concurremment aux députés, aux sénateurs et au Gouvernement. Les projets de texte émanant des députés ou des sénateurs sont appelés « propositions de loi» et ceux émanant du gouvernement «projets de loi». Les  propositions  et  projets  de  loi  sont  délibérés  en  Conseil  des  ministres avant leur dépôt sur le bureau de chaque chambre du Parlement.

 

Art. 157. Loi N°033-2012/AN du 11 juin 2012–Art. 1er. Le Conseil constitutionnel  est saisi par :

–  le Président du Faso ;

 -le Premier ministre ;

-le Président du Sénat ;

 -le Président de l’Assemblée nationale ;

 -un dixième (1/10) au moins des membres de chaque chambre du Parlement.

Si,  à  l’occasion  d’une  instance  en  cours  devant  une  juridiction,  il  est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés  que  la  Constitution  garantit,  le  Conseil  constitutionnel  peut-être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de  cassation.  Le  Conseil  constitutionnel  se  prononce  dans  un  délai déterminé par la loi. Une loi organique détermine les conditions d’application de cette disposition. Le Conseil constitutionnel peut se saisir de toutes questions relevant de sa compétence s’il le juge nécessaire.

 

Source : Constitution du 2 juin 1991

 

 

 

Les réactions des avocats après l’audience

 

Me Mamadou Traoré

 

« On ne boycotte pas »

 

« La Haute cour de justice, dans sa formulation actuelle, dit clairement qu’il est interdit aux prévenus ou aux accusés d’avoir ce droit élémentaire de recours. Devant les chambres africaines, Hissène Habré, accusé de crimes de guerre a eu droit à l’appel. Comment des gens que l’on juge pour avoir rendu service à la Nation, ne peuvent-ils pas avoir ce droit élémentaire ? Dans leur décision, on ne nous a même pas répondu sur la non-rétroactivité. La loi a été adoptée en 2015 alors que le gouvernement a été dissous en 2014. Comment va-t-on adopter une loi après la commission des faits ? Notre Constitution est claire là-dessus, nul ne peut être jugé que par une loi promulguée avant la commission des faits. Donc, pour ces raisons, la demande de toute la défense tendait à dire que la justice que le peuple attend, ce n’est pas la justice spectacle. Ce n’est pas la justice des uns contre les autres, mais la justice qui permet à notre peuple d’être apaisé et cela commence par des lois équitables. La loi sur la Haute cour de justice viole la Constitution du Burkina et tous les engagements internationaux. On ne peut pas venir nous dire qu’il y a déjà eu un avis de conformité. Mais, ce n’est pas à eux de se substituer au Conseil constitutionnel. Ce sont des questions de principes, ce n’est pas la polémique ou un spectacle, car nous avons autre chose à faire dans nos cabinets. On ne boycotte pas, mais nous ne sommes pas à même d’assurer la défense des gens qui n’ont pas le droit d’appel. Si on veut les condamner, qu’on les condamne et c’est tout ! »

 

Clémence Witt, avocate de Blaise Compaoré

 

« Ce procès viole les standards minima »

 

« C’est une procédure qui viole les standards internationaux du principe du droit. Il y a une hiérarchie des normes. Aux termes de cette hiérarchie, les engagements internationaux du Burkina auxquels il est fait référence dans la Constitution du Burkina, sont au-dessus dans cette hiérarchie du droit positif national. La seule chose que nous demandons, c’est que la Haute cour respecte les engagements internationaux pris par le Burkina Faso. Ce procès viole les standards minima du droit international qui permettent un exercice des droits de la défense. »

 

Propos recueillis par A.S

 

 

 

1- Maître Mamadou Traoré

 

2- Clémence Witt, avocate de Blaise Compaoré

 

 

ENCADRE 3

 

Où est passée la loi organique portant composition et fonctionnement de la Haute cour de justice ?

 

Après les exceptions soulevées par les avocats de la défense, nous avons fait un tour sur le site de l’Assemblée nationale où sont logées, dans la partie archives, les différentes lois votées par le Conseil national de la Transition (CNT). Nous avons pu avoir accès à la version PDF des autres lois à l’exception de celle relative à la création de la Haute cour de justice. L’intitulé est bien visible ici : « http://archives.assembleenationale.bf/spip.php?rubrique18&debut_articles_ensble=80#pagination_articles_ensble » et avec cette description : « LOI ORGANIQUE N°017-2015/CNT PORTANT MODIFICATION DE LA LOI ORGANIQUE N°20/95/ADP DU 16 MAI 1995 PORTANT COMPOSITION ET FONCTIONNEMENT DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE ET PROCEDURE APPLICABLE DEVANT ELLE ». Mais, lorsque nous suivons le lien, voici ce à quoi cela nous renvoie : « The requested URL/IMG/pdf/loi_017_portant_modification_de_la_loi_haute_cour_de_justice.pdf was not found on this server ».

 

 

 

 

La déclaration commune de la défense (Image : Declaration.jpeg)

 

 


Comments
  • Ecoutez, l’attitude ou le comportement des avocats de la défense à notre humble avis relève purement et simplement de manœuvres de « dilatoire » ou de « blocage » dans le but de saborder ce procès dont les enjeux judiciaires, sociaux et politiques sont importants pour le Burkina Faso. Car la source des textes nationaux régissant cette Haute Cour de Justice date de 1995 et révisé en 2015 reconnu par notre constitution de 1991 en vigueur. Ce tribunal comme tout autre ne fait qu’appliquer la loi. Sommes-nous dans « une république des lois ou bien dans une république des avocats » ? Les textes nationaux et la constitution doivent être respectés par toutes les parties, car les avocats semblent fuirent le jugement de cette affaire et pourtant c’est après des débats dans le fonds de toute les parties qu’une décision pourrait en sortir. Partant donc de ce fait, une fois les exceptions soulevées vidées par le Tribunal, et qu’il n’y’a pas en fait de problème de non-rétroactivité de la loi en l’espèce, ce procès doit se poursuivre normalement. Mais, Il appartient aux accusés présents de se trouver d’autres avocats, si les Me Antoinette et compagnie se sont définitivement déportés. Ne tergiversons pas avec la justice car la trentaine de morts qui dorment au cimetière et les six cents blessés graves à vie n’ont pas bénéficiés d’un quelconque traitement équitable pendant la répression vigoureuse du régime l’ex-Président Blaise compaoré. Si les accusés avaient eu le courage ne serait ce de demander un quelconque conseil d’un avocat ou non, avant les événements des 30 et 31 octobre 2014, peut être que les choses ce seraient passées autrement, mais ils étaient obnubilés par les délices du pouvoir d’un homme. Alors, chacun doit prendre ses responsabilités et ce procès doit être réalisé sans passion mais avec l’application ferme de la loi de notre pays. Courage et Salut !

    9 mai 2017

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