HomeA la unePROCES DE HISSENE HABRE : L’Afrique saura-t-elle relever le défi ?

PROCES DE HISSENE HABRE : L’Afrique saura-t-elle relever le défi ?


« Accusé Habré, levez-vous et veuillez prendre la parole ! ». A moins d’une improbable surprise, ces propos retentiront ce lundi 20 juillet 2015 dans la salle d’audience n° 4 fraichement rénovée du tribunal de Dakar où s’ouvrira le procès sans doute le plus emblématique jamais organisé sur le continent, celui d’un ex-chef d’Etat africain, le Tchadien Hissène Habré en l’occurrence.

Devant la Chambre d’Assises des chambres africaines extraordinaires, le natif de Faya-Largeau, qui a présidé aux destinées de la République du Tchad avec une main de fer, de 1982 à 1990, devra répondre des faits de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture commis dans l’exercice de ses fonctions, avec à la manœuvre sa très redoutée police secrète, la fameuse Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).

Avec le début de ce procès tant attendu par toutes les victimes de Hissène Habré, ce sera, espérons-le, le début de l’épilogue d’un « interminable feuilleton politico-judiciaire », pour reprendre les termes de l’Archevêque sud africain Desmond Tutu, et dont le clap de départ avait été donné en février 2000 par un juge sénégalais qui avait inculpé l’ex dictateur tchadien et l’avait placé en résidence surveillée.

Depuis, l’incroyable saga judiciaire contre Hissène Habré a connu plusieurs rebondissements, de la saisine du tribunal à compétence universelle de la Belgique par Human Rights Watch et les victimes Tchadiennes et son inculpation en 2005, jusqu’à son arrestation à Dakar en 2013 et la mise sur pied par le Sénégal d’une juridiction spéciale pour le juger, en passant par l’arrêt sans ambiguïté rendu par la Cour Internationale de Justice le 20 juillet 2012, obligeant l’Etat du Sénégal à le juger ou à le livrer à la Belgique.

Entre-temps, l’Union africaine s’était elle aussi saisie du dossier, et avait invité le Sénégal à entreprendre toutes les réformes juridiques nécessaires afin de juger Hissène habré « au nom de l’Afrique ».

Il suffit d’une volonté politique pour créer une Cour de justice africaine à l’instar de la CPI

Avec l’ouverture du procès ce lundi à Dakar donc, l’on peut dire que c’est un pari gagné par l’UA et par tous ceux qui ont œuvré avec opiniâtreté pour que l’ex-président tchadien rende des comptes pour les huit ans qu’il a passés au pouvoir, marqués par 40 000 morts et plus de 200 000 personnes torturées par la sanguinaire DDS.

La comparution de Hissène Habré en terre africaine du Sénégal devant une Cour de justice composée d’Africains, a, au-delà de son symbolisme et de son caractère historique, une grande portée pédagogique et jurisprudentielle, d’autant qu’elle vient rappeler à tous ceux qui sèment la terreur dans leur zone d’influence, qu’ils soient chefs d’Etat ou chefs de guerre, qu’ils pourraient désormais, faire l’objet de poursuites judiciaires s’ils se retrouvaient dans l’un des 42 pays du continent signataires de la Convention des nations unies contre la torture.

En prenant la décision courageuse de laisser traduire Hissène Habré, malgré les multiples soutiens dont il dispose dans les différentes confréries religieuses et même dans la classe politique sénégalaise, devant la juridiction à compétence extraterritoriale dont il a contribué à la mise en place en février 2013, le président sénégalais Macky Sall respecte non seulement un engagement qu’il avait pris en juin de la même année auprès de la Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme (FIDH), mais fait également de son pays le précurseur de la lutte contre l’impunité des dirigeants africains, même après la fin de leur mandat.

Et l’exemple sénégalais semble déjà faire des émules, un autre pays africain, la République centrafricaine (RCA) pour ne pas le nommer, ayant lui aussi décidé de revoir son ordonnancement juridique afin que la justice centrafricaine puisse demander des comptes à tous les apprentis sorciers qui ont semé la zizanie et la mort dans ce pays, qu’ils soient Centrafricains ou non.

C’est la preuve, s’il en est, qu’il suffit d’une volonté politique pour créer une Cour de justice africaine à l’instar de la CPI pour juger tous ceux qui, usant et abusant de leur position dominante, se rendraient responsables ou coupables d’actes criminels. Du coup, on trouverait des arguments supplémentaires pour dénier à la CPI le droit de diriger la lame effilée de son épée sur la gorge des moutons noirs de la démocratie et de la gouvernance qui viennent, comme par hasard, exclusivement des prairies africaines.

Mais encore faut-il transformer l’essai, en faisant de ce procès sans précédent dans l’histoire du continent un exercice réussi, en disant le droit et en permettant aux victimes du système Habré et aux défenseurs des droits de l’Homme de pousser, enfin, un soupir de soulagement.

Disons-le clairement, le combat pour la vérité et la justice n’est pas forcément gagné d’avance, simplement parce que le célèbre inculpé de 72 ans et souffrant du cœur, pourrait se « calfeutrer » dans un silence méprisant, face aux parties civiles et surtout aux trois juges dont il n’a jamais reconnu ni la légitimité ni la compétence, au grand dam de tous ceux qui attendent, depuis 25 ans, que la vérité sorte du prétoire et que les torts soient réparés.

Mais espérons que Hissène Habré dont on dit qu’il est humble et courageux, mettra à contribution ces rares valeurs dont il dispose pour dire la vérité aux victimes, à leurs familles et à tous les Africains. Ceux-ci, on s’en doute, seront nombreux à suivre sur leurs petits écrans les possibles grands déballages qui auront l’avantage de faire trembler tous ces chefs d’Etat aux placards remplis de cadavres. Sont de ceux-là Idriss Deby Itno lui-même, successeur de Habré et, on l’oublie souvent, ancien chef d’état-major du dictateur qui s’est toujours servi de l’affaire Habré comme dérivatif pour mieux consolider son pouvoir.

Hamadou GADIAGA


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