HomeA la unePROCES DE L’ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA  

PROCES DE L’ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA  


Le procès de l’affaire Thomas Sankara et de ses 12 compagnons d’infortune a repris hier, 8 novembre 2021, par l’interrogatoire de l’accusé Jean Pierre Palm.  Etait également à la barre, Pascal Ninda Tondé, chauffeur du général de brigade Gilbert Diendéré, capitaine au moment des faits.  Il est poursuivi pour subornation de témoin.  A la barre, il dit être allé voir son « ami » Zetiyinga Abdramane de son propre chef et non à la demande du général Gilbert Diendéré. Malheureusement, ce dernier qu’il considérait comme un ami de longue date, l’a trahi en enregistrant leur conversation pour la remettre au juge.  Poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat, recel de cadavres, subornation de témoin, le général Gilbert Diendéré sera à la barre   ce matin, selon le président du tribunal.

 

Sauf changement de dernière minute, le général de brigade Gilbert Diendéré, poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat, recel de cadavres, subornation de témoin, sera à la barre  dans l’affaire Thomas Sankara et ses 12 compagnons, ce jour 9 novembre 2021.    C’est du moins ce qu’a affirmé le président du tribunal, après l’interrogatoire de l’accusé Pascal Ninda Tondé, chauffeur de Gilbert Diendéré au moment des faits. Pascal Ninda Tondé, militaire à la retraite, soldat de 1re  classe en service au CNEC au moment des faits, est poursuivi pour subornation de témoin. Entendu dans un premier temps par le juge comme témoin,  ce dernier  a finalement  été  inculpé pour avoir essayé d’influencer  un autre  témoin du  dossier, en l’occurrence Zetiyinga Abdramane, pour rendre un faux témoignage.   Appelé à la barre, l’accusé reconnaît avoir rencontré Zetiyinga Abdramane pour lui dire que K. Eugène Somda (infirmier militaire et membre de la sécurité de Thomas Sankara)  est en train  « de  gâter »  son nom, mais de dire au juge qu’il n’était pas au Conseil de l’entente le 15 octobre 1987 au moment des tirs qui  ont coûté la vie au capitaine Sankara et à ses 12 compagnons. Mais de dire plutôt qu’il était en ville et qu’il est arrivé sur les lieux bien après les évènements. Il dit l’avoir fait de sa propre initiative et non à la demande de Gilbert Diendéré. Une version balayée du revers de la main par le parquet et les avocats de la partie civile. Pour eux, l’accusé tient des propos contradictoires parce qu’il avait affirmé, à deux reprises au juge d’instruction, que c’est le général Diendéré qui l’avait instruit.  C’est à la 3e déposition qu’il a fait un retropédalage pour dire que c’est lui-même qui a pris l’initiative et non un envoyé de Gilbert Diendéré. Pour eux, l’accusé l’a fait à la demande de Diendéré, mais tente de le protéger. Quant à l’accusé, il est resté sur sa position mais reconnaît qu’il restera aux côtés de Gilbert Diéndéré, quelle que soit la situation parce qu’il a été son chauffeur jusqu’à sa retraite. Après sa retraite, l’accusé dit continuer à  travailler  pour son ancien patron comme coursier de sa famille, gérant  de sa ferme à Loumbila, une localité située à quelques encablures de la ville de Ouagadougou sur l’axe Ouagadougou-Ziniaré. En réaction aux questions des avocats, il reconnaît avoir parlé de Zetiyinga Abdramane et   K. Eugène Somda avec  le général Diendéré à la MACA, mais soutient que ce dernier ne lui a jamais demandé d’en parler à une tierce personne.  Signalons qu’avant Pascal Tondé,   Jean Pierre Palm était à la barre.  Dans sa dernière déclaration, il a souhaité que la Cour retienne ceci : « C’est entre Dieu et moi.  Je n’ai pas le sang d’un humain sur les mains ». Et de s’étaler : « j’ai toujours porté cette camisole, à savoir celle de subir des calomnies et des mensonges. Ce qui fait que depuis 1989, je ne rentre pas dans un camp militaire sans avoir informé le chef de corps. Les accusations, j’en ai tellement eues que je me cherche ».  A ce 2e  jour de comparution de cet accusé que certains appellent « accusé VIP », on apprend un peu plus sur cette affaire de la table d’écoute. «  Cette table d’écoute ne servait à rien. C’est un instrument d’interception et relié à l’ONATEL », a déclaré Jean-Pierre Palm après avoir indiqué au juge qu’au sujet de cette table, des personnes citées auraient écrit un droit de réponse qui n’a jamais été publié par un journal d’investigation burkinabè. La table d’écoute lui colle à la peau car bien des témoins, selon l’instruction de l’affaire, affirment qu’il aurait fait débrancher cette table qui était installée à la gendarmerie nationale quelques jours après le 15 octobre, à l’effet de consolider le coup de force. «  Quel est l’intérêt, pour un régime qui vient de s’installer, d’aller arrêter une table d’écoute pour consolider son coup ? ».  Et de donner des précisions sur la nature et le rôle de cette fameuse table qui a tant fait couler beaucoup…d’écrits dans la presse. « C’était une table d’origine russe mais elle était rudimentaire. La table servait à mettre sur écoute les syndicalistes et les partis de gauche. Et non dirigée contre les dirigeants du CNR», a expliqué l’accusé Jean Pierre Palm. Et de poursuivre en laissant entrevoir qu’il n’y avait pas d’utilité de désactiver la table d’écoute de la gendarmerie et laisser celle de la police. «  Si on désactivait la table de la gendarmerie, il fallait aussi aller désactiver celle de la police », a-t-il fait comprendre. « Vous seriez parti  avec des Français pour désactiver la table d’écoute à la gendarmerie nationale ? », a interrogé le juge Urbain Méda. «  On n’avait pas besoin de Français pour désactiver une table. Il y a un bouton sur lequel on peut appuyer  pour l’arrêter. Si les gens sont des anti-français, cela les regarde », a indiqué Jean Pierre Palm.

 

«  C’étaient des rumeurs entre les partis de gauche… »

 

A la question de savoir si la table pouvait enregistrer, l’ancien directeur de la Sûreté nationale a avancé ceci : «  La table ne conservait pas d’infos, contrairement à ce que les gens racontent. La table ne stockait rien du tout. Vous pouvez le vérifier car elle est au Conseil de l’entente ». Mais de relativiser sur cette question lorsque le parquet militaire avait bien voulu intervenir sur cette question. «  La table ne pouvait pas enregistrer, mais il y avait un magnétophone à côté, avec lequel on pouvait mettre des cassettes et enregistrer ». Toujours sur cet aspect de la table d’écoute, le parquet militaire a voulu en savoir davantage. En effet, l’accusé refusant de ne pas prendre pour argent comptant les rumeurs, a donné un aperçu de ces rumeurs qui circulaient à cette époque. «  C’étaient des rumeurs entre les partis de gauche, quant à la définition qu’on devait donner à  la révolution. Il n’y avait rien de fondamental sur la vie du pays. C’était des discussions d’ordre littéraire », a-t-il laissé entendre. Et de faire ces précisions: «  C’est en 1989 que la table d’écoute  a été déplacée au Conseil. Ce sont des gens du CNEC qui sont venus arracher tout ce qui était instruments d’écoute à la gendarmerie. Celui qui est à la table d’écoute est comme un standardiste. Il ne peut rien enregistrer sans que l’ordre ne vienne du politique». Le parquet pensait toujours pouvoir arracher quelque chose de l’accusé. « Une table d’écoute a été  installée par des Algériens et renforcée par la suite par des Russes ? », a demandé le procureur. «  En matière de coopération militaire et de renseignements, on n’a qu’à éviter de tout mettre sur la place publique. C’est un conseil d’ancien que je vous donne. La table française est venue renforcer la table russe. Celle de la France était performante », a-t-il laissé entendre. La traversée du désert, Jean Pierre Palm semble l’avoir aussi vécue. En effet, remplacé de son poste de commandant de la gendarmerie par Bertin Somda, en 1989, au moment où le commandant Jean Baptiste Lengani avait été accusé de vouloir renverser le régime du Front populaire, l’accusé dit en avoir eu pour son grade. «  Quand un militaire n’avance pas dans son grade, c’est qu’il est sanctionné. Sinon, je suis l’aîné de 5 ans de Djibril Bassolet », a-t-il fait entendre. Depuis cette affaire Lingani, l’ex-commandant de la gendarmerie dit avoir pris ses distances avec le régime. «  Je recevais des menaces de certains militaires. On me disait que j’étais un ennemi du Front populaire. Il y a un prisonnier qui m’a dit, dans la nuit du 20 (ndlr, 20 septembre 1989), qu’il avait creusé ma tombe. Et j’ai appris plus tard avec le juge d’instruction, que c’est Salifou Diallo qui s’était mis à genoux pour qu’on me laisse en vie », a indiqué Jean Pierre Palm. Après des échanges avec l’accusé, certains avocats de la partie civile, notamment Me Olivier Badolo, pensent que Jean Pierre Palm, à la barre, tente de manipuler le tribunal. «  Le témoin a occupé de hautes fonctions. Malheureusement, il y a beaucoup de choses qu’il ne connaît pas. C’est déplorable. Il y a des choses élémentaires qu’on veut savoir, surtout qu’il était à une position stratégique. Nous avons un accusé qui est un témoin qui tente de manipuler le tribunal et l’opinion. Nous avons un accusé qui est intelligent et qui veut nous manipuler », a-t-il relevé avant d’ajouter : «  C’est une boîte noire. Car, on ne nomme pas n’importe qui commandant de la gendarmerie ». Toujours sur le coup d’Etat du 15 octobre, l’agent judiciaire de l’Etat a demandé ceci : « 2e gradé de la gendarmerie à l’époque, est-ce que manifestement vous pouviez n’être informé de rien ? ». «  Rien ! Dans la mesure où les responsables de la gendarmerie n’étaient pas informés ». Et de faire cette analyse sur le comportement de la gendarmerie en cas de coup de force, à la question de son avocat (voir encadré).  Le juge Méda pose une question à l’homme de droit, à la suite de son observation : «   Pourquoi voulez-vous que votre vérité coïncide avec celle de l’accusé ? Il a le droit de se défendre ». Autre avocat à prendre la parole, coté partie civile, était Me Prosper Farama. Jean-Pierre Palm dit avoir passé la nuit dans la famille Barry, dans la nuit du 15 octobre 1987. «  Et si le Burkina était attaqué, alors que vous étiez chez la famille Barry pour dormir ! ».  Une sortie de Me Prosper Farama qui a semblé déranger l’accusé. «  Je ne suis pas Rambo. Je n’avais pas d’armes et je n’étais pas en tenue ». Mais bien avant, Me Prosper Farama a fait comprendre que l’accusé a plutôt collaboré avec le nouveau régime alors que d’autres ne l’ont pas fait. Et d’ajouter : «  Si vous posez des actes, vous devez en assumer les responsabilités ».  A la suite de la partie civile, c’était maintenant au tour de la défense de soutenir son client. Me Mamady Kopiho, avocat de l’accusé Jean Pierre Palm, tout feu tout flamme, a fait cette observation dès sa prise de parole : « J’ai le sentiment que les gens sont en train de balayer sur du marbre. L’AJE, au lieu de défendre l’Etat, se met dans une démarche insidieuse et oublie qu’il est là pour défendre l’Etat. Cette haine contre Jean Pierre Palm, il faut que les gens s’en débarrassent. Mon client n’est pas jugé sur sa carrière de gendarme mais sur les faits du 15 octobre ».

 

Issa SIGUIRE et Boureima KINDO

 

Me MAMADY KOPIHO ECHANGEANT AVEC SON CLIENT, JEAN PIERRE PALM

 

Me Kopiho : Le 16 octobre 1987, étiez-vous le seul officier à avoir répondu présent à l’époque, au Conseil de l’entente ?

 

Jean-Pierre Palm : Presque tous les officiers y étaient.

 

Etiez-vous le seul à qui on a demandé de se mettre sous le commandement de Jean Baptiste Lingani ?

 

Non, tout le monde était sous le commandement de Jean Baptiste Lingani.

 

Votre nomination a-t-elle été faite de manière isolée ?

 

La gendarmerie n’était pas une armée à l’époque. J’ai été nommé au même moment que d’autres chefs de corps.

 

Quelle attitude un militaire adopte-t-il quand il y a des coups de feu ?

 

Le premier réflexe, c’est de chercher à savoir d’où vient le danger. Et voir ensuite, s’il y a une possibilité d’intervention. Dans le cas contraire, ce n’est pas la peine d’aller vous suicider.

 

Le commandant Jean Baptiste Lingani pouvait-il requérir tout officier, qu’il ait une fonction officielle ou pas ?

 

Affirmatif ! Quand on l’installe (ndlr, le commandant en chef de l’armée), on dit qu’il a force sur tout le personnel de l’Armée nationale, que vous soyez en fonction officielle ou pas.

 

Quand il y a un coup d’Etat, quelle attitude adoptez-vous dans l’armée ?

 

Généralement, ils se soumettent (ndlr, les forces armées). Quant à la gendarmerie nationale, elle ne participe pas à un coup d’Etat. Mais on l’utilise après.

 

Y a-t-il un règlement dans l’armée qui dispose qu’on peut dire qu’on n’est pas d’accord avec un coup d’Etat ?

 

Je ne pouvais pas le dire.

 

Etiez-vous au courant de l’action menée contre le BIA (Bataillon d’intervention aéroporté) ?

 

Je n’ai pas su quand on a attaqué le BIA.

 

Mes questions ont confirmé l’observation que j’ai faite au début de ma prise de parole. Il faut le juger pour des faits. Il a été un brillant gendarme car c’est quelqu’un qui a fait respecter l’ordre.

 

IS et BK

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


No Comments

Leave A Comment