HomeFocusPROCES DES PRO-GBAGBO POUR ATTEINTE A LA SURETE DE L’ETAT : ADO joue la carte de la prudence

PROCES DES PRO-GBAGBO POUR ATTEINTE A LA SURETE DE L’ETAT : ADO joue la carte de la prudence


 

Pendant que toute la Côte d’Ivoire est entrée en transe pour célébrer la victoire des Eléphants  à la CAN Guinée-équatoriale 2015, le procès des pro-Gbagbo suit son petit bonhomme de chemin. Dans ce cadre, le tribunal  a entendu le mardi 10 février dernier, Gilbert Aké N’gbo, le dernier Premier ministre de l’ex-président Laurent Gbagbo, en compagnie de trois de ses anciens ministres que sont Désiré Dallo, Danielle Boni-Claverie et Joseph Kata Kété. Tous sont poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat, en attendant peut-être plus tard de répondre des faits de crimes de sang. Pourquoi la Justice ivoirienne a-t-elle choisi cette préséance ? Cette question est d’autant plus pertinente que tout le monde sait que les faits qui ont le plus choqué les consciences sont ceux portant sur les crimes de sang perpétrés après l’élection de novembre 2010.

Alassane Ouattara a des raisons de ne pas ouvrir le dossier des crimes de sang

En effet, pendant cette période, la plus sombre de l’histoire politique du pays, l’on a tué, violé, torturé et brûlé à tour de bras, le plus souvent à ciel ouvert, au pays de Houphouët Boigny. Les chiffres sont simplement ahurissants. La lutte entre les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara a fait officiellement plus de 3000 morts. A la question ci-dessus posée, la Justice ivoirienne pourrait répondre que le fait de commencer par les actes portant atteinte à la sûreté de l’Etat est une question de méthodologie et que, de ce fait, elle a choisi en toute souveraineté de s’occuper d’abord des atteintes à la sûreté de l’Etat avant de se pencher sur les crimes de sang. C’est son droit. Mais à l’analyse, l’on peut avoir le sentiment que le pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) pourrait être tenté de passer par pertes et profits les crimes de sang, pour les considérations suivantes. D’abord, Alassane Ouattara a déjà obtenu ce  qu’il désirait le plus, à savoir le transfèrement de Laurent Gbagbo à La Haye et dans une certaine mesure, celui de Charles Blé Goudé. Tant que ces deux seront entre les griffes de la Cour pénale internationale (CPI), il peut tranquillement vaquer à ses occupations domestiques. En effet, tout le monde sait que Gbagbo et son principal homme de main, Blé Goudé, ont des capacités hors normes de mobilisation et de manipulation des foules. ADO a vite fait, par conséquent, de les expédier à la Haye. Et cela répond plus à un souci de sécuriser son pouvoir qu’à celui de leur faire payer leur responsabilité présumée dans le pogrom que la Côte d’Ivoire a connu pendant la crise post-électorale. Et ce point de vue tient la route. Car, si la volonté du pouvoir était de livrer tous ceux du camp Gbagbo qui se sont illustrés dans les tueries massives pendant la crise post-électorale, les cellules de la Haye refuseraient du monde.

Ensuite, Alassane Ouattara a des raisons de ne pas ouvrir le dossier des crimes de sang. Car la responsabilité de ces crimes est partagée entre les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara. Il ne peut donc pas demander des comptes, uniquement aux premiers. Tout le monde crierait, à juste titre, à une justice à sens unique, celle des vainqueurs. La meilleure manière pour lui d’éviter le terrain  glissant du dossier des crimes de sang, est de les renvoyer aux calendes ivoiriennes. C’est ce à quoi l’on pourrait s’attendre en Côte d’Ivoire.

Seul un procès digne de ce nom peut aider la Côte d’Ivoire à aller à une vraie réconciliation

Par contre, le jugement des faits d’atteinte à la sûreté de l’Etat auquel l’on assiste actuellement en Côte d’Ivoire, ne lui pose aucun cas de conscience. D’ailleurs, il peut profiter de l’hystérie collective qui s’est emparée du pays suite à la victoire des Eléphants à la CAN Guinée-Equatoriale 2015, pour condamner à des peines symboliques les pro-Gbagbo qui sont actuellement à la barre. Ceux d’entre eux qui seront lourdement condamnés bénéficieront peut-être de la grâce présidentielle. Enfin, si la Justice ivoirienne venait à ouvrir le dossier des crimes de sang, les piliers du régime que sont les anciens commandants de zone, les célèbres « Com’Zone »,  pourraient  être inquiétés. Dans un tel cas de figure, ADO scierait la branche sur laquelle il est actuellement assis. Pour toutes ces raisons, l’on peut dire que le jugement des crimes de sang par la Justice ivoirienne, pourrait s’apparenter à une boîte de Pandore que ADO ne veut pas ouvrir. Dans le meilleur des cas, la Justice ivoirienne, sous la pression des organisations des droits de l’Homme, pourrait le faire, mais Alassane Ouattara pourrait faire en sorte que cela intervienne après son passage à la tête de l’Etat. Ainsi refilerait-il la patate chaude à celui qui lui succèdera au palais de Cocody. Cela dit, le pouvoir ivoirien serait mal inspiré de croire qu’il peut passer l’éponge sur les crimes de sang de la période post-électorale. En effet, seul un procès digne de ce nom, de tous ceux qui y sont impliqués, pro-Gbagbo comme pro-Ouattara, peut aider la Côte d’Ivoire à aller à une vraie réconciliation, c’est-à-dire celle des cœurs.

Aujourd’hui, avec la victoire de l’équipe nationale à la CAN 2015, il peut arriver que les bourreaux et les victimes se retrouvent sur la même piste de danse pour esquisser des pas de « couper-décaler », mais cela ne suffit pas pour dire que la réconciliation est en marche en Côte d’Ivoire. En effet, le football peut contribuer à l’apaisement pendant un certain temps, mais il ne peut pas panser les  plaies profondes ni soigner les graves maladies d’une société. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les nombreux crimes de sang enregistrés en Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale de décembre 2010, ont suscité, au sein des populations, des plaies profondes que seule la volonté politique peut soigner.

« Le Pays »


Comments
  • A Dieu va!
    Pour les Ivoiriens qui ont vécu cette décennie de coups d’états de tous acabits avec leur cortège de violences, prendre le procès par ce bout est la question essentielle, Car qui dit atteinte à la sûreté de l’Etat dit un régime légal et légitime attaqué!
    Donc on devrait arriver logiquement au vainqueur des élections de 2010 pour savoir qui a atteint à la sûreté de notre pays,
    Que Dieu nous soit en aide!

    14 février 2015

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