PROCES DU PUTSCH MANQUE « J’ai été victime des coups d’Etat… »,: ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo
Le procès du putsch manqué du 16 septembre 2015 et jours suivants se poursuit au Tribunal militaire délocalisé à Ouaga 2000. Débutée le lundi 11 mars 2019, l’audition de l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo, s’est poursuivie au Tribunal militaire à Ouagadougou le 12 mars 2019. Répondant à une question de Me Degli, l’un des avocats du général Gilbert Diendéré, l’ancien président a laissé entendre qu’il a été victime des coups d’Etat lorsqu’il était encore un militaire en activité.
Débutée le lundi 11 mars 2019, l’audition de l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo, s’est poursuivie au Tribunal militaire à Ouagadougou le 12 mars 2019. Celui-là même qui était considéré comme l’une des personnalités qui étaient à la réunion du 16 septembre 2015 au ministère de la Défense et des anciens combattants (MDNAC) aux premières heures de la crise, s’est prêté aux interrogatoires des avocats de la défense et ceux de la partie civile. Ce sont ceux du conseil de Gilbert Diendéré, Me Jean Yaovi Degli, et de Me Guy Hervé Kam, avocats de la partie civile, qui ont retenu notre attention.
Me Jean Yaovi Degli : Vous avez dit que vous n’êtes pas un profane en matière de coup d’Etat. Ai-je bien rapporté ce que vous avez dit ?
Jean Baptiste Ouédraogo : Oui, c’est exact.
Me Jean Yaovi Degli : Vous avez été porté au pouvoir en 1982 par un coup d’Etat. C’est cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est exact.
Me Jean Yaovi Degli : Vous avez été renversé en 1983 par un coup d’Etat. C’est cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est cela !
Me Jean Yaovi Degli : Donc vous n’êtes pas un enfant de cœur !
Jean Baptiste Ouédraogo : Non. Mais j’ai été victime des coups d’Etat. J’ai été mêlé à une moment donné de ces coups d’Etat. C’est d’ailleurs moi qui ai proposé que lorsqu’un militaire veut faire la politique, qu’il démissionne de l’armée avant d’y entrer.
Un peu plus tôt, le témoin privilégié s’est prêté au même exercice avec l’un des avocats de la partie civile, Me Guy Hervé Kam. « Je n’ai pas trop de questions à vous poser monsieur le président, mais excusez-moi. Je voudrais reconstituer les faits avec vous ».
Me Kam : La réunion a commencé aux environs de 17h le 16 septembre 2015. C’est bien cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est exact.
Me Kam : Au début de la réunion, le général a fait le point de la situation et donné les raisons qui ont motivé la prise en otage. C’est bien cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : Oui. C’est exact.
Me Kam : Le général Gilbert Diendéré a demandé à l’armée d’assumer.
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est exact.
Me Kam : La hiérarchie a refusé d’assumer. C’est bien cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est exact.
Me Kam : Après cela, il a été demandé au général d’aller donner la position de l’Assemblée aux soldats du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) au camp Naaba Koom II.
Me Kam : Le général Diendéré est revenu et a dit que les éléments du RSP ont opposé un refus catégorique. Est-ce exact ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est cela !
Me Kam : Lorsque l’Assemblée a été mise au courant que la troupe avait refusé, elle a décidé d’envoyer une 2e délégation pour leur dire de libérer les otages. Est-ce exact ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est exact. Nous ne leur parlions que par personne interposée. Nous avons voulu rencontrer directement la troupe pour lui donner notre position
Me Kam : Sur ces entrefaits, le général s’est proposé d’aller rencontrer les soldats pour les préparer avant l’arrivée de la délégation. C’est bien cela ?
Jean Baptiste Ouédraogo : C’est cela.
Me Kam : Quand le général ne venait pas, vous êtes allé le trouver là-bas ? Est-ce exact ?
Jean-Baptiste Ouédraogo je ne suis pas trop catégorique comme les autres fois. Je ne sais pas si c’est le colonel major Boureima Kiéré qui est venu nous chercher ou pas. A ce niveau, mes souvenirs ne sont pas trop nets. Je ne suis pas catégorique sur cette question.
Me Kam au camp Naaba Koom II, vous avez estimé qu’il fallait quitter vite parce que les éléments avaient refusé d’accepter les messages que vous étiez sensés leur apporter.
Jean Baptiste Ouédraogo : Notre mission était de faire libérer les otages.
(…)
Issa SIGUIRE
La peur de l’adjudant-chef Moussa Nébié
Depuis le début des auditions des témoins, le président du tribunal appelle des accusés à la barre lorsque ces derniers sont concernés par les déclarations du témoin. C’est ainsi que certains accusés y ont été appelés ce 12 mars 2019. Il s’agit du général Diendéré, du colonel-major Bouraima Kiéré, du capitaine Abdoulaye Dao, du capitaine Ousseine Zoumbri et de l’adjudant-chef Moussa Nébié dit «Rambo». Chacun d’entre eux a été invité à donner son point de vue sur la déclaration de l’ancien président Jean Baptiste Ouédraogo. Au tour de l’adjudant-chef Moussa Nébié dit « Rambo», il s’est dit inquiété par les observations de Me Farama.« En ce qui concerne les propos du président Jean- Baptiste, je n’ai pas de commentaire. Je vais me mettre devant Me Farama pour qu’il me voit. Je suis déçu de Me Farama parce que nous comptions sur lui pour nous défendre, nous les petits soldats. Si je parle, il dira que c’est parce que j’ai eu la chance d’être en vie, sinon d’autres sont à 4 mètres sous terre. Mais le 29 septembre 2015, si je n’avais pas eu la chance, je serais moi aussi à 4 mètres sous terre. Si vous voyez la voiture dans laquelle j’étais ce jour-là, tellement elle a reçu des balles ! Je suis perdu après avoir écouté Me Farama. Je me vois déjà condamné. J’ai beaucoup peur.
Des extraits de la déclaration liminaire de Jean-Baptiste Ouédraogo
L’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo qui a participé à la rencontre du 16 septembre 2015 lors du putsch était, le 11 mars 2019, à la barre pour livrer son témoignage. Nous vous proposons des extraits de sa « déclaration liminaire ».
Laissons, encore cachées toutes les révélations qui participent à la désorganisation et à la déstructuration de cette institution républicaine
Dans les circonstances actuelles du pays que nous vivons, il me semble de la plus haute importance de veiller à ce que ce procès ne donne pas lieu à un procès même de notre armée, en la dépouillant, en la dénudant publiquement, ce qui serait un saccage, une destruction pure et simple. Un pays, une nation, a besoin d’une Armée patriote, digne et forte, pétrie de valeurs et d’honneur. Laissons, encore cachées, toutes les révélations qui participent à la désorganisation et à la destructuration de cette institution républicaine dont nous avons aujourd’hui tant besoin pour notre sécurité et pour préserver l’intégrité même de notre territoire. L’Etat se doit, me semble-t-il, d’honorer, tant au plan moral que matériel, ceux de nos compatriotes qui mettent leur idéal et leur vie au service de la patrie. Celles et ceux qui risquent leur vie au quotidien au service du Burkina Faso méritent la gratitude de la patrie. De plus, il est fort souhaitable que ce procès ne puisse pas rompre la chaîne de commandement si chère à toute armée. Je souhaite dans toute la mesure du possible que nous puissions éviter de démoraliser nos valeureux soldats qui se trouvent au front, face à l’ennemi où le devoir et la discipline prévalent sur toute autre considération. Ils sont aujourd’hui les seuls garants de notre sécurité en ville comme en campagne.
Proscrivons l’apologie de la violence
Laissons donc le passé au passé et tournons-nous vers l’avenir en pensant non pas à nous-mêmes, mais à nos enfants, à nos petits-enfants, à la postérité, à l’avenir, à la pérennité de notre Nation ! Que de chemin parcouru depuis notre indépendance de 1960 à nos jours ! Dans notre acte de contrition et de désir de justice, demandons à Dieu la force de condamner tous les assassinats et autres crimes politiques, quelles que soient leurs causes. Rien ne doit être laissé dans l’ombre. J’exhorte l’ensemble de nos compatriotes à promouvoir les valeurs cardinales de notre démocratie ; à consacrer nos moyens, notre ardeur au travail, notre rage de vaincre et nos énergies à la construction et au développement de notre pays. Proscrivons l’apologie de la violence, la rhétorique de la division. Elles ne sauraient, jamais, être légitimes encore moins légales. Notre salut est ailleurs et repose sur d’autres arguments unificateurs et rassembleurs. Aucun sacrifice ne sera de trop pour préserver l’unité et la cohésion de notre Nation. Il nous appartient à tous de construire la survie de notre Nation sans exclusive. Le peuple, notre peuple, a besoin de toutes ses composantes sociales, de toutes ses filles, de tous ses fils, avec des actions spécifiques pour ceux ou celles qui se sont détournés du bon chemin. J’ai la conviction que nul ne peut contester que dans la poitrine de tout Burkinabè vibre la fibre patriotique. Il suffit de savoir l’actionner, la stimuler et bien l’entretenir.
La deuxième crise est intervenue le 4 février 2015
Conséquence de la première crise pour promesses non tenues par monsieur Zida et manipulation du personnel du régiment RSP. D’ailleurs, c’est à cette date précise que Monsieur Zida s’est réfugié, tôt le matin au palais du Moogho Naaba pour éviter, semble-t-il, d’être pris en otage par les éléments du RSP lors du Conseil des ministres hebdomadaire qui devait se tenir le même jour. Mon concours a été sollicité par le général Gilbert Diendéré qui a été le premier à m’informer de la situation par téléphone vers 9h alors que je me consacrais à mes obligations professionnelles à la clinique. Il m’a demandé de participer à une rencontre avec le président Kafando à Kosyam pour les aider à trouver une solution à la crise. Cette rencontre eut effectivement lieu en présence de Monsieur Kafando, président de la Transition. A l’issue des concertations, nous nous sommes répartis les rôles. Mais toutes les solutions proposées étaient, de mon point de vue, des solutions conjoncturelles, donc palliatives en lieu et place de solutions structurelles. C’est suite à cette rencontre que le président Kafando a procédé à un léger remaniement ministériel avec le départ du colonel Barry et l’arrivée d’un autre militaire au gouvernement alors que le RSP réclamait le départ du gouvernement de tous les ministres militaires, y compris Zida, afin de laisser la Transition entre les mains des seuls civils. Pour mémoire, rappelons que c’était l’avis émis par la haute hiérarchie militaire lors de la rencontre avec le CCS. Toujours est-il que le feu semblait, de nouveau, éteint à notre grande satisfaction. Durant cette rencontre, fort houleuse et sur mon interpellation, le colonel Barry, voulant justifier la présence des militaires dans le gouvernement, m’a fait lire un document « ultra secret » très confidentiel intitulé « Accord complémentaire à la Charte de la Transition » portant sur son préambule et dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour parce que ledit document n’a jamais été annexé à la Charte de la Transition, donc n’a jamais été publié officiellement, ni rendu public d’aucune façon. En effet, la Charte n’a pas prévu de militaires au gouvernement (chapitre III, article 14). La présence de militaires ne peut être justifiée que par cet accord complémentaire. Ce document disait en substance que le gouvernement de la Transition est dirigé par un Premier ministre nommé par le président de la Transition sur proposition des Forces de défense et de sécurité et en concertation avec les forces vives. Et d’ajouter que la personnalité civile ou militaire proposée par les Forces de défense et de sécurité est nommée Premier ministre. Cet accord secret stipule en outre la procédure de nomination du Secrétaire général du gouvernement, ainsi que la liste des départements ministériels. Ceci est conforme à la Charte. Ce qui n’est pas le cas de l’accord complémentaire. En principe, cet accord était présumé avoir été signé le 16 novembre 2014 par les partis politiques affiliés au CFOP, les autres partis politiques, les organisations de la société civile, les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les autorités religieuses et coutumières, date d’adoption de la Charte elle-même. Interrogés, plusieurs des supposés signataires de la Charte de la Transition ne reconnaissent pourtant pas avoir participé ni à l’élaboration ni à la signature d’un tel accord complémentaire. Il s’agissait, manifestement, d’un document « arrangé ou occulte », en tout cas très secret, donc faux car les considérants dudit accord sont différents de ceux figurant dans le préambule de la Charte.
– le président Kafando était chargé de convoquer la haute hiérarchie militaire pour poser le problème de la gestion des crises au sein de l’armée et de la restructuration du RSP ;
– le général Gilbert Diendéré était chargé d’aller calmer la furie des éléments du RSP au Camp Naaba Koom II ;
– Moi, j’étais chargé de me rendre au palais du Moogho Naaba afin de convaincre Zida de quitter ce lieu de refuge et de lui donner l’assurance qu’aucune action malveillante n’était envisagée, ni ne serait entreprise à son encontre et qu’il pouvait quitter le palais du Moogho Naaba et rejoindre sa résidence préalablement sécurisée par les soins du général Gilbert Diendéré.
ZIDA a, effectivement, quitté le palais du Moogho Naaba mais est allé à la Place de la Nation pour y rencontrer des OSC.
Chacun d’entre nous a rempli sa mission et la crise semblait avoir été jugulée. C’est après cette crise, en effet, que la décision de procéder à une restructuration du RSP a été prise et confiée aux soins de l’Etat-major général des Armées. Une Commission de réflexion sur cette restructuration a alors été mise en place. La Commission a produit son rapport qui, malheureusement, n’a été ni amendé ni exploité. Ce rapport est disponible pour votre information.
La troisième crise est survenue le 28 juin 2015
Il s’agissait du vrai ou faux complot de projet d’arrestation de Zida par le RSP à son retour de Taïwan. Après la résolution de la crise grâce au concours de nombreuses personnes- ressources dont je faisais partie, les échanges et les concertations avec le président Kafando ont conduit à la décision de régulariser la création du Cadre de concertation de sages (CCS), qui a été rendu public par le décret du 15 juillet 2015. Ce CCS, chargé de trouver une solution à la crise de juin, est un organe de médiation ayant pour mission d’œuvrer, en tant que de besoin, au rapprochement des positions des acteurs politiques, militaires et civils. De nombreuses rencontres ont, effectivement, eu lieu avec les forces vives de la Nation pendant et après cette crise. Au cours de la réunion de l’après-midi du 13 juillet 2015, le CCS, après avoir rencontré le RSP, la société civile et la hiérarchie militaire, a entendu, d’une part, le général Gilbert Diendéré, à la tête d’une délégation du RSP, et, d’autre part, Zida accompagné des trois ministres militaires de la Transition. En somme, un face-à-face entre les vrais protagonistes des crises. Le CCS leur a demandé de tout entreprendre pour mettre définitivement un terme aux multiples crises entre le RSP et Zida. Chaque partie a donné sa version des crises successives et le CCS a œuvré pour l’apaisement des tensions. Ce document ne devait donc pas être connu, encore moins, publié. Vu l’importance de l’information, j’ai partagé ce document avec une personnalité du CCS et nous avons décidé de porter l’information à deux autres personnalités de la Transition. Par la suite et d’un commun accord, nous avons décidé de taire cette nouvelle affaire pour ne pas mettre de l’huile sur le feu très brûlant de la Transition. Cette révélation pour dire que nous ne pouvons pas tout juger au risque de paralyser l’Etat ; car des dessous, il y en avait. Et chaque affaire, crapuleuse ou politique en cache bien souvent une autre. La politique étant ce qu’elle est, les agendas cachés, il y en avait probablement. S’agissant des ambitions politiques, il y en avait aussi et à profusion. Comme vous le savez en pareilles circonstances, les complots et autres intrigues de palais, il y en avait également et en abondance. La ruée vers les divers Eldorados subits, il y en avait. Mais rien de tout cela ne peut justifier un coup d’Etat. Au contraire, le RSP devait se surpasser et sécuriser, autant que faire se pouvait, le président de la Transition contre toute forme de menaces. C’était sa vraie et unique mission.
La quatrième crise est celle du 16 septembre 2015.
C’est d’abord l’événement de la prise d’otages de l’Exécutif, qui s’est révélé par la suite être un coup d’Etat.