PROCES DU PUTSCH MANQUE : Léonce Koné plaide non coupable
Le procès du putsch manqué tire à sa fin si fait qu’après les plaidoiries des avocats, le tribunal donne la parole à chaque prévenu pour son dernier mot avant le verdict. Ce weekend, c’était au tour du prévenu Léonce Koné de se prononcer lors de la clôture des débats. Voici l’intégralité de sa déclaration. Lisez !
Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Tribunal,
Après 18 mois de débats qui se sont déroulés devant votre tribunal et après les plaidoiries de mes avocats, je ne crois pas utile de m’étendre à nouveau sur la discussion des accusations qui ont été formulées contre moi par le Parquet militaire et par les avocats de la partie civile. Sauf pour réaffirmer que je souscris pleinement aux moyens de défense qui ont été exposés par mes avocats et que, par conséquent, je réfute totalement ces accusations.
On a beaucoup épilogué sur la question de savoir si ce procès était, ou n’était pas, un procès politique. Je trouve cette discussion absurde. Le procès d’un coup d’Etat est politique, par essence, puisque ce dont il s’agit, c’est de juger des personnes soupçonnées, à tort ou à raison, d’avoir participé à une tentative de renversement des institutions de l’Etat. En ce qui me concerne, il l’est assurément. Parce que je comparais ici en tant qu’homme politique. Parce que l’initiative d’engager des poursuites contre moi a été prise par des autorités politiques, sur la base de considérations politiques. Les dépositions qui ont été faites par le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, par M. Chérif Moumina Sy, ancien président du Conseil National de la Transition et par le colonel Auguste Denise Barry, le montrent clairement.
Le rôle trouble et funeste qu’a joué M. Zida dès le lendemain de l’insurrection et tout au long de la transition, pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir, est connu de tous. Quant à M. Sy, il n’a jamais fait mystère de sa volonté d’user de tous les moyens pour démanteler les partis de l’ancienne majorité et notamment le CDP. La révision liberticide du Code électoral, que l’on a baptisé de son nom, en est une illustration, même s’il n’est pas parvenu à ses fins. Concernant le colonel Barry, je note que, par une cruelle ironie du sort, il se trouve actuellement aux prises avec la Justice militaire, pour répondre de l’inculpation d’attentat à la sûreté de l’Etat, ou, si l’on en croit la presse, d’une incrimination sui generis qui est sur le point d’être inventée à son intention particulière. Et le voilà ainsi, à tort ou à raison, amené à se justifier d’un projet de déstabilisation, apparemment compliqué à définir, alors même que l’accusation de menées subversives, qu’il a cru bon de porter contre moi et certains de mes camarades, n’a pas encore été tranchée.
Du temps où il officiait, avec un zèle ombrageux, comme chef de la police politique de la transition, aux côtés du Premier ministre Zida, il semblait considérer que la survivance même des partis de l’ancienne majorité après l’insurrection et leur prétention à continuer d’exercer une activité politique constituaient un fait subversif en soi et une offense personnelle. D’où la décision qu’il a prise de les suspendre dès décembre 2014, sans aucun motif sérieux. Et je dois à la vérité de dire que cette mesure arbitraire n’a été rapportée que par la volonté personnelle du président de la transition, Michel Kafando, qui n’a malheureusement pas fait preuve de la même clairvoyance et du même courage face à la loi d’exclusion , qui était, si l’on peut dire, une version édulcorée du projet de bannissement politique nourri à l’origine par le colonel Barry et ses amis à notre égard.
Si je mentionne ce fait, ce n’est pas pour me réjouir des déboires actuels du colonel Barry. Bien au contraire, je lui souhaite de sortir de ses tribulations judiciaires sans trop de dommages et le plus tôt possible. Parce que je demeure convaincu, aujourd’hui plus que jamais, que notre pays a besoin de tourner définitivement la page de tous ces complots réels ou imaginaires, pour engager une véritable réconciliation, afin de concentrer son énergie sur la situation d’urgence qu’il traverse.
Dire cela n’équivaut pas à prôner l’impunité. C’est simplement une question de réalisme et de choix des priorités. Parce que si l’on veut aller au bout de la logique du refus de l’impunité en matière de coup d’Etat, alors il faut commencer par juger ceux qui ont perpétré une cascade de coups d’Etat en octobre et novembre 2014, auxquels sont associés des pertes en vies humaines qui représentent le double de celles qu’on a déplorées en septembre 2015. Sans compter les Hommes politiques et activistes de la société civile qui, dans l’exaltation de la chute du régime du président Blaise Compaoré, se sont glorifiés publiquement d’avoir planifié, préparé et organisé les troubles qui ont conduit à l’incendie d’édifices publics durant ces évènements. En perdant de vue que cette opération, d’une gloire douteuse, constituait non seulement un acte d’incivisme notoire, mais aussi un délit grave. Sans oublier également les vandales qui ont pillé et incendié les domiciles des membres de l’ancienne majorité, ainsi que les sièges de leurs partis, en suivant des listes établies à l’avance par les commanditaires de ce saccage.
Si je mentionne ces exactions, c’est surtout pour faire ressortir qu’elles n’ont donné lieu à aucune poursuite, ni à aucune indemnisation, à la différence des réparations qui ont été consenties aux amis du pouvoir. Voilà ce qu’il en est réellement de l’application du principe de l’égalité des citoyens devant la Justice. Voilà comment fonctionne la quête de l’impunité, suivant une géométrie variable qui dépend du bord politique auquel on appartient. Voilà le vrai sens du triptyque « Vérité-Justice-Réconciliation », qui signifie harcèlement contre les uns et amnésie pour les autres, en attendant une improbable réconciliation.
Il est temps de mettre fin à cette hypocrisie, dont personne n’est dupe. Et le meilleur moyen d’y parvenir est d’arrêter la pratique de la chasse aux sorcières. Il n’y a pas, au Burkina Faso, des démocrates vertueux dans un camp politique, opposés à des suppôts de la tyrannie dans l’autre. Si on met de côté la haine, la méfiance et la peur instrumentalisées à dessein par certaines personnes, c’est une évidence qu’il y a, de part et d’autre de l’échiquier politique, des hommes et des femmes de bonne volonté qui aspirent au meilleur pour leur pays, au-delà des clivages partisans.
L’impératif de la réconciliation, ou plus simplement la nécessité de normaliser la vie politique, nous imposent de trouver une cote mal taillée, un compromis raisonnable, pour construire dans notre pays une démocratie ouverte, compétitive et pacifique, sans violences politiques, sans prisonniers politiques, sans exilés politiques, sans qu’un ancien chef de l’Etat et d’anciens ministres se voient traduits devant la Haute Cour de justice sur le fondement d’accusations politiques aberrantes, qui n’ont rien à voir avec la légalité.
Le chaos qui menace insidieusement notre pays vaut largement que nous fassions l’effort collectif de dépasser les contingences de la vie politique, pour préserver le Burkina Faso des effets dévastateurs du terrorisme, dont la réalité tragique s’impose aux yeux de tous les Burkinabè : la litanie quasi quotidienne des victimes militaires et civiles, la perte progressive de la souveraineté de l’Etat sur des pans entiers du territoire national, la multiplication des conflits entre les communautés, l’exode traumatisant et humiliant de Burkinabè condamnés à fuir leurs villages, pour vivre dans des conditions encore plus précaires que celles qu’ils connaissaient auparavant et l’impact de tout ce désordre sur le développement économique. Voilà le véritable enjeu de la question de la réconciliation que certaines voix parmi les avocats des parties civiles ont choisi de brocarder, par goût de la haine et d’une revanche illusoire.
Revenant à ce procès et bien que ses prémices aient été marquées par une partialité évidente, j’ose espérer, M. le président, que votre Tribunal saura apprécier et juger les faits qui me sont reprochés, en faisant fi de tout parti-pris politique. On m’a souvent répété que ce procès était jugé d’avance et que le gouvernement, ou ses officines occultes avaient déjà dressé le barème des condamnations destinées à chacun des accusés. Quoi qu’il en soit de cette rumeur, je veux croire que dans notre pays, il y a encore place pour une Justice indépendante, même lorsqu’elle est exercée par une juridiction d’exception. Car la Justice, en définitive, ne dépend que du libre arbitre des juges et de leur conscience.
C’est dire, M. le président, que je ne veux pas vous faire l’injure de mettre en doute l’indépendance et l’impartialité de ce tribunal, en dépit des exhortations bruyantes des avocats des parties civiles et du Parquet militaire, qui ont résonné à mes oreilles comme des appels, souvent hystériques, à la vengeance politique. Il est patent, du reste, que certains avocats des parties civiles se sont exprimés ici, davantage pour leurs chapelles politiques respectives, que dans l’intérêt des victimes qu’ils prétendaient défendre, proférant à cette occasion des imprécations plus tonitruantes et plus extravagantes les unes que les autres. D’autant plus tonitruantes qu’elles étaient extravagantes et dérisoires.
Maintenant que le calme et la bienséance ont repris droit de cité dans cette enceinte, je voudrais remercier mes avocats, les bâtonniers Antoinette Ouédraogo et Yérim Thiam pour le talent et la force de conviction avec lesquels ils ont pris ma défense devant ce tribunal. Ils y ont mis la compétence juridique, la rigueur professionnelle et le savoir-faire d’une longue et riche expérience dans les barreaux du Burkina et du Sénégal. Je considère comme un honneur d’avoir bénéficié de leur assistance. Par-dessus tout, je leur suis infiniment reconnaissant de l’amitié généreuse qu’ils m’ont témoignée tout au long des quatre années qu’a duré cette procédure. J’y ai puisé la force morale de suivre les péripéties de ce parcours judiciaire, avec lucidité et avec une certaine tranquillité d’esprit. J’ai une pensée particulière et fraternelle pour le bâtonnier Antoinette Ouédraogo qui, ainsi que tout le monde a pu le voir, s’est investie dans ma défense et celle d’Hermann Yaméogo, au péril de sa santé. Je ne lui en suis que plus reconnaissant.
Je voudrais remercier également les autres avocats de la défense, qui m’ont donné à voir, au cours des dernières semaines, l’image d’un Burkina qui m’inspire de l’optimisme et de la fierté. Celle de professionnels du droit et de citoyens intègres, libres d’esprit et courageux, qui ne sont asservis à aucun pouvoir, présent ou passé, ni à aucun dogmatisme prétendument idéologique. Ils ont fait honneur à leur métier et à l’exigence de vérité qui anime les citoyens de bonne foi.
A leurs côtés, je voudrais saluer aussi la présence dans ce procès d’autres avocats africains, chevronnés, prestigieux, qu’on a désigné à tort sous le vocable « d’avocats étrangers », en tentant de les priver du droit de plaider dans cette affaire, au mépris des conventions internationales et des principes de l’intégration africaine. Et lorsqu’ils ont finalement été acceptés, à contrecœur, au prix d’une décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, certains avocats des parties civiles n’ont pas hésité à montrer leur étroitesse d’esprit, en les traitant « d’oiseaux migrateurs ». Lorsqu’on appartient à un pays dont plus du quart de la population vit à l’étranger, on doit faire preuve de plus de discernement, à défaut du sens de l’hospitalité et de la confraternité. L’Afrique à laquelle nombre d’entre nous aspirent, sera un espace où les « migrateurs » africains seront libres d’exercer leurs talents partout où ils le voudront, n’en déplaise aux xénophobes.
Au moment de conclure, j’ai évidemment une pensée pour les victimes innocentes des évènements de septembre 2015 : celles qui ont subi la tragédie indicible de la perte d’un être cher, ou des blessures, ou des dégâts matériels, alors même qu’elles ne portent aucune responsabilité dans les dérives qui ont marqué la période de la transition. Je leur souhaite de trouver le réconfort que seuls apportent le temps, la foi, le soutien des proches et la connaissance de la vérité sur les circonstances de leurs malheurs. Sur ce dernier point, je doute, hélas, que ce procès permette de faire la lumière, avec objectivité, sur les circonstances précises des drames qu’elles ont vécus.
A défaut de cette vérité, je souhaite que ces victimes innocentes reçoivent de l’Etat burkinabè une réparation adéquate des préjudices moraux et matériels dont elles ont soufferts. Car les autres, les victimes privilégiées, celles qui hantent les allées du pouvoir, ont déjà été dédommagées d’une manière ou d’une autre.
Enfin, j’exprime à nouveau mon affection à tous mes co-accusés qui, par l’amitié qu’ils m’ont témoignée dans cette épreuve commune, sont devenus des membres de ma famille.
Même si j’ai eu à déplorer plusieurs aspects de cette procédure, comme le fait, étant civil, d’avoir à comparaître devant une juridiction militaire, je dois reconnaître qu’elle s’est déroulée dans un climat empreint d’une courtoisie qui ne s’est pas démentie du début à la fin, au moins en ce qui concerne les échanges entre le Tribunal et les accusés. Je vous sais gré, M. le président, MM. les membres du Tribunal, d’avoir imprimé ce respect mutuel aux débats de votre juridiction.
Je vous remercie.
Léonce Koné