HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE : Quand le « Touareg » tente de disculper Gilbert Diendéré

PROCES DU PUTSCH MANQUE : Quand le « Touareg » tente de disculper Gilbert Diendéré


Mardi 10 juillet 2018, les révélations se poursuivent au Tribunal militaire délocalisé à la Salle des Banquets de Ouaga 2000. Après l’interrogatoire de l’adjudant-chef major Eloi Badiel, c’est au tour du sergent-chef Roger Koussoubé surnommé le « Touareg », de répondre de cinq chefs d’accusation à lui reprochés. Il a reconnu partiellement les faits et dit ne pas être mêlé au coup d’Etat manqué.

 

Le procès du putsch manqué recommence peu à peu à drainer du monde dans la Salle des Banquets de Ouaga 2000. « Ça devient de plus en plus intéressant »,  avons-nous entendu, le matin au parking qui recommence à se remplir. Effectivement, comme une poupée russe, jusque-là, le passage de chaque inculpé comporte des rebondissements et certaines révélations qui vont  donner une forme à la charpente qui permettra de comprendre ce qui s’est passé pendant le coup d’Etat manqué de septembre 2015, afin de situer les responsabilités. Le Sergent-chef Roger Koussoubé à qui on a « collé » le sobriquet de « Touareg », à tort ou à raison, pendant les évènements du putsch manqué de septembre 2015, a comparu le 10 juillet 2018. Après avoir purgé une peine de trois mois pour désertion, résultant du procès de Yimdi, il est encore devant le Tribunal militaire pour « attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, dégradation et destruction volontaire de  biens, incitation au trouble de l’ordre public ». D’une voix posée,  l’inculpé a reconnu partiellement les faits. Et voici sa confession : « Le 16 septembre à 13h, l’adjudant-chef Florent Nion m’a appelé de venir le trouver au palais. A ce moment, je me rendais à mon pied-à-terre situé à l’arrière-cour de l’Assemblée nationale. Et c’est aux environs de 14h que je me suis rendu au palais. Arrivé, j’ai remarqué que l’entrée principale était fermée. C’est ainsi que je suis passé par l’entrée Ouest et je suis allé me garer à l’Est du palais, au niveau du garage. Les véhicules étaient en mouvement. J’ai vu un véhicule qui transportait les autorités. L’adjudant-chef Nion était dans un autre véhicule et je les ai suivis pour comprendre pourquoi il m’a appelé. Et c’est dans le véhicule qu’il m’a fait comprendre que c’est une crise et qu’on se rendait chez le Général Diendéré pour la médiation. C’était la quatrième crise. Donc, il n’y avait rien d’anormal. Arrivé au domicile du Général, au poste de contrôle, on nous a fait comprendre qu’il se repose. Je suis rentré seul et je n’ai vu personne. Alors, je suis ressorti et je me suis rendu à mon pied-à-terre pour me mettre en tenue de combat. Après, nous nous sommes rendus au Poste de commandement où se tenait une réunion des sous-officiers, mais nous sommes restés dehors. Le 17 septembre aux environs de 13h, j’ai reçu l’ordre d’aller enlever les barricades sur la route menant au SIAO en passant par l’hôpital, et de là, j’ai reçu l’ordre du colonel-major Kéré, d’aller escorter l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo de son domicile à la présidence. Dans la nuit du 17 septembre, je suis sorti aux environs de 19h parce qu’on avait dit que la radio qui diffusait les messages de Cherif Sy, se trouvait à Savane FM. C’est ma curiosité qui m’a amené là-bas. Sur place, nous avons retrouvé les techniciens de l’ARCEP et des éléments de la Transmission. A la radio Savane FM, on nous a montré la maison de laquelle provenait le signal. Quand on a ouvert la porte, on a constaté que c’était une clé USB. On a ramassé le matériel qu’on a ramené à la transmission ». L’inculpé dit avoir appris le coup d’Etat à la télé, avec les apparitions du colonel Bamba.

« Zida était tout pour moi »

 

 Etait-ce tout ce qu’il avait fait ? Non. En effet, il a confié s’être rendu le 19 septembre à l’hôtel Laïco, parce qu’on leur avait dit que des manifestants voulaient s’en prendre aux autorités. « Mais quand nous sommes arrivés, il n’y avait personne. J’ai pris l’ascenseur du personnel et à un certain niveau, j’ai rencontré des diplomates et des membres d’OSC qui voulaient se rendre au dixième étage. Quand ils m’ont vu, ils ont eu peur, parce que j’étais en tenue, et tous ont voulu se précipiter dans le même ascenseur. Je les ai calmés et j’ai fait monter d’abord les diplomates et ensuite les membres des OSC qui ont même demandé à faire des photos avec moi », a déclaré le sergent-chef Koussoubé Roger qui a précisé que c’est à l’occasion des évènements du coup d’Etat manqué qu’on lui a imputé le sobriquet de « Touareg ». Après la relation des faits, on a fait savoir à Koussoubé que Nion a eu à dire que c’est lui qui était le porteur du message selon lequel, il est dit d’arrêter Zida. « Ce n’est pas vrai », réplique-t-il tout en expliquant : « Je suis un sergent-chef. Ce que le major Badiel pouvait faire, c’est de m’arrêter ou me conduire chez le Général pour vérifier l’information ». Et le parquet militaire de demander : «Un coup d’Etat, est-ce une question de grade ou une question de confiance» ? Après un court instant de silence, il affirme : « Les deux à la fois ». Une réponse qui a semblé satisfaire le parquet qui a évolué dans son interrogatoire en faisant des remarques relativement aux déclarations de Nion qui a avancé que quand le groupe s’est rendu au domicile du Général, il y a vu Diendéré et sa femme. Des déclarations que le « Touareg » a balayées du revers de la main tout en affirmant que « l’adjudant Nion tient à nuire à toute la famille Diendéré parce que son épouse n’était pas là ». Des déclarations qui ont fait réagir le parquet : « Si les autres sont contre le Général, on peut dire que vous, vous le protégez ? »,  « Pas du tout », réplique le sergent-chef Koussoubé. « Dites-nous alors ce qui vous lie au Général Diendéré », avance le parquet militaire. A cette question, le sergent-chef a fait comprendre qu’« il n’y a rien entre le Général Diendéré et lui, simplement des relations professionnelles ». Par contre, il mentionne avoir un lien particulier avec Zida : « Il m’a toujours pris comme son frère. Il était tout pour moi. Mais j’ai refusé de le rencontrer quand il m’a appelé, parce que je ne voulais pas rentrer entre deux personnes ». A ce propos, le sergent-chef a confié qu’à un certain moment, il régnait un climat de suspicion dans le corps, parce que « le RSP était très affaibli » de sorte qu’il y avait « ceux qui sont fidèles au corps, les pro-Zida et ceux qui répondaient aux ordres du Général Bassolé, en l’occurrence les sous-officiers dont le major Badiel ». « Qui était à la tête des fidèles au corps? », lance le juge. « Le colonel Céleste Coulibaly qui se préparait pour entrer à l’école de guerre. (…) Au niveau des pro-Zida, les recruteurs étaient le sergent Compaoré et le caporal Nadié. Ils profitaient des moments de difficulté pour donner de l’argent aux soldats ». L’inculpé, dans ses explications, fait comprendre que comme Nadié est protestant, il jouait sur la fibre religieuse pour recruter, de telle sorte que « l’on se méfiait de tous ceux qui étaient des protestants ». Des révélations qui, apparemment, ont incité le procureur à demander de quel bord était l’inculpé lui-même. « Je suis resté fidèle au corps », répond-il. Et le procureur d’insister : « Mais vous avez reçu 4 millions, deux fois, de la part de Dah Sami ». « Oui. Dah Sami m’a dit que c’est le capitaine qui a donné. J’ai pris et j’ai rendu compte à l’Etat-major particulier, parce que le compte rendu libère le subordonné ». Après analyse de certains propos, le procureur fait cette observation : « Selon le récit de vos frères d’armes, Zida était le problème au RSP et vous, vous travailliez pour Zida et vous avez placé Dah Sami à la sécurité du Général Diendéré ; vous étiez aussi un agent double ». Cette observation a fait dire au « Touareg » qu’en réalité, « le Général Diendéré n’avait pas de projet. Et même que les jeunes soldats traitaient le Général de traître et ils lui demandaient de descendre Zida, mais il dit que ce n’est pas son objectif ». Et même que le Général a demandé aux jeunes soldats « de rester prudents, parce que si quelque chose arrivait à la Transition, on va l’accuser et on va les accuser ». C’est donc en plein dans les révélations, que le juge a suspendu l’audience pour la pause de 13h. Mais auparavant, l’audience a repris dans la matinée du mardi 10 juillet par la suite de l’interrogatoire à la barre du major Eloi Badiel. Et c’est dans la matinée que le procureur  remarque que de l’argent a été expédié de la Côte-d’Ivoire pour bon nombre de soldats du RSP au Burkina Faso. La constance, c’est que le montant envoyé aux éléments, est identique et l’expéditeur est la même personne, en l’occurrence Karidja Ouattara. Mais  Me Bali Baziémo trouve que cette pièce ne saurait prospérer dans le dossier, du moment où c’est la première fois qu’elle est portée à la connaissance de son client. En plus, il affirme que s’il n’est pas prouvé que les experts ont prêté serment avant de faire l’expertise des envois d’argent, la pièce est nulle. Une affirmation que les avocats de la partie civile ont combattue, mais le dernier mot revient au juge qui dit qu’il tranchera en temps opportun.

« Le Général Bassolé ne s’est pas retourné vers nous par hasard »

 

L’audition du sergent-chef Roger  Koussoubé s’est poursuivie dans l’après-midi du 10 juillet.  Lorsque le parquet lui rappelle les propos de Ali Sanou  à qui il a dit « nous avons mis fin à la Transition », le sergent-chef nie cela  à la barre, précisant que Sanou n’était pas au palais. Il indique  n’avoir jamais servi directement avec le major Badiel. Le RSP était divisé en 3 camps, selon ses allégations : le camp de l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, celui du Général Bassolé et enfin le camp des fidèles au Corps. Lui, il était du camp des fidèles au Corps, mais travaillait en tant qu’agent de renseignement pour le camp de Zida, sur ordre du commandement, soutient-il à la barre. Il précise que les fidèles étaient infiltrés, mais ne le savaient pas, mentionnant que « celui qui cherche, ne sait pas que celui qui est caché le voit ». Pour les conseils de l’accusé, Me Alexandre Sandouidi et Me Michel Traoré, on doit rentrer dans le dossier de leur client avec beaucoup de sérieux. Il a longtemps été affecté à la garde de l’ex-Première dame, n’a jamais été proche de Diendéré, de Florent Nion ou du major Badiel, observent-ils. Il est l’un des soldats à être entendu après tout le monde, livre sa déclaration sans haine et de façon sincère, selon Me Sandouidi. Il n’a jamais reçu d’instruction de la part du Général Diendéré, n’a pas été à la présidence, n’a arrêté ni séquestré personne, ajoute-t-il. Le sergent-chef travaillait avec Zida et rendait compte au Corps, pour le préserver. Pourquoi, sans être en fin de mission, va-t-il participer à un projet visant à arrêter Zida, s’interroge l’avocat défenseur ? Il fait observer que l’accusé ne connaissait ni Bagoro ni Loada et lorsqu’il est arrivé à la présidence et a vu les véhicules, sans être briefé, il ne pouvait pas savoir qu’il s’agissait d’un coup d’Etat. Ceux qui le chargent d’avoir pris part au putsch, sont dans l’imaginaire, selon l’avocat qui estime que le sergent-chef est une pièce qui renseigne sur les intrigues dans le Corps. Me Michel Traoré ne comprend pas comment un Général peut confier une mission de putsch à un sergent-chef qui, à ses yeux, n’a pas les ressources en hommes et en renseignement pour cela. Il n’est pas dans les capacités d’être dans les rouages d’une telle stratégie, confie-t-il au juge. L’avocat de la partie civile, Me Séraphin Somé, confie, dans sa prise de parole, ne pas comprendre comment le Général Bassolé qui n’est pas du RSP, peut avoir un camp dans ce Corps. A cette question, le sergent-chef confie ne pas savoir comment, mais ajoute : « vous allez découvrir, au fil du temps, que le Général Bassolé ne s’est pas retourné vers nous par hasard ». A ceux qui disent qu’il a pris part au putsch, Roger Koussoubé répond par la négative, indiquant que si des gens l’ont vu au palais, c’est parce qu’il est arrivé par la porte « Perroquet » et s’est garé à côté du garage, quand Nion l’a appelé. Il révèle que Nadié était l’un des soldats arrêtés dans la nuit du 29 septembre et ils détenaient des armes et de la drogue. Des soldats qui, soutient-il, ont dit qu’ils avaient pour mission d’éliminer le Général Gilbert Diendéré. Suite à la perquisition ordonnée de leurs pied-à-terre et de leurs véhicules, la somme de 16 à 20 millions de F CFA a été trouvée en la possession de Nadié.  Me Paridié s’interroge sur la raison de la fuite de Roger Koussoubé en Côte d’Ivoire. « Ma vie était en danger », répond-il. Les conseils du sergent-chef, prenant la parole, indiquent que celui-ci a fait preuve de loyauté devant le tribunal. Il a été constant, droit dans ses bottes et a avoué avoir reçu 8 millions de F CFA en deux tranches et assume son rôle d’agent de renseignement. A ceux qui soutiennent qu’il est un agent double, Me Michel Traoré demande d’apporter des preuves,  soulignant qu’un agent double ne peut pas commanditer un coup et ordonner à ses supérieurs d’agir. Le sergent-chef a été ramené d’Abidjan après sa fuite et a passé 86 jours en détention à la gendarmerie, avant de se retrouver à la MACA, selon le conseil. Avec ses camarades qui étaient à la gendarmerie avec lui, ils ont vécu des conditions terribles  dans lesquelles l’instruction a eu lieu, relève l’avocat.Au cours de son intervention, Me Guy Hervé Kam de la partie civile demande pourquoi le sergent-chef n’a pas tout dit au juge d’instruction. En réponse, l’accusé affirme qu’il a décidé de venir dire la vérité au tribunal, puisque le peuple veut savoir la vérité. L’audience a été suspendue à 17h moins 5 mn par le président du tribunal et reprend ce matin avec le même accusé à la barre.

Françoise DEMBELE et Lonsani SANOGO

 

 


No Comments

Leave A Comment