PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE AU CONGO : Les non-dits d’une marche
Au Congo Brazza, la paix sociale ne tient plus que sur le fil du rasoir. Depuis que le président Denis Sassou N’Guesso ne fait plus mystère de sa volonté de tripatouiller la Constitution du pays en vue de se maintenir au pouvoir, c’est dans un climat tendu, prêt à l’explosion, que vivent les Congolais. Et même si la guerre civile n’a pas encore éclaté, beaucoup de Brazzavillois s’accordent à dire que tous les ingrédients sont à ce jour réunis, pour que la patrie de Marien N’Gouabi emboîte le pas au Burundi, au Rwanda ou encore à la République centrafricaine, tous ses voisins qui n’ont pas hésité à emprunter le chemin de la violence, des crimes et du génocide comme solution à leurs soucis politiques.
Dans ce climat de ni crise ni paix, mais plus proche quand même de la crise que de la paix, les femmes congolaises ont décidé de donner de la voix pour attirer l’attention de la classe politique sur les risques d’une instabilité et ses éventuelles conséquences pour l’ensemble du pays. Ainsi, elles étaient plus de 13 000 à battre le macadam, pour rappeler à leurs « maris, leurs fils et pères le désir des femmes de vivre dans un pays où règnent la paix et la concorde. » Une initiative sans doute louable, et qu’il convient de saluer à sa juste valeur. Car cette mobilisation est d’autant plus appréciable qu’elle a concerné toutes les femmes de toutes obédiences. Partisanes du parti majoritaire ou de l’opposition, toutes ont donné de la voix pour demander aux politiques de faire preuve de responsabilité, pour éviter au Congo de sombrer dans la violence. Comment ne pas rendre hommage à ces femmes qui veulent anticiper et éviter à leurs enfants les mêmes scènes d’horreur qu’ont connues leurs camarades du Rwanda ou de la Centrafrique ? Cette sortie des femmes congolaises est sans doute la bienvenue et elle l’aurait été encore plus, si seulement les femmes étaient allées jusqu’au bout de leur logique de recherche de la paix, en ne restant pas sur des déclarations assez vagues qui renvoient finalement dos à dos opposition et partis de la majorité.
Tout porte à croire que cette marche n’est rien d’autre qu’une manipulation
Certes, on peut dire que la classe politique, dans son ensemble, porte la responsabilité morale d’une éventuelle dégradation de la paix au Congo. Mais la thèse du « tout le monde est coupable » ressemble fort, dans ce cas en tout cas, à une volonté de sauver la tête du vrai coupable. On ne peut pas organiser une marche pour la paix sans se demander d’où vient le danger qui menace la paix. Les organisatrices de cette marche étaient donc bien placées pour désigner nommément l’auteur de la menace. Et dans le cas présent, tout désigne le président sortant, Denis Sassou N’Guesso, comme la personne qui menace la paix. La faiblesse du message cache d’ailleurs mal la volonté de ces femmes de maquiller la réalité, en mettant opposition et majorité dans le même panier. Il suffit à Sassou de respecter la Constitution du Congo et toute menace sur la paix s’estomperait du même coup. C’est pourquoi le mot d’ordre aurait plutôt dû être : «Sassou dégage » ou encore « 30 ans, ça suffit ». Plutôt que des slogans fades du genre « on veut la paix pour notre pays ». Le refus de désigner le véritable coupable laisse donc penser que cette marche a été organisée sous l’instigation du parti au pouvoir. Une stratégie que les alchimistes de la majorité présidentielle au Burkina avaient expérimentée, avant la fuite de leur mentor sous la pression de la société civile burkinabè. Au finish, c’est bien sûr le pouvoir de Sassou qui s’en sort ragaillardi.
En tout cas, cette mise en scène dans laquelle les louves se mêlent aux brebis pour réclamer la paix, a quelque chose d’indécent, qui blesse même la morale. Jamais auparavant, on n’avait vu des bourreaux et des victimes, main dans la main, réclamant la même paix.
Tout porte donc à croire que cette marche n’est rien d’autre qu’une manipulation orchestrée par les sbires du maître de Brazzaville, pour mener en bateau l’opposition et la société civile congolaises. Maintenant que le loup est entré dans la bergerie, que va-t-il arriver ?
Dieudonné MAKIENI