PROMESSE DE LIBERATION DES JEUNES FILLES DE DAPCHI : Buhari joue-t-il sa réélection ?
Trois semaines après l’enlèvement massif des jeunes filles de Dapchi, le président nigérian, Muhammadu Buhari, était dans ladite localité pour réconforter leurs parents. C’était le 14 mars dernier. Le chef de l’Etat en a profité non seulement pour assurer les populations des efforts du gouvernement pour retrouver les disparues, mais a aussi promis la libération prochaine des 110 jeunes filles qui ne fait, pour lui, « aucun doute ». Morceau choisi : « Suite à notre engagement, plus d’une centaine de filles de Chibok ont été libérées et ont retrouvé leurs familles. (…) Nous n’avons aucun doute sur le fait que les filles de Dapchi seront secourues et libérées. Je veux rassurer les parents, les Nigérians et la communauté internationale : nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener les filles saines et sauves ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le président nigérian semble avoir pris le taureau par les cornes, en effectuant dans la foulée une visite dans la région pour s’adresser aux populations.
Quel crédit accorder aux déclarations du président Buhari ?
Quand on sait que cette région septentrionale du pays est l’une des plus dangereuses en raison de la présence de la secte islamiste Boko Haram qui y sévit, on peut saluer l’acte du chef de l’Etat qui, malgré la menace, a pris le risque d’aller à la rencontre des populations de cette région pour leur porter son message de réconfort. Cela est une bonne chose. D’autant plus que pour une situation similaire, en 2014, à Chibok, son prédécesseur n’avait pas montré le même empressement à aller à la rencontre des parents des victimes. Buhari a donc posé un geste de solidarité qui peut être d’un certain soulagement pour les parents des captives. Mais il faudrait aller au-delà, et travailler véritablement à retrouver les jeunes filles pour les remettre à leurs familles. Mais cela, c’est une autre paire de manches. D’autant plus qu’on se rappelle le cas des jeunes filles de Chibok, enlevées en avril 2014 et dont la plupart sont toujours entre les mains de leurs ravisseurs. Ce, malgré les promesses des autorités de l’époque de tout faire pour les retrouver afin qu’elles réintègrent leurs familles respectives. A l’époque, les autorités avaient même poussé le cynisme jusqu’à aller affirmer avoir libérées les captives alors que tout cela n’était que de grossiers mensonges. La suite, on la connaît. Goodluck Jonathan, chef de l’Etat à l’époque des faits, n’a pas survécu à cet enlèvement de jeunes filles, battu à la régulière à la présidentielle qui a suivi un an plus tard. Quatre ans après ces faits, l’histoire semble se répéter, à quelque un an de la présidentielle nigériane, avec ce nouveau cas de rapt collectif dans la même région du Nord, créant colère et indignations au sein des populations. Dans un pays comme le Nigeria où les autorités n’ont parfois aucun scrupule à recourir au mensonge pour masquer certaines de leurs carences, l’on se demande quel crédit accorder aux déclarations du président Buhari qui a fait la promesse de retrouver les jeunes filles pour les rendre à leurs parents. Doit-on le prendre au sérieux ou faut-il y voir des paroles en l’air, juste taillées à la mesure de la circonstance ? En tout cas, pour les parents des victimes qui ont besoin de s’accrocher au plus petit des espoirs pour retrouver leur progéniture, ces déclarations sont prises très au sérieux.
La bête immonde est loin d’être vaincue
Et si Buhari ne tient pas parole, il faudra qu’il s’attende à ce que les populations lui fassent payer d’une façon ou d’une autre, toutes ses promesses non tenues. Et ce pourrait bien être dans les urnes. C’est pourquoi l’on peut se demander si le président nigérian ne joue pas sa réélection. D’autant plus qu’à côté de la lutte contre la corruption, l’une de ses promesses fortes de campagne était de vaincre l’hydre terroriste qui était en passe de mettre une bonne partie du pays sous coupe réglée. Trois ans après son arrivée au pouvoir, l’on ne peut pas dire que rien n’a été fait. En effet, dès sa prise de fonction, Buhari avait déjà posé un acte fort en se déplaçant chez son voisin camerounais, pour essayer de trouver une solution concertée à la question des islamistes insurgés. Car, Boko Haram profitait de la porosité des frontières et de la méfiance réciproque entre les deux voisins en bisbilles depuis l’affaire de la presqu’île de Bakassi, pour sévir d’un côté comme de l’autre, en prenant toujours l’autre frontière comme base de repli. Mais depuis la mutualisation des forces avec ses voisins du Bassin du lac Tchad et la synergie dans l’action contre la pieuvre, la voilure de Abubakar Shekau et de ses affidés a été considérablement réduite. Rien qu’en cela, Buhari aura fait mieux que son prédécesseur Goodluck Jonathan. Mais le constat est que la bête immonde est aujourd’hui encore loin d’être vaincue. Pire, tout porte à croire qu’elle est en train de reprendre du poil au Nigeria, au point de mettre à nouveau au défi les autorités d’Abuja. En tout cas, le rapt des jeunes filles de Dapchi en est un exemple, qui est venu assombrir le tableau de chasse du président Buhari. S’il réussit à faire libérer les jeunes filles, il frappera incontestablement un grand coup dont il pourrait tirer des dividendes politiques. S’il échoue, par contre, il n’est pas exclu qu’il connaisse le même sort que son prédécesseur au moment de demander l’onction du peuple. En tout état de cause, Buhari a promis, et on attend de voir.
« Le Pays »