HomeA la uneRAMASSAGE DE GRAVILLONS A NOUNA : Cette activité pénible qui expose les femmes aux maladies

RAMASSAGE DE GRAVILLONS A NOUNA : Cette activité pénible qui expose les femmes aux maladies


Décidément, la pauvreté a un visage féminin à Nouna. En effet, pour obtenir leur pitance quotidienne, des femmes s’adonnent au ramassage de gravillons qu’elles revendent au plus offrant. Pour lever un coin de voile sur cette activité peu connue, nous nous sommes rendu sur le tarmac de l’aérodrome de Nouna, situé au Nord de la ville, le 28 janvier 2016.
Baptisé mine des pauvres, l’aérodrome de Nouna est devenu un lieu de gagne-pain pour de nombreuses femmes de Numadu.

Il est 14h 30mn. Sous un soleil de plomb, nous arrivons sur le site qui s’étend sur plusieurs centaines d’hectares, où une foultitude de femmes, en majorité des vieilles, prennent d’assaut les lieux, munies de balais, de plats, de seaux, de paniers, de pioches qui leur permettent de creuser, et de pelles pour rassembler les graviers. Leur passage laissait sans nul doute un terrain au relief accidenté. Bref, notre préoccupation est de savoir les principales motivations de ces ramasseuses de gravillons. La soixantaine bien sonnée, Agniko Sanou nous confie qu’elle exerce ce travail depuis environ cinq ans. Pour elle, la vente des graviers lui procure de l’argent pour acheter de la nourriture et prendre en charge son époux, frappé par la maladie due au poids de l’âge. Plus loin à côté d’une touffe, Iliane Kanté, une autre vieille femme, le corps couvert de poussière, dit ne pas s’adonner à cette activité par plaisir, mais à cause de la pauvreté et de la misère. C’est pour éviter de voler qu’elle vient vanner les gravillons pour les revendre. Elle ajoute qu’elle ne souhaite pas que son ennemi soit à sa place, à cause des maladies auxquelles elle se trouve exposée, notamment la tuberculose, l’asthme, la toux, le rhume, la pneumonie et les sinusites. Sans détour, Marthe Coulibaly, une autre ramasseuse, clame : «je suis devenue vieille et je ne peux plus travailler ; c’est pourquoi, je me débrouille en ramassant les gravillons pour les revendre ».
Quant à Soumahan Gnifoua, elle explique qu’elle est venue de Djibasso et n’a d’autre métier que le ramassage de gravillons. Et de conclure qu’elle ramasse les graviers pour se nourrir.
Fatimata Ouédraogo, la plus jeune des femmes rencontrées, nous rapporte que c’est par manque de travail que les femmes envahissent ce site en vue d’assurer un plat par jour à leur famille, prendre en charge la scolarité de leurs enfants et assurer les factures d’électricité. Le ramassage de gravillons procure de l’argent à bien des femmes, si bien que divers endroits sont pris d’assaut par celles-ci. Terrains de sports, aérodrome, « six mètres », pistes, bref, aucune surface qui dispose de gravillons n’est épargnée par les femmes. Quant au prix de vente, il est le même chez toutes les ramasseuses de gravillons. «Nous vendons la charretée à 1 500 F CFA. Or, dans le mois, je ne peux même pas avoir deux charretées. Si je sors deux à trois jours, je tombe malade», raconte Koulsoum Sawadogo, une vieille qui a de la peine à marcher. Pour sa part, Ténin Traoré, l’air triste, nous confie: « Ma fille est décédé et m’a laissée son enfant de 8 ans ; c’est elle qui m’aide à ramasser les gravillons pour les revendre afin que nous puissions manger chaque jour».
A la question de savoir si les autorités leur ont rendu visite sur les lieux et ont fait quelque chose pour améliorer leur situation, Abibou Guiro répond par la négative. « Nous avons entendu plusieurs fois que la mairie recrutait des femmes pour le nettoyage de la ville, dans le cadre de la Haute intensité de main-d’œuvre (HIMO). Nous avons, à maintes reprises postulé, mais nous n’avons pas été retenues sous prétexte que nous n’avons pas de bras longs. Ce recrutement s’est déroulé dans un cercle restreint entre ceux qui sont devant et leurs connaissances », martèle-t-elle.
Le ramassage des gravillons n’est pas sans conséquences sur l’environnement et les femmes qui mènent cette activité ne l’ignorent pas. «Nous sommes conscientes des conséquences. Cependant, nous n’avons pas d’autre métier, sinon, nous n’en serions pas là», soutient Ramata Belem, le regard hagard. «En toute situation de survie, chaque personne déploie des moyens de résistance pour éviter de périr. Nous sommes prêtes à quitter les lieux, et si les autorités nous font une bonne proposition, nous n’hésiterons pas», renchérit-elle. De son côté, Adjara Guiré trouve que ce métier de ramasseuse de gravillons n’est rien d’autre que l’expression de la pauvreté et de la misère ambiantes dont les femmes sont victimes. A l’en croire, 40 à 60 femmes envahissent chaque jour l’aérodrome et d’autres lieux, à la recherche des gravillons. « Vendre des gravillons est peut-être la plus basse besogne qui ôte la dignité à l’Homme. Nous ne sommes pas contentes d’être ici en train de racler des graviers pour vendre. C’est pourquoi, nous lançons un appel pressant aux autorités afin qu’elles plaident pour la bonne cause de la femme rurale, analphabète et illettrée. Nous voudrions qu’elles posent des actes concrets au-delà des discours élogieux et laudatifs que nous applaudissons sans rien y comprendre. Nous demandons un traitement équitable entre les femmes urbaines et les femmes rurales. En aucun cas, nous ne devons être des laissées-pour-compte de la société. Nous sommes toutes les mêmes mères de l’humanité ayant enduré les épreuves de la grossesse jusqu’à l’accouchement, au prix de notre vie.
Mais pourquoi les femmes leaders et urbaines sont-elles plus vues que celles des campagnes ? On nous laisse croire que nous avons les mêmes droits, alors que la loi n’est pas droite dans tous les endroits.
Nous supplions les nouvelles autorités d’avoir plus d’égards et de traitement humain à l’égard des femmes rurales qui croupissent dans la misère. Elles ont subi toutes les souffrances inhumaines jusqu’à nos jours », affirme-t-elle. Selon elle, les ramasseuses de gravillons peuvent mener d’autres activités, pour peu que les autorités les soutiennent et les accompagnent. « Nous ne sommes pas venues ici parce que nous le voulons, mais seulement parce que nous n’avons pas le choix », affirme-t-elle, l’air déprimée.
« Nous sommes fières de participer à la construction de la ville de Nouna à travers le ramassage des gravillons que nous vendons et rien de tel pour une mère qui se soucie de l’avenir de ses enfants », lance pour sa part, Awa Sondo. Sur leurs lieux de travail, un simple coup d’œil sur les immondices, offre un spectacle désolant. C’est un véritable tas de détritus où sachets plastiques rivalisent avec préservatifs usés.

Madi KEBRE (Correspondant)

 


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