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REACTION DES AUTORITES CAMEROUNAISES A LA SORTIE DE L’AMBASSADEUR AMERICAIN


Biya, ce papy qui a choisi de rester enfant !

Au sortir d’une audience avec le président Paul Biya, l’ambassadeur américain basé à Yaoundé, a indiqué lui avoir suggéré de songer à son héritage. Les propos du diplomate ont été sans aucune ambiguïté : « J’ai suggéré au président Biya qu’il devrait réfléchir à son héritage et à comment il souhaite que l’on se souvienne de lui dans les livres d’histoire ». Cette déclaration, comme l’on pouvait s’y attendre, a irrité au plus haut point les autorités camerounaises. La réaction a été immédiate. Par la voix du Raspoutine le plus zélé du système Biya, Issa Tchiroma Bakary pour ne pas le nommer, le diplomate américain en a eu pour son grade, pardon pour son audace. Extrait : « Le peuple camerounais est souverain. Le peuple camerounais n’est pas disposé à accepter quelque diktat que ce soit de la part de telle ou telle puissance ».

Tout laisse croire que Paul Biya n’est pas rassasié du pouvoir

Dans la foulée, Issa Tchiroma Bakary est allé jusqu’à dénoncer ce qu’il qualifie « d’infantilisation de la Nation camerounaise ».
Cette réaction, on ne peut plus épidermique, traduit le fait que les autorités camerounaises sont allergiques à la moindre critique touchant au trône de Paul Biya. Même les critiques les plus constructives, émanant de pays amis, sont perçues comme un péché de lèse-Biya. Et cette posture justement, est l’apanage des êtres immatures, c’est-à-dire des enfants. Ce n’est donc pas l’ambassadeur américain qui infantilise « la Nation camerounaise », comme le laisse entendre le porte-parole du gouvernement ; ce sont plutôt les autorités camerounaise qui ont fait le choix conscient de se comporter en enfants, à commencer par le président Biya lui-même. Le procès donc qui est fait au diplomate américain, est un faux procès. Il n’a fait qu’appeler le chat par son nom. Et cela est un mérite que tous les Camerounais épris de bon sens et de démocratie, doivent lui reconnaître. Mais ce que le diplomate américain ignore, peut-on dire, c’est que le sujet qu’il a évoqué avec le président, est un sujet tabou. Car, on peut tout suggérer à Paul Biya sauf de lui dire qu’il est temps de passer la main. Du haut de ses 85 ans et de ses 36 ans aux manettes de l’Etat, tout laisse croire que l’homme n’est pas rassasié du pouvoir. En effet, en cette année où une élection présidentielle est attendue en octobre prochain, Paul Biya n’a toujours pas dit s’il serait à nouveau candidat à sa propre succession. Et ce silence, en lui-même, est révélateur du rapport qu’il a avec le pouvoir. Au Cameroun, en effet, Paul Biya a réussi le tour de force, peut-on dire, d’anesthésier toutes les consciences au point que personne ne semble faire de sa succession une préoccupation. Sacrés Camerounais ! peut-on s’exclamer, eux qui sont si prompts à détecter la paille dans l’œil des autres (ils s’intéressent à la gouvernance d’autres pays), tout en feignant d’ignorer la poutre Biya qui s’est confortablement installée dans leur œil. Pour dire les choses plus clairement, les Camerounais vouent aux gémonies, sur les plateaux de télévision, le manque d’alternance et les atteintes à la démocratie que l’on observe dans bien des pays africains, tout en évitant de parler du cas de leur président. Et pourtant, ce cas est tellement fétide que ses odeurs ont franchi les frontières du pays.

Les grands hommes que l’Afrique a connus, ont su éviter le vertige du pouvoir

Et cette attitude paradoxale pourrait s’expliquer de plusieurs manières. D’une part, l’on peut avoir l’impression que les Camerounais, face au cas Biya, se sont résignés. De ce point de vue, ils ont jeté leur dévolu sur Dame nature, à charge pour elle d’imposer l’alternance à la tête de leur pays. De l’autre, l’on peut avoir le sentiment que les Camerounais se gardent d’évoquer le long règne de leur papy de président, pour la simple raison qu’ils bénéficient tous de ses largesses.
Et comme la bouche pleine ne peut pas parler, l’on peut comprendre dès lors leur silence coupable à propos des excès de Paul Biya. Mais l’on touche du bois, car leur réveil pourrait être douloureux. En effet, les longs règnes débouchent souvent sur le chaos. Bien des pays africains ont déjà expérimenté cette vérité. Le Cameroun court le risque de l’apprendre à ses dépens. Et tous ceux qui sont en train de brandir la stabilité du pays comme argument pour ne pas bousculer le papy Paul Biya, font fausse route. Car, la stabilité derrière laquelle ils s’abritent, est en réalité un trompe-l’œil, en ce sens qu’il est apparent. La vraie stabilité est celle qui émane d’institutions fortes et démocratiques. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui au Cameroun. Et c’est cette vérité que l’ambassadeur américain a voulu signifier aux Camerounais. Ces derniers ne devraient donc pas s’en offusquer. Ils devraient au contraire lui tresser des lauriers, car la vérité rougit les yeux, mais ne les crèvent pas. Et au lieu de se montrer grand pour prendre en compte les sages conseils de l’Amérique, le pouvoir camerounais s’est fendu d’une réaction au vitriol. Si cela n’est pas faire preuve d’infantilisme politique, en tout cas, cela y ressemble. Et si malgré tout, Issa Tchiroma Bakary dit sa conviction que le président Paul Biya entrera « dans l’histoire par la grande porte », l’on peut avoir l’envie d’en pleurer ou d’en rire. Car, tous les grands hommes que l’Afrique a connus, ont su éviter le vertige du pouvoir en passant consciemment le relais à quelqu’un d’autre. Paul Biya qui est à sa 36e année de règne et qui n’est pas prêt à lâcher prise, risque de préparer le chaos pour son peuple. Et au moment où il est en train de célébrer avec faste le 36e anniversaire de la réunification du Cameroun et où les anglophones veulent se séparer du pays, il aurait été bien inspiré de bien prendre la sortie du diplomatique américain.

« Le Pays »


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