HomeA la uneRECOURS A LA BIOMETRIE POUR LA PRESIDENTIELLE OUGANDAISE: Que cache cette innovation de Museveni ?

RECOURS A LA BIOMETRIE POUR LA PRESIDENTIELLE OUGANDAISE: Que cache cette innovation de Museveni ?


 

C’est le 18 février prochain que les quinze millions d’électeurs seront appelés aux urnes en Ouganda, pour une élection présidentielle couplée aux législatives. Parmi les huit candidats en lice, 3 font figure de favoris : le président sortant et probable futur entrant, Yoweri Museveni, l’ancien médecin personnel de ce dernier avec lequel il a rompu en 1999, le Dr. Kizza Besigye-Kifefe, et enfin John Patrick Amama Mbabazi, ancien homme très proche de Museveni tombé en disgrâce en 2014. Ces élections s’annoncent comme les plus ouvertes et a priori les plus transparentes de l’histoire de l’Ouganda, avec la mise en place inédite par la commission électorale d’un système d’authentification biométrique des électeurs afin d’éviter les votes multiples et l’usurpation d’identité pendant le processus électoral. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une avancée considérable dans la voie de la démocratie dans ce pays dirigé de main de maître par le septuagénaire Yoweri Museveni depuis qu’il est entré triomphalement et par la force à Kampala, en chassant du pouvoir Tito Okello le 29 janvier 1986. La question qui vient tout de suite à l’esprit en écoutant le président de la commission électorale, Badru Kiggundu dévoiler le catalogue de bonnes intentions qui se cachent derrière cette innovation majeure, est celle de savoir s’il s’agit véritablement et irréversiblement d’un retour aux fondamentaux de la démocratie en Ouganda, ou de simples manœuvres dolosives conçues par les conseillers du président Museveni afin que la communauté internationale applaudisse et salue sa probable réélection parce qu’intervenue sur des bases saines. En tout état de cause, l’objectif recherché à travers l’informatisation des données n’est pas anodin, et deux raisons pourraient avoir prévalu à l’acceptation de cette garantie de transparence par l’ancien maquisard devenu président-dictateur, alors même qu’il fera face, pour la première fois,  à des challengers de taille qui promettent de faire une union sacrée autour d’un seul candidat en cas de second tour pour le chasser du pouvoir. La première hypothèse est la lassitude de Yoweri Museveni, après avoir géré le pouvoir d’Etat plus de trente ans durant. Il se pourrait qu’il ait réalisé, enfin, qu’il y a une vie après les contraignantes charges de président de la République et qu’il ait pris conscience, un demi-siècle après le Général De Gaulle, du fait qu’il ferait mieux de quitter les choses avant que les choses ne le quittent. Après tout, John Jerry Rawlings, Abdou Diouf, Alpha Oumar Konaré se sont retirés de la vie politique et même publique sans que cela n’entame leur notoriété, bien au contraire ! Dans cette hypothèse où il accepterait les résultats des urnes en cas de défaite, Yoweri Museveni pourrait se réconcilier avec les opinions publiques africaines et même mondiales largement acquises à la cause de l’alternance au sommet de l’Etat. L’homme qui était en passe de rentrer à reculons dans l’histoire de son pays deviendrait, par ce coup de baguette biométrique, une référence dans ce continent qui en manque tant, surtout au moment  où le refrain à la mode est « j’y suis, j’y reste ».

Derrière cet angélisme soudain, il pourrait y avoir une véritable entourloupe

Mais le passé sulfureux du maître de Kampala nous appelle à la prudence et nous amène à poser la deuxième hypothèse, de loin la plus plausible, qui consiste pour Yoweri Museveni à faire de l’enfumage juste pour se faire adouber par la communauté internationale de plus en plus exigeante en matière de respect des règles du jeu démocratique. Les propos outrageusement triomphalistes du président-candidat sur les résultats des élections à venir, de même que le tour de vis qui a été récemment opéré sur les médias afin qu’ils ne mettent pas à nu tous les travers de son régime dont le gangstérisme économique et l’interventionnisme dans les conflits des pays voisins, ont toujours constitué de véritables boulets qu’il traîne aux pieds. En clair, cette introduction de la biométrie dans le processus électoral est trop belle pour ne pas être suspecte, surtout qu’elle émane de l’un des prédateurs de la démocratie les plus connus en Afrique. Au-delà du conformisme et de sa volonté apparente d’être dans l’air du temps, Museveni veut, grâce à ce coup de génie, priver les opposants ougandais des arguments fondés sur la non-transparence du scrutin pour contester sa réélection. Ce président qui est considéré par beaucoup comme le dictateur le plus intelligent de sa génération, sait très bien qu’au regard de son âge, de son bilan et du temps passé au pouvoir, l’humiliation suprême pour lui serait d’être considéré comme un vulgaire « voleur » de voix qui ne recule devant aucun risque ou danger pour son peuple, pour continuer à jouir des fruits de ce qu’il considère comme sa « bananeraie » qui, ne riez pas, n’est rien d’autre que ce gigantesque pays aux dizaines de millions d’habitants. Derrière donc cet angélisme soudain, il pourrait y avoir une véritable entourloupe, juste pour se donner bonne conscience et faire semblant d’être l’exception dans cette région gangrénée par des cancrelats de la démocratie. Evidemment, tous les préjugés lui sont déjà défavorables en raison de ses antécédents (l’embastillement systématique des opposants qui pouvaient lui faire barrage lors des élections passées étant de notoriété publique) et de ses accointances  bien connues avec des chefs d’Etat devenus parias de la communauté internationale comme Pierre Nkurunziza pour s’être imposés par la violence à leur peuple. Ne nous y trompons pas, si la biométrie est un moyen efficace pour assurer la crédibilité des scrutins, elle est loin d’être infaillible car, ne l’oublions pas, les machines ne génèrent les fichiers électoraux qu’à partir des renseignements qui y sont introduits par des opérateurs. Et si ces derniers sont instrumentalisés ou mal formés à l’utilisation des outils, on assistera simplement à la légalisation ou à la certification d’une élection « scientifiquement » truquée. Le drame dans ce cas, c’est qu’il est quasiment impossible aux concurrents de crier haro sur le baudet, et de toute façon, leurs voix seront inaudibles à cause de la fiabilité présumée du matériel technologique et des professions de foi des utilisateurs qui sont souvent, il faut bien le dire, de faible vertu. On se demande comment les Ougandais pourraient éviter ce « piège technologique » le 18 février prochain, puisque le président sortant a déjà prévenu que dans tous les cas, il ne…sortira pas.

Hamadou GADIAGA


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