HomeA la uneRECOURS DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE GABONAISE : Ne pas répéter le « syndrome Paul Yao N’Dré »

RECOURS DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE GABONAISE : Ne pas répéter le « syndrome Paul Yao N’Dré »


 

L’opposant gabonais arrivé deuxième à l’élection présidentielle du 27 août dernier selon les résultats publiés par la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP), s’est finalement résolu à déposer un recours devant la Cour constitutionnelle afin de contester la réélection du président sortant  Ali Bongo Ondimba. Le recours de Jean Ping porte sur le score à la soviétique de son challenger, obtenu dans sa province d’origine du Haut-Ogooué, qui aurait donné 95% de ses voix au fils du terroir, pour une participation record de 99,93%. L’objectif visé à travers cette saisine de la Cour constitutionnelle, est d’invalider certains procès-verbaux de dépouillement qui auraient frauduleusement permis à Ali Bongo de remporter la victoire sur le fil, et, subséquemment, de rétablir la vérité des urnes en déclarant le candidat Jean Ping élu président de la République du Gabon pour les sept années à venir. Le moins que l’on puisse dire est que le choix de s’inscrire dans la voie de la légalité  en déposant ce recours au parquet de la plus haute juridiction du pays, a été opéré in extremis par Jean Ping et ses partisans, pour non seulement ne pas s’attirer les foudres des partenaires extérieurs du Gabon qui en font l’unique voie de contestation, mais aussi pour ne pas donner au camp d’Ali Bongo le prétexte et l’occasion de réprimer davantage les contestataires, pour non-respect des « voies légales de contestation». En tout état de cause, tous les regards sont braqués sur cette institution présidée par une fidèle parmi les fidèles de la famille Bongo, Marie-Madeleine Mborantsuo pour ne pas la nommer, parce que la décision qui en sera issue déclenchera à coup sûr dans un camp comme dans l’autre, des scènes de violences et de pillages dont l’ampleur sera probablement plus grande, d’autant que les deux camps affûtent déjà leurs armes et attendent fébrilement la sentence. Les observateurs avertis et ceux qui connaissent bien le fonctionnement de ces juridictions en Afrique, ne se font guère d’illusions sur l’issue des quinze jours de délibération de la Cour, puisque sauf erreur ou omission, aucune d’elles n’a encore eu la témérité d’invalider les résultats d’un président sortant et candidat à sa propre succession, au profit de son concurrent. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rappeler que la Cour constitutionnelle du Gabon a, depuis sa création en 1991, systématiquement rendu des arrêts favorables aux Bongo père et fils, comme pour leur renvoyer l’ascenseur, après que ces derniers  ont permis  à ses membres  de continuer à occuper leurs prestigieux postes, malgré l’expiration depuis une dizaine d’années de leur mandat de sept ans renouvelable une fois. Mais,  pour cette fois-ci, l’inamovible présidente  Marie-Madeleine Mborantsuo  et ses collègues ont  l’occasion d’entrer dans l’Histoire en disant le droit, et en ne cédant pas aux pressions multiformes que les protagonistes ne manquent pas, on l’imagine, d’exercer sur eux.

 Espérons que la Cour constitutionnelle aura le courage de trancher en faveur du plus légitime

Car, tous les observateurs sont unanimes sur le caractère « flou et incohérent » de certains résultats enregistrés, notamment dans le fief du président sortant, et la communauté internationale attend de cette Cour que l’on dit inféodée au pouvoir en place, qu’elle tranche le litige en toute transparence. En plus de la guerre des chiffres dans le Haut-Ogooué, il y a des odeurs nauséabondes de corruption électorale qui commencent à se dégager de la fameuse CENAP, puisqu’au moins un commissaire a reconnu avoir empoché une forte somme ; cinquante millions de F CFA auraient été gracieusement offerts par le camp d’Ali Bongo au vice-président de la CENAP et à deux agents électoraux dont lui, pour apposer leur signature au bas des procès-verbaux aujourd’hui querellés. Evidemment, la Cour ne se prononcera pas sur cet acte de corruption, mais il est de son devoir de dire au peuple gabonais si oui ou non, plus d’une centaine de PV de dépouillements ont été camouflés à dessein par la CENAP, et s’il y a eu ou non 11 000 abstentions dans le Haut-Ogooué comme le prétend l’opposition, rendant du coup improbable le taux de participation de 99,93% dans cette province, présenté par la commission électorale. Voilà donc des questions simples, qui ne nécessitent pas de contorsions juridiques pour être élucidées, et les membres de la juridiction suprême du Gabon devraient avoir à l’esprit, l’intérêt supérieur de leur pays qui, il faut bien le dire, se trouve dans le respect du choix des électeurs et non dans le tripatouillage des résultats au profit d’un camp, fût-il puissant et impitoyable. Il serait inutile, voire insultant pour le peuple gabonais, de venir plus tard  s’arrêter honteusement au milieu des ruines pour présenter platement ses excuses, après avoir rendu une décision qu’on savait conflictogène, parce qu’illégale et donc inacceptable par la majorité des populations. Marie-Madeleine Mborantsuo  et les siens sont donc prévenus, ils répondraient devant l’Histoire s’ils se laissaient gagner par le « syndrome Paul Yao N’Dré », du nom de cet ancien président de la Cour constitutionnelle de la Côte d’Ivoire par qui tous les malheurs sont, pour ainsi dire, arrivés en 2011, avec son parjure en décembre 2010 quand il a investi Laurent Gbagbo, alors que lui-même savait  que les résultats étaient plutôt défavorables à ce dernier. C’est du moins ce qu’il a laissé entendre après plusieurs milliers de morts, au cours d’une cérémonie pathétique, pour ne pas dire pitoyable, de repentance, avant de justifier sa lâcheté par le fait qu’il « était possédé par le diable » au moment où il validait les résultats transmis par la CENI ivoirienne. Espérons que la Cour constitutionnelle gabonaise saura tirer leçon de cette indignité de Paul Yao N’Dré, et qu’elle aura le courage de trancher en faveur du plus légitime, et non du plus fort, pour ne pas mettre en péril la stabilité de ce petit Etat de l’Afrique centrale.

Hamadou GADIAGA


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