REGION DU NORD : Déperdition scolaire des jeunes filles, un mal aux causes multiples
De nombreuses filles sont de nos jours scolarisées mais malheureusement, elles sont peu à franchir le cap de la classe de 3e et de la terminale. Nous avons effectué un séjour de 3 jours, du 17 au 20 décembre 2014, dans la région du Nord pour constater l’ampleur du phénomène. Le nombre de filles qui abandonnent l’école avant le premier et le second cycles, est encore élevé. D’où des efforts à fournir, selon les acteurs que nous avons rencontrés pour endiguer le phénomène.
S’il y a une question préoccupante en milieu scolaire dans la région du Nord, c’est bien la déperdition scolaire des filles. Un séjour de 3 jours, du 17 au 20 décembre 2014, nous a permis de constater l’ampleur du phénomène. Il se passe de tout commentaire. Selon le service de la scolarité de la direction régionale du Nord, 1 052 filles ont abandonné les classes au cours de l’année scolaire 2013-2014. Un tour dans certains établissements d’enseignement secondaire publics et privés, nous a permis de récolter les chiffres suivants. Au Lycée Yamwaya, le plus grand établissement scolaire de la région en termes d’effectifs, le nombre d’abandons scolaires avant la fin de l’année scolaire est passé de 9 en 2010-2011, à 16 en 2011-2012, pour atteindre le nombre record de 26 élèves (filles) en 2012-2013. Ce n’est qu’en 2013-2014 que le nombre a connu une baisse dans cet établissement, soit 16 abandons avant la fin de l’année. Au lycée technique et commercial Yambdenda, un établissement privé laïc, les abandons ont été enregistrés uniquement chez les filles en 2011-2012. Ces abandons ont connu une hausse en 2012 -2013 et en 2013-2014. Pour des raisons inconnues, les chiffres n’ont pas été communiqués dans certains établissements. Le phénomène n’épargne pas les petites classes, c’est-à-dire le primaire. Les chiffres dans la province du Lorum dont le chef-lieu est Titao, sont pour le moins évocateurs. Selon le chef de service des études et de la planification de la Direction régionale du Nord du ministère de l’Education nationale et de l’alphabétisation (MENA), Niamboé Bayili, en 2013-2014, 14,2% des filles ont abandonné l’école avant la fin de l’année scolaire. Ces chiffres se repartissent comme suit : 10 ,3 % au CP2, 13,9% au CE1, 4,1% au CE2 et 1,7% au CM1.
227 grossesses non désirées ont été enregistrées en 2013-2014
Dans toute la région, le taux d’abandons par classe se présente comme suit : CP1=9,15%, CP2= 3,35%, CE1=8,6%, CE2=4,8%, CM1=12,57%. Selon M. Bayili, les filles de la région passent en moyenne 7 ans pour avoir le CEP. « Dans la région, le coefficient d’efficacité est de 67,7%. Pour que l’Etat dépense moins, il faut que ce coefficient soit proche de 100% », a-t-il dit.
Pour en comprendre les causes, nous avons approché certains parents et acteurs du monde éducatif. De ces différents entretiens, il ressort que les grossesses qualifiées de « précoces » par certains et « non désirées » par d’autres, sont l’une des principales causes de la déperdition scolaire des jeunes filles. Selon Salimata Ouédraogo/ Belem, chef de service d’éducation en matière de population et de citoyenneté du Nord, 227 grossesses non-désirées ont été enregistrées en 2013-2014, dans 31 établissements d’enseignement de la région. C’est la province du Yatenga qui vient en tête avec 128 cas, suivie de celle du Passoré avec 96 cas et 2 cas dans la province du Lorum. Parmi ces cas, on enregistre des filles qui ont moins de 15 ans. Pour Idrissa Ouédraogo, responsable du service social scolaire du Lycée Yamwaya, dans la seule province du Yatenga, 132 filles ont eu des grossesses précoces en 2013-2014.
Il refusait de payer les médicaments
Ces cas de grossesses sont repartis comme suit : 9 au lycée Yamwaya, 26 au lycée communal de Ouahigouya, 9 au lycée Teeltaaba.
Pour mieux comprendre les raisons profondes de ce phénomène, nous avons rencontré quelques victimes de grossesses précoces ou non-désirées, qui ont accepté de témoigner. Le cas d’une élève de 20 ans, en classe de 1re, a retenu notre attention. Nous l’avons nommée T.A. «C’était en 2012. J’avais à l’époque 20 ans. J’étais en 1reD. Nous nous sommes connus en début 2012. Pendant les vacances, je partais chez lui. Quand il a su que j’étais enceinte, il a freiné les relations. Il voulait d’abord que j’avorte. Vu les risques de l’avortement, j’ai refusé. Il a donc dit : «Comme tu refuses d’avorter, je te laisse avec l’enfant. » En septembre, mon père a appris que j’étais enceinte. Il a appelé mon petit ami pour en savoir davantage. Il a reconnu la paternité de la grossesse, mais il ne voulait pas de moi. Il a dit qu’il avait déjà une femme. Sous l’effet de la colère et de la déception, mon père a refusé de s’occuper de mes études. Je suis allée à « Olivido » (une structure qui accueille les filles en difficulté) pour expliquer mon cas. Là, j’ai été bien accueillie. J’y ai travaillé pendant une année. Pendant et après mon accouchement, mon petit ami ne venait pas me voir. Au début, j’ai signalé le problème à l’Action sociale, mais rien n’y fit. On m’a donné une convocation pour lui. Lorsque j’ai remis la convocation à son supérieur hiérarchique, il m’a dit que ça ne valait pas la peine d’aller à l’Action sociale. Et que je pouvais simplement venir leur expliquer le problème. Il m’a dit qu’il allait le gérer à sa manière. Chaque fois qu’on m’appelait chez les sapeurs-pompiers, je sentais qu’ils ne voulaient pas résoudre le problème en ma faveur. J’ai donc abandonné. Même les ordonnances, il refusait de les honorer. Après mon accouchement, je suis repartie au service décentré du ministère de l’Action sociale. J’ai donc expliqué ce qui s’est passé avec la première convocation. Ils ont donc dit qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour moi. La structure qui m’avait employée n’a pas voulu renouveler mon contrat. J’ai donc décidé de faire le petit commerce pour subvenir aux besoins de mon bébé et moi », a témoigné celle que nous avons surnommée A.T.
8 cas d’unions forcées
A cette première cause s’ajoute, selon certaines personnes, la pauvreté, porte et fenêtre de toutes les tentations. Un phénomène non moindre est celui des mariages forcés. Selon Salimata Ouédraogo/ Bélem, chef de service d’éducation en matière de population et de citoyenneté du Nord, 8 cas d’unions forcées ont été enregistrés au cours de l’année scolaire 2013-2014. Là aussi, nous avons rencontré quelques filles qui ont chacune voulu nous faire part de leur mésaventure. L’une d’elles que nous avons désignée par les initiales T. Y., a accepté de témoigner à notre micro. A l’en croire, c’est le jour du mariage qu’elle a appris la nouvelle. Comme elle n’avait pas le choix, l’union fut scellée, comme prévue par les parents avec un homme de plus de 40 ans, alors qu’elle n’a que 18 ans. Trois jours après le mariage, elle a prétexté un besoin naturel pour s’enfuir et se retrouver à Ouahigouya. La recherche du gain facile et la vulnérabilité ont, entre autres, été citées par certains de nos interlocuteurs comme des facteurs favorisant l’abandon scolaire des jeunes filles. Mais la pauvreté n’est pas la cause principale, selon certaines filles. Parmi elles, nous avons pu rencontrer Mariam Ouédraogo qui, malgré les difficultés rencontrées au cours de son parcours scolaire, a pu franchir le cap du BEPC et du Baccalauréat. Mieux, nantie d’une maîtrise en économie, elle est admise au concours de l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF). Elle raconte avec émotion les difficultés et motifs qui lui ont permis d’aller aussi loin dans les études. « J’ai perdu ma mère à ma 5e. Ça n’a pas été du tout facile. J’avais pensé faire comme les autres, c’est-à-dire abandonner, mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas la solution. Abandonner et se retrouver avec un enfant, ça devient plus compliqué. J’ai donc tenu bon. Il y a des classes que j’ai reprises. Ça m’a fait beaucoup mal car je n’ai pas repris ces classes parce je ne pouvais pas aller en classe supérieure. C’est parce qu’il n’y avait pas de suivi. J’avais une bourse en première mais j’ai repris la classe par manque de suivi. Je me rappelle le texte d’une dictée qui disait qu’on ne subit pas l’avenir mais on le fait. Ces phrases m’ont beaucoup marquée. Chaque fois que je me trouve devant une difficulté, je me rappelle cette phrase. Cette même dictée disait également qu’il y a des épines sur la route du bonheur », nous a témoigné Mariam Ouédraogo, avant d’indiquer que la plupart des filles quittent l’école par manque de suivi de la part des parents d’une part, et d’autre part des éducateurs. Pour elle, le suivi de la part des parents et des éducateurs (NDLR : professeurs, surveillants et censeurs) est nécessaire. Car, a-t-elle estimé, le milieu influence beaucoup. Cela fait penser au harcèlement sexuel dont les filles sont victimes. Les expressions telles que « les prélèvements », « le mouton broute là où on l’a attaché », « on ne peut pas être au bord de la mer et se laver avec la boue », sont des termes bien connus dans le monde éducatif car utilisés par les jeunes enseignants. A ce propos, une bonne partie des filles avec qui nous avons échangé à Ouahigouya et même à Ouagadougou, ont dit avoir été, au moins une fois, courtisées par leurs propres enseignants.
Face à certaines causes de la perdition, les acteurs ne restent pas les bras croisés.
Des initiatives sont entreprises pour endiguer le phénomène. On peut noter, entre autres, des activités de sensibilisation sur les risques liés à la sexualité en milieu scolaire. Pour ce qui est de la sensibilisation, des associations sont contactées pour mener des campagnes en vue de dissuader et d’informer les jeunes filles, selon Salimata Ouédraogo/ Bélem. Sur initiative du bureau des parents d’élèves, des sensibilisations sont faites dans les différents établissements de la région. En ce qui concerne les activités sportives, une compétition de football vient d’être lancée le 18 décembre dernier dans la région du Nord.
Se retrouver sans mari
Dénommée Tournoi inter –établissements de football féminin de Ouahigouya (TIFFO), cette compétition a pour objectif général, selon le promoteur, Mady Alpha Traoré, de créer un cadre sain de rencontres et d’échanges de la jeunesse scolaire de la ville de Ouahigouya. Pour aider certaines victimes du mariage forcé et de la maternité précoce, l’Association Boud-Yam de Azèta Ouédraogo les accueille pour les confier ensuite à des parrains. Pour elle, le fait d’être en contact permanent avec des camarades garçons, peut entraîner d’autres problèmes. Nous leur trouvons des familles d’accueil. Bien que des initiatives soient prises pour endiguer le phénomène, certains acteurs pensent qu’on doit mieux faire. Parmi eux, le proviseur du Lycée Yamwaya, Ouateba Ouédraogo. Pour lui, il faudra améliorer les conditions de vie et d’études des filles pour réduire le phénomène. « Pour améliorer le rendement scolaire des filles, il faut améliorer leurs conditions d’accueil. Il faut leur trouver un cadre assez organisé qui permette à la fois leur épanouissement et de meilleures conditions de travail. Il faut qu’elles aient le minimum. Il faut qu’elles se nourrissent bien. Si on facilite l’accès aux cantines scolaires, cela va apporter un plus. Si elles manquent de tout, elles peuvent être victimes de plusieurs fléaux ; il y a l’orpaillage et les autres tentations qui peuvent influencer négativement leur rendement scolaire. Ce sont des milieux actifs et les filles sont sensibles à ces choses. Il faut aussi qu’à la maison, les parents revoient l’éducation des jeunes filles. Les filles cherchent la facilité. Il y a aussi le préjugé selon lequel il est mieux d’avoir un mari pour s’occuper de soi que d’aller loin dans les études et se retrouver sans mari. Cela n’est toujours pas juste. Nous disons aux élèves que pour réussir, il faut être discipliné. Il faut se battre. Il faut se fixer des objectifs, se battre pour les réaliser. Et enfin donner un sens à la vie », a-t-il conclu.
Issa SIGUIRE