RETRAIT DES FORCES ETHIOPIENNES DU TIGRE
Les forces rebelles du Tigré sont de retour dans la capitale régionale Mekele, après que l’armée éthiopienne a quitté la ville au soir du 28 juin dernier. Le départ des soldats fédéraux est consécutif au cessez-le-feu unilatéral décrété par le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed. La raison avancée pour expliquer le retrait des forces nationales de la région rebelle, est l’installation de la saison des pluies. L’Exécutif éthiopien entend desserrer l’étau autour des populations pour leur laisser le temps de la production agricole et éviter ainsi un nouveau cycle de famine dans une région plongée dans un drame humanitaire qui émeut tout le monde entier. Mais l’on peut bien se douter que la raison avancée n’est qu’un alibi et que le départ de l’armée nationale est tout sauf un acte de charité. Et pour cause. D’abord, le conflit s’était enlisé et les soldats fédéraux avaient du mal à progresser face aux rebelles qui, en plus de mieux connaitre le terrain, bénéficiaient de la complicité des populations locales martyrisées, selon eux, par une armée d’occupation. Ensuite, la pression et les menaces de sanctions de la communauté internationale, se faisaient de plus en plus fortes sur le régime d’Addis-Abeba dont les troupes étaient accusées de nombreuses bavures non seulement sur les populations civiles, mais aussi sur les humanitaires en opération dans la zone de conflit. Par ailleurs, le Premier ministre vient de sortir victorieux des dernières élections dans le pays. Les enjeux électoraux de cette guerre au Tigré sont désormais derrière et son pouvoir n’est plus menacé par les tenants des discours nationalistes. L’on peut, de ce fait, comprendre cette désescalade sur le théâtre des opérations militaires. Enfin, il faut le dire, l’image du lauréat du prix Nobel de la paix de 2019 souffrait énormément de cette guerre qui a fait basculer la région du Tigré dans une tragédie humanitaire sans précédent.
L’Exécutif central doit savoir lâcher du lest
Cela dit, l’interrogation qui est dans tous les esprits, est la suivante : la hache de guerre est-elle définitivement enterrée au Tigré ? Il est difficile de répondre à la question mais une chose est certaine : les deux camps ont eu le temps de se mesurer et de comprendre qu’aucune partie ne peut remporter une victoire totale sur l’autre. La seule option qui vaille est donc de fumer le calumet de la paix. Cela dit, la trêve unilatérale décrétée par l’Ethiopie devrait déboucher sur des pourparlers destinés à ramener une paix durable dans la région. C’est, en tout cas, ce qui se susurre dans certaines chancelleries occidentales contactées pour renouer le fil du dialogue entre frères ennemis. Ces négociations en vue devraient être aussi à l’ordre du jour de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, prévue pour le 2 juillet prochain. En attendant que les choses se précisent, le moins que l’on puisse dire, c’est que Abiy Ahmed qui bénéficie d’une nouvelle légitimité à travers l’onction des urnes, devrait avoir les mains libres pour manœuvrer dans le sens du retour de la paix. Mais la réflexion en Ethiopie devrait aller plus loin que la résolution de la question tigréenne. Car, ce qui est véritablement en jeu, c’est le mode d’organisation et de fonctionnement de l’Etat éthiopien qui, pour rappel, est une fédération. Les Etats fédérés aspirent aujourd’hui à plus d’autonomie et l’Exécutif central qui constitue l’un des pouvoirs les plus policiers sur le continent africain, doit savoir lâcher du lest pour répondre à cette soif de liberté des entités régionales. Cela est d’autant plus nécessaire que les besoins de l’Exécutif central entrent parfois en conflit d’intérêts avec ceux des communautés ethniques régionales, provoquant des manifestations parfois réprimées dans le sang. « Mieux vaut prévenir que guérir », dit le dicton. Il faut donc travailler à devancer les prochaines rébellions que l’exemple tigréen pourrait susciter.
SAHO