RETRAIT DU BURKINA, DU MALI ET DU NIGER DE LA CEDEAO : En attendant le verdict du temps…
La décision des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de se retirer de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) continue de faire des vagues. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce tsunami qui s’est déclenché en ce début d’année 2024, est loin de s’arrêter. En effet, alors que les frondeurs, en l’occurrence le Mali, le Burkina Faso et le Niger semblent résolus à ne pas faire marche-arrière, l’organisation ouest-africaine, elle, a opté pour une solution négociée à ce qu’elle a qualifié « d’impasse politique ». C’est d’ailleurs dans cette optique que certains observateurs ont situé la visite discrète d’un ministre togolais à Niamey. Mais en attendant de voir comment évoluera ce que l’on peut désormais qualifier de « crise de la CEDEAO », les populations des Etats de l’AES sont partagées entre espoirs et craintes. En effet, si certaines franges de la population, notamment les soutiens aux différentes transitions en cours dans les Etats sahéliens, applaudissent la mesure à se rompre les doigts, d’autres sont plus mesurées et appréhendent la question avec beaucoup plus de circonspection en attendant le verdict du temps.
Quels sont les espoirs suscités par le départ des pays du Liptako-Gourma de la communauté ouest-africaine, que certains ont appelé de tous leurs vœux après les sanctions jugées illégales et illégitimes intervenues à la suite des changements anticonstitutionnels dans ces Etats ?
Ce divorce, après 50 ans de vie commune, n’arrange personne
Les apologistes de la rupture affirment, pour l’essentiel, que le départ de la CEDEAO permettra aux Etats de l’AES de se libérer du diktat de l’organisation qui est d’ailleurs ouvertement accusée d’être au service d’intérêts étrangers. Mieux, ce départ permettra, si l’on en croit certains théoriciens, d’accélérer la construction de l’AES sur des bases plus pertinentes avec des meilleurs critères de convergence économiques et politiques. En somme, le principal gain est un processus de développement plus endogène surtout que certains n’hésitent pas à franchir le Rubicon en demandant aussi une rupture d’avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour aller vers la création d’une nouvelle monnaie qui sonnera le glas du F CFA qui reste dans les mentalités des populations comme une survivance de la colonisation. Mais comme l’on peut s’en apercevoir, ce gain est, à l’évidence, teinté d’intérêts politiques. En effet, l’on peut se demander si la rupture d’avec la CEDEAO n’est pas la mise en œuvre d’un agenda caché dans la mesure où le véritable casus belli avec l’instance communautaire, est le calendrier du retour à l’ordre constitutionnel. Sans doute que derrière les revendications souverainistes se cache un malaise lié à l’expérience démocratique importée et il faut malheureusement craindre que le retrait de la CEDEAO ne signe l’acte de décès de la démocratie dans les pays de l’AES.
Et quid des conséquences négatives? La conséquence la plus immédiate est l’impact sur la libre circulation des biens et des personnes. En quittant la CEDEAO, les ressortissants des pays de l’AES vont certainement renouer avec les tracasseries policières et administratives dans les pays restés dans l’organisation communautaire. L’on pourrait aussi assister à un renchérissement des coûts de certaines marchandises.
Pour amoindrir les problèmes, des solutions restent possibles
Les pays de l’AES se privent aussi des financements de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO avec comme conséquence, l’interruption de nombreux projets de développement. Il y a aussi le sort des ressortissants des pays de l’AES qui travaillent dans les organismes rattachés à la CEDEAO, qui s’en trouve scellé. Mais les conséquences ne sont pas seulement pour les pays de l’AES ; les autres pays de la CEDEAO subiront aussi les contre-coups.
La première conséquence touchera les pays côtiers dont une bonne partie de l’activité portuaire dépend des pays de l’hinterland. Il est tout à fait certain qu’une certaine réorganisation de cette activité, se fera, de fait, avec certainement un renforcement de la coopération bilatérale qui se fera au détriment de certains pays. On le voit déjà, un pays comme le Togo s’active pour tirer le plus de dividendes possibles des tensions au sein de la CEDEAO au détriment, par exemple, du Bénin et du Nigéria. L’autre impact est aussi le renchérissement dans les pays côtiers, de certains produits de grande consommation comme la viande et les produits maraichers comme l’oignon produit essentiellement par les pays de l’AES. Finalement, ce divorce, après 50 ans de vie commune, n’arrange personne. Pour amoindrir les problèmes, des solutions restent possibles.
La première solution, c’est le renforcement des relations bilatérales entre les Etats de l’AES et leurs voisins respectifs ; ce qui reviendrait à vouloir utiliser les instruments d’intégration économique et sociale prônés par la CEDEAO. La seconde solution, s’il n’est pas tard, est d’ouvrir un dialogue franc avec les pays de l’AES autour de leurs véritables préoccupations dont la principale est sécuritaire. En satisfaisant à leurs besoins vitaux, on leur enlève l’argument qui sert de motif au divorce. Et cela ne peut que renforcer l’intégration sous-régionale qui est, il faut le rappeler, une nécessité dans un environnement mondialisé propice aux seuls grands espaces économiques.
« Le Pays »