SANCTIONS DE LA CEDEAO CONTRE LE MALI « Il est fort possible qu’une solution médiane soit trouvée…», dixit Hamadou Gadiaga, analyste politique
Depuis le 10 janvier 2022, les sanctions prises contre le Mali par la CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest) sont en train d’être appliquées avec les suspensions de vols civils en direction de Bamako. Ces sanctions prises depuis le dernier sommet de la CEDEAO, font des grincements de dents dans bien des milieux. Pour en savoir davantage sur ce qu’en pensent certains citoyens burkinabè, nous avons recueilli pour vous, dans la matinée du 11 janvier 2021, les réactions ci-dessous sur ce sujet brûlant. Lisez-vous !
Hamadou Gadiaga, Editorialiste et analyste politique
« Il est fort possible qu’une solution médiane soit trouvée…»
« On assiste en effet à un clash sans précédent entre le Mali et la CEDEAO, et il est évident que les sanctions prises par l’organisation sous- régionale auront des conséquences désastreuses sur la suite de la transition, quand on sait que le Mali est déjà financièrement et économiquement sur les rotules. Les dirigeants ouest- africains ont frappé fort et là où ça fait le plus mal, espérant secrètement conjurer le sort qui a été celui d’IBK, et plus récemment celui d’Alpha Condé. Pourtant, le timing n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, favorable à cette avalanche de sanctions qui visent, il faut le rappeler, à contraindre la junte à organiser rapidement les élections. D’abord parce que cela donne l’impression que c’est la France, qui est en froid avec le Mali pour les raisons que l’on sait, qui a tiré les ficelles de bout en bout. Ensuite, vouloir organiser précipitamment des élections dans un pays où les 2/3 du territoire sont aux mains des groupes armés relève plus d’une gageure, et ceux qui seront élus dans ce contexte ne seront pas représentatifs des populations maliennes. Enfin, ces sanctions interviennent au moment où les dirigeants de la transition jouissent d’une popularité qui tutoie les cimes, et qui pourrait aller crescendo à cause de leur souverainisme affiché et assumé. Mais arrivera certainement un moment où ce sera l’impasse, et des remous sociaux vont fatalement éclater pour exiger la fin du calvaire. Les dirigeants de la transition en sont bien conscients, et les mesures de réciprocité, de même que les discours nationalistes qu’ils tiennent actuellement relèvent à mon avis, davantage d’un bluff ou d’un baroud d’honneur que d’une réelle capacité à faire face à l’adversité de la CEDEAO. Et comme cette dernière aussi sait que les sanctions qu’elle a prises sont impopulaires, il est fort possible qu’une solution médiane soit trouvée entre les deux parties dans les prochaines semaines, comme la réduction de la durée de la transition à deux ou trois ans, assortie de la levée progressive des sanctions décidées à Accra dimanche dernier. »
Dr Aristide Ouédraogo, président du FPR
« Le prétexte de la démocratie est utilisé pour aboutir à des sanctions… »
« Nous sommes pleinement pour la stabilité des Etats, celle de l’Afrique et pour l’enracinement de la démocratie. Cependant, au regard des dernières sanctions lourdes infligées par la CEDEAO, notre avis est que nombre de chefs d’Etat qui ont participé à ce sommet qui a décidé desdites sanctions, ont manqué de lucidité parce que les sanctions énoncées, en plus d’être lourdes, sont une réponse très disproportionnée par rapport à la réalité du problème malien actuel. La démocratie ainsi que toute vision qui gravite autour, doit inéluctablement servir les intérêts des peuples et des populations. L’argument des élections, utilisé comme le besoin ultime des populations qui souffrent de l’insécurité depuis plusieurs années, sans une possibilité pour la CEDEAO de solutionner le problème de l’insécurité, est très indigeste. Le prétexte de la démocratie est utilisé pour aboutir à des sanctions qui vont contribuer à aggraver la souffrance des populations. C’est regrettable et cela conduit à se demander si la volonté qui se cache derrière, n’est pas plutôt celle de l’asservissement au profit de certains intérêts. Gouverner sur le plan démocratique, c’est aller dans le sens des aspirations populaires et du bien-être des peuples. Autrement, on ne sert plus la démocratie mais des intérêts partisans ».
Sampawendé Ouédraogo, militant UNIR/MPS
« Avec ce qui se passe, on peut se poser la question à quand l’Afrique ? »
« Les sanctions imposées par la CEDEAO au peuple frère du Mali ne peuvent qu’irriter tout Africain digne de ce nom. La CEDEAO agit chaque fois en contradiction avec les attentes de ses peuples. Ses sanctions sont à géométrie variable quand nous observons que certains sont accompagnés dans la modification des Constitutions sans subir de pression, et d’autres sont sanctionnés parce qu’ils ont perpétré un coup d’Etat pour assainir le milieu politique. Avec ce qui se passe, on peut se poser la question à quand l’Afrique ? Le signal de la libération de l’Afrique de la tutelle odieuse impérialiste a sonné. A chacun de se mettre du bon côté de l’histoire, vaincre ou périr. Ce ne sera pas facile pour le peuple frère du Mali, mais avec le courage des devanciers tels que Modibo Keita, Kwame N’Krumah, Thomas Sankara, le Mali restera debout face à cette épreuve d’asservissement. Le Mali peut se féliciter d’avoir de façon digne mis à nu cette politique néocoloniale, exploiteuse de nos ressources et de nos peuples. Avec le Mali, nous vaincrons ! Au peuple malien et à l’ensemble de tous les panafricanistes de s’unir pour barrer la route à toutes les tentatives belliqueuses de déstabilisation propre à la France, à chaque fois que les dirigeants font le choix de marcher avec le peuple et de gagner le pari du développement avec lui. La CEDEAO doit revisiter ses multiples positions impopulaires pour se réorienter vers une CEDEAO des peuples Africains. Sa crédibilité se trouve dans ce paradigme, auquel cas nous n’avons qu’une CEDEAO qui n’est qu’une caisse de résonnance des intérêts impérialistes. La lutte continue ! »
Hamadou Paré
« Désormais, les Maliens devront produire ce qu’ils consomment et consommer ce qu’ils produisent »
« Il faut que les populations comprennent une chose : Nos “DIRIGEANTS” sont le fruit de nos choix politiques. Il faut que nous assumions les conséquences de ces choix. Quand on refuse de voter ou qu’on vote parce qu’on a empoché un billet de 2 000 F CFA, il faut qu’on accepte les décisions de ceux qui sont aux affaires. Il sera difficile pour le Mali de sortir la tête de l’eau avec ces sanctions. Difficile oui, mais pas impossible. Pour ma part, je suis certain qu’une nouvelle ère est en train de souffler sur l’Afrique, et le Mali sera le déclencheur de la libération de tout un continent. Désormais, les Maliens devront produire ce qu’ils consomment et consommer ce qu’ils produisent. Quelqu’un avait déjà fait cette proposition au Burkina. Les Maliens devront également faire des sacrifices pour être unis avec une vision claire. Visiblement, dans ce bras de fer, ils sont en train d’être soutenus par les populations des pays frères. Loin de moi l’idée de cautionner un coup d’Etat. Mais il faut que la CEDEAO travaille à éviter les causes de ces coups d’Etat plutôt qu’à bander les muscles pour en régler les conséquences».
Ludovic Bakyono, membre du Bureau exécutif du MPP
« C’est autour d’une table de négociations que des solutions seront trouvées à cette
crise dont on pouvait se passer »
« Effectivement, la CEDEAO, lors de son dernier sommet, a pris des sanctions à l’encontre de la junte militaire. C’est une décision très lourde et certainement aux conséquences incalculables et imprévisibles. Si on devait tenir compte de la position de chaque chef d’Etat, celle du président du Faso était officiellement connue puisque depuis le début, il a souhaité que soit installée une transition courte et présidée par un civil. Il a toujours demandé de ne pas toucher aux représentations diplomatiques qui jouent un rôle important dans le dialogue entre les peuples, et n’a jamais été pour les sanctions économiques de la BCEAO, craignant le risque de plonger les populations déjà meurtries dans une paupérisation déshumanisante.
Seulement, les décisions prises sont des positions de principe qui engagent tout le monde au nom de la collégialité. Même si comparaison n’est pas raison, l’exemple du Burkina Faso qui a connu une courte transition d’un an sous la présidence d’un civil, est assez éloquent et nous confirme que c’est possible. La gestion de ces questions à ce niveau de responsabilité, requiert une position qui doit se départir de l’émotionnel.
C’est vrai que le Mali est actuellement en proie au terrorisme à l’instar des autres pays de la bande sahélo-saharienne, ce qui fait de la sécurité, la priorité des priorités. Mais cela ne doit pas faire oublier le fait que nous ne pouvons pas encourager les coups d’Etat en Afrique. Si vous facilitez les choses pour une junte, vous ouvrez le boulevard pour le retour des coups d’Etat en Afrique. Si un coup d’Etat survient et que dans le meilleur des cas, l’on considère que c’est un mal nécessaire, le rôle de la Transition qui doit être de très courte durée, au maximum 12 mois, est de fixer les nouvelles règles, y compris constitutionnelles, et organiser des élections ouvertes, inclusives et transparentes. La junte va-t-elle prendre en compte ou rejeter en bloc lesdites mesures? C’est la grande équation qui a déjà trouvé un épilogue avec la réaction de la junte qui n’a pas tardé, et a été rendue publique avec l’application du principe de la réciprocité des rapports avec l’imminence du rappel de ses ambassadeurs des pays membres de la CEDEAO. Bamako a opté de durcir le ton en engageant le bras de fer, mais jusqu’à quand cela tiendra-t-il? Bien malin qui pourrait répondre à cette interrogation, mais nous restons convaincu d’une chose : c’est autour d’une table de négociations que des solutions seront trouvées à cette crise dont on pouvait se passer si les dirigeants de la junte avaient rassuré l’instance communautaire de leur volonté de franche collaboration. »
Boukary Conombo, président du Brassard noir
« Pour nous, il n’y pas de bras de fer… »
« Ces sanctions économiques sont simplement inhumaines, immorales et improductives car elles sont prises contre le peuple malien et non contre la junte au pouvoir. Et en plus, ce sont des sanctions illégitimes et illégales car n’étant pas prévues par les textes de la CEDEAO. Pour nous, il n’y pas de bras de fer. Le Mali a pris acte des sanctions et doit se donner les moyens de s’adapter au nouveau contexte. »
Propos recueillis par Boureima KINDO