HomeA la uneSECOURS AUX MIGRANTS DANS LA MEDITERRANEE : Des ONG internationales critiquées pour leur humanisme

SECOURS AUX MIGRANTS DANS LA MEDITERRANEE : Des ONG internationales critiquées pour leur humanisme


« Des taxis de la mer qui alimentent le trafic de migrants ». Voici comment une des plus hautes personnalités issue des institutions italiennes, le Vice-président de la Chambre des députés, Luigi Di Maio, a défini les ONG internationales dans leur tentative de sauver des vies humaines dans la Mer Méditerranée. Pire, grâce à une imagination débordante, Di Maio les accuse de « connivence avec les trafiquants d’êtres humains » qui, selon lui, exploitent la présence des organisations caritatives comme Médecins sans frontières (MSF) et leurs bateaux de sauvetage qui naviguent dans le Mare Nostrum pour envoyer des milliers de migrants africains vers l’Italie, à partir des côtes libyennes.

 

Rongés par les doutes, nous avons composé le numéro de MSF Italie pour leur demander s’ils assuraient un service taxi de Zebrata à l’île sicilienne, mais à notre grande surprise, la réponse fut négative. Même chose pour avoir quelques contacts parmi les trafiquants, histoire de donner un coup à quelques amis africains prêts à envahir l’Europe, mais là aussi l’échec fut cinglant.

Dépités, nous avons essayé de voir un peu plus clair dans une histoire qui est en train de faire grand bruit dans la péninsule italienne, et sans surprise, cette fois, nous découvrons que l’envers du décor est beaucoup plus inquiétant. Les raisons sont multiples. Primo, pour les lecteurs de Le Pays, Di Maio est un illustre inconnu. Erreur, ce n’est pas n’importe qui. Au-delà des fonctions qu’il assume à la tête du Parlement italien, ce jeune politicien aux allures de beau gosse, est un des leaders du Movimento 5 Stelle, un mouvement populiste qui a fait de la lutte contre l’immigration illégale son principal fonds de commerce pour conquérir le pouvoir. En tête des sondages, le Movimento 5 Stelle espère remporter les prochaines élections prévues en 2018 et nommer au poste de Premier ministre Luigi Di Maio. Tout est donc bon pour s’approprier le vote d’électeurs inquiets de soi-disant « invasions barbares » alimentées par un certain nombre de médias italiens à cours d’idées et d’argent, et sur les réseaux sociaux.

 

Apparitions télévisées pour accuser les ONG de connivence avec les trafiquants d’êtres humains

 

Deuxio, les accusations portées par le Vice-président de la Chambre des Députés ne sont pas le fruit du hasard. Elles s’appuient, entre autres, sur un rapport de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, et les déclarations de son directeur, Fabrice Leggeri, selon qui en approchant de trop près les côtes libyennes pour sauver des vies, « les ONG sont un facteur d’attraction pour les migrants qui fuient la Libye ».  Mais, Di Maio s’est aussi et surtout inspiré des propos fracassants du Procureur du Tribunal de Catane, en Sicile, principale terre d’accueil des naufragés africains en Italie. Après avoir multiplié les apparitions télévisées pour accuser les ONG de connivence avec les trafiquants d’êtres humains, Carmelo Zuccaro a littéralement fait marche arrière en admettant que ses accusations étaient basées sur des hypothèses et aucunement sur des preuves. Rappelé à l’ordre par le Conseil suprême de la magistrature et par une bonne partie de la classe politique italienne, Zuccaro devra tôt ou tard rendre quelques comptes.

En attendant, le mal est fait, alors même que la réalité et les chiffres font froid dans le dos. Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), plus de 30 000 migrants sont morts en Mer Méditerranée au cours des 15 dernières années. Pour 60% d’entre eux, le nom et l’identité restent inconnus. En 2015, on en comptait 3 771, plus de 5 000 en 2016, et rien que du 1er janvier au 23 avril de cette année, les Nations unies en ont recensé 1 633 sur plus de 45 000 survivants, dont 80% débarquent désormais en Italie. Ils sont Nigérians, Erythréens, Guinéens, Ivoiriens, Gambiens, Sénégalais, Maliens, Soudanais, et tous figurent parmi les 8 premières nationalités de migrants accueillis dans la péninsule italienne en 2016.

 

Plus de 49 000 migrants ont été secourus par des ONG

 

Si les ONG ont décidé de se mobiliser pour sauver ces vies, c’est parce qu’une majorité d’Etats membres de l’Union européenne ont, soit tourné le dos aux migrants, soit passé leur temps à construire des murs et des barbelés pour les empêcher d’entrer sur leurs territoires. Résultats : sur les quelque 180 000 migrants conduits vers des ports italiens en 2016, plus de 49 000 ont été secourus par des ONG suivies par la garde côtière italienne (35 800), la Marine militaire (36 100) et l’agence européenne Frontex (13 600). Un délit ? Non M. Di Maio, une obligation dictée par les lois maritimes internationales, qui permettent aux ONG, constamment en contact avec les garde-côtes italiens, de s’approcher jusqu’à 12 mille lieux nautiques des côtes libyennes pour sauver les migrants pris au piège d’un véritable cimetière à ciel ouvert.

Au-delà des accusations portées contre les ONG, quelle est l’alternative proposée par le Vice-président du Parlement italien ? Aucune. Si ce n’est de rester les bras croisés face à la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dont l’unique péché, au-delà de tous les jugements que l’on peut porter en la matière, est de fuir leur pays pour un avenir meilleur. A vouloir s’envoler si haut pour atteindre le pouvoir suprême en Italie, tel Icare, Luigi Di Maio court le risque de brûler ses propres ailes et, dans le pire des cas, de retomber brutalement dans les eaux méditerranéennes. Mais qu’il se rassure, il y aura toujours un bateau de secours d’une ONG pour le repêcher et lui sauver la peau.

 

De Joshua Massarenti (Vita, Italie) en collaboration avec « Le Pays »

 

 


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