HomeA la uneSIAKA COULIBALY, ANALYSTE POLITIQUE

SIAKA COULIBALY, ANALYSTE POLITIQUE


Depuis quelques semaines et ce, jusqu’à 90 jours, il est interdit de couvrir des activités politiques. Ainsi en a décidé le Conseil supérieur de la communication (CSC).  Alors que la mise en œuvre de cette disposition fait polémique, la question de la révision du Code électoral et celle du parrainge des candidats à la présidentielle, font rage. Nous en parlons avec l’analyste politique burkinabè, Siaka Coulibaly.

 

« Le Pays » : La CENI a rendu publics les résultats du dernier recensement. Plus de 2 millions de personnes ont été recensées. Quelles sont les leçons à tirer de cette opération de recensement ?

 

Siaka Coulibaly : En comparaison des recensements électoraux derniers (2014 et 2015), ce chiffre est satisfaisant. Mais en le rapprochant du potentiel d’électeurs (4 500 000) qui a servi de balise au recensement, il indique aussi un engouement assez moyen pour la question électorale. Un point spécifique de satisfaction est le taux d’inscription des jeunes qui représentent 52% des enrôlés.  Cet intérêt manifeste des jeunes, doit être pris au sérieux parce que c’est ce groupe qui alimente les phénomènes d’atteinte à l’ordre social et politique, à savoir le banditisme, la rébellion, le terrorisme et les mouvements de contestation politique. S’ils décident massivement de s’intégrer dans les processus institutionnels, il faut s’en réjouir.

 

Avant la publication des résultats du recensement par la CENI, l’Assemblée nationale, sur la base d’un rapport circonstancié, avait recommandé le report des législatives. Pensez-vous que les résultats des inscriptions sur les listes électorales, donnent raison aux députés ?

 

Pour moi, seul l’état de siège peut justifier un report des élections, et donc, une prolongation des mandats. Ce serait le cas si le territoire était envahi par une ou plusieurs forces armées occupant officiellement des parties du territoire, et si des mesures (actes juridiques) suspendant les activités de la vie nationale en vue de permettre à l’armée d’assurer la réponse à l’occupation, sont adoptées. Cet état de siège devrait faire l’objet d’abord d’une proclamation de guerre par l’Assemblée nationale et ensuite, l’adoption de l’état de siège par le gouvernement, par décret. Le constat de l’inaccessibilité de certaines parties du territoire, ne doit pas relever du fait mais d’actes juridiques conformes. En l’occurrence, le constat fait par les députés relève du fait et aucun acte juridique n’a été invoqué pour soutenir (justifier) la prolongation du mandat des députés. Le seul acte juridique se rapprochant de la justification juridique, est le décret proclamant l’état d’urgence (décret n°2018-1200/PRES du 31 décembre 2018 en application de la loi n°14/59/AL organique du 31 août 1959 sur l’état d’urgence). En l’absence d’une base juridique établissant l’inaccessibilité de parties du territoire, aucune prolongation n’est valide, ni aucun report des élections.

 

L’ONA, un regroupement de partis politiques, s’érige contre une modification du Code électoral, réclamant une large consultation des acteurs politiques. Qu’en pensez-vous ?

 

 Je souscris à la revendication de l’ONA, en partie pour les arguments qu’elle a développés pour soutenir sa position, mais aussi pour d’autres raisons. La condition du consensus large permettant de modifier des règles du jeu électoral dans une période de six mois avant les élections, est inscrite dans plusieurs instruments juridiques, comme l’ONA l’a fait remarquer. Le consensus ayant permis d’envisager la présente modification, est minimaliste et ne repose que sur une partie de la classe politique stricto sensu (CFOP et APMP). Si l’on considère le nombre de partis politiques reconnus au Burkina Faso, qui dépasse cent cinquante, il y a effectivement matière à remise en cause d’un accord passé par la majorité et l’opposition inscrite au CFOP. Etant donné que les élections ne sont pas organisées que pour ces deux regroupements, il y a lieu de s’interroger sur la validité politique de la modification. Tous les partis politiques sont autorisés à compétir aux élections et sont donc légitimes à en décider. Même si ces partis ont un nombre de membres beaucoup moindre que ceux ayant validé la modification, du moment où la loi burkinabè ne fixe aucune condition de nombre de membres aux partis politiques pour être reconnus, l’ONA détient, pour ce qui est de la décision sur les questions politiques et électorales, les mêmes droits que le CFOP et l’APMP, de participer à la consultation visant à modifier le Code électoral. Et l’on sait que la situation politique où se trouve le Burkina Faso actuellement, a été le produit de plusieurs acteurs, pas seulement quelques partis politiques. Quand viendront les heures difficiles, pourra-t-on encore demander aux autres acteurs d’apporter leur soutien ? Un autre aspect porte sur le fait que la modification proposée n’est pas indispensable. En l’état actuel des dispositions du Code électoral, les élections peuvent très bien se tenir valablement, du moment où la Constitution n’a pas imposé un quota de participation ni un espace géographique de validation des élections. C’est le principe du droit à prendre part aux élections qui est prescrit (article 12). La CENI, en collaboration avec les services de sécurité, installera les bureaux de vote et les électeurs pourront exercer leur droit. Si la situation, en termes d’enrôlement et de vote, des personnes déplacées, est réglée,  l’essentiel du problème sera résolu puisqu’en réalité, des zones sont difficiles d’accès, il est vrai, mais leurs populations se retrouvent en d’autres endroits du territoire. De plus, la modification envisagée pourrait faciliter les contestations des élections législatives puisque la loi elle-même inscrirait des exceptions qui peuvent entraîner ces contestations. A mon avis, la modification va porter atteinte à la régularité des scrutins à venir. C’est pour toutes ces raisons que, depuis le début de l’année, je fais partie de ceux qui réclament un dialogue national inclusif pour traiter les grandes questions de la vie du pays, et prendre des décisions obligatoires par consensus. Cette question de modification du Code électoral, entre plusieurs autres, aurait été convenablement traitée et personne ne se serait opposé comme maintenant. La classe politique et les dirigeants minimisent quelque peu, à mon sens, le désir des Burkinabè de prendre part aux décisions qui concernent leur vie.

 

L’Opposition politique signe, ce mardi, un accord politique en vue des prochaines joutes électorales. Quelle est la portée d’un tel accord ?

 

A ma connaissance, ce sera la première fois qu’un accord formel sera signé entre des partis politiques d’opposition. Il y a eu certainement des ententes dans le passé, mais peut-être pas connues de tous. Surtout, l’Opposition va faire un pas de plus dans son mode opératoire qui se limitait, jusque-là, à la critique de l’action gouvernementale et à aller, de manière très dispersée et improductive, aux élections. L’accord projeté va porter sur la présidentielle et les législatives ; ce qui peut laisser envisager une capacité de planification et d’anticipation du fonctionnement politique de l’Etat. L’accord suppose une tactique électorale et un partage des responsabilités pour le gouvernement en cas de victoire. C’est tout à l’honneur des partis politiques de l’Opposition, de clarifier le jeu électoral et politique par cet accord inédit.

 

Pendant 90 jours, une fatwa est en vigueur en ce qui concerne la couverture médiatique des activités des partis politiques au Burkina Faso. Cette disposition fait des mécontents au sein de l’opinion. Vous, personnellement, quel commentaire en faites-vous ?

 

Je pense qu’il y a une méprise importante sur l’interprétation de la disposition du Code électoral sur la campagne déguisée (article 68). L’objectif visé par cette disposition est d’équilibrer le jeu électoral entre l’Exécutif et ses challengers dans la course au pouvoir. Plusieurs pays appliquent de telles dispositions. Certains vont même jusqu’à imposer la démission du gouvernement juste avant les élections. D’autres, comme le Botswana, font démissionner même le président, avant l’élection. Ceci afin d’éviter que l’image et les actes de gouvernance des dirigeants en place, ne se confondent avec la campagne électorale et n’influencent les électeurs au profit des servants du pouvoir encore en fonction. Dans les contextes où cette confusion n’est pas réglementée, elle est savamment mise à profit par les gouvernants pour s’octroyer un avantage sérieux dans la course électorale. Au Burkina Faso, la disposition n’a pas été très détaillée, laissant libre cours aux interprétations diversifiées, voire contradictoires. En pareille situation, je pense que les tribunaux sont souverains, et aideront à clarifier la disposition, si des situations survenaient. Il est à déplorer que les acteurs concernés ne mettent pas plus souvent les juges à contribution, alors qu’ils ne demandent que cela. Le recours aux tribunaux ne devrait pas servir qu’à donner raison ou tort à tel ou tel, mais à rendre clairs les aspects des lois qui ne le sont pas.

 

Certains candidats à la présidentielle, se plaignent des conditions de parrainage des candidatures. Ils dénoncent des conditions qui les excluent. Comprenez-vous leurs récriminations ?

 

Moi, je suis opposé au mécanisme du parrainage aux élections. Le CNT, sous la Transition, s’est laissé aller à un excès de zèle et l’a inscrit dans le Code électoral. Le parrainage est un frein supplémentaire au droit des citoyens à « être éligibles et électeurs », que leur accorde la Constitution. Il peut donc être considéré comme anti- constitutionnel. L’élection est une opération qui permet l’établissement d’un contrat politique entre un homme et son peuple. Le parrainage installe un tamis et réduit le choix du peuple à un parterre restreint de « professionnels » de la politique, le plus souvent, plus tenus par les stratégies des groupes d’intérêts que par les besoins et aspirations de leur peuple. Nul ne peut garantir que les parrainages ne sont pas obtenus par la corruption, même s’il est difficile de le démontrer. La démocratie en sera plus sclérosée et le fossé entre le peuple burkinabè et ses élus en sera plus grand. Cette question des parrainages montre aussi les limites de la classe politique en tant qu’avant-garde sur les questions importantes. Ceux qui se plaignent aujourd’hui du parrainage, n’ont absolument rien dit au moment où cette disposition était adoptée. Il y a eu cinq ans pendant lesquelles cette disposition pouvait être revue ou supprimée. Les grandes formations politiques ont cru se réserver un espace de confort avec le parrainage. Mais la dialectique, de cause à effet, se réserve également le droit de leur apporter une réponse cinglante. Ceux qui auront été exclus et bordurés par le parrainage, vont se tourner vers des modes d’action moins conventionnels. La classe politique burkinabè, comme ses consœurs voisines, reste enfermée dans la tour de verre de ses habitudes et n’arrive pas à voir la menace sociétale qui est pourtant très visible. Comme la poudre à feu d’un mousquet, la colère populaire se stratifie à bas bruit et ce qui arrive au Mali, va certainement se produire au Burkina Faso après les élections. Les grands ingrédients sont tous réunis. Reste le déclencheur final qui peut survenir par n’importe quel événement banal.

 

Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique au Mali et en Côte d’Ivoire ?

 

Ces deux pays sont dans la tempête socio-politique du fait de l’inadaptation des systèmes politiques africains au contexte spécifique des pays. Le modèle de la démocratie représentative qui est déjà en difficulté dans d’autres régions du monde, est en train de montrer ses limites en Afrique où la politique est plus brutale et moins inspirée par la sagesse. Le Mali et la Côte d’Ivoire expérimentent ce qui s’est déjà passé au Burkina Faso, où un président est élu (2010), mais doit faire face à une large contestation active de la part de gens qui n’ont même pas participé à l’élection. Cela met clairement en évidence les limites du modèle politique en vigueur dans les pays africains, en particulier francophones. La démocratie y est plus formelle et instrumentale. Les taux de participation aux élections présidentielles, de plus en plus bas, doivent alerter, y compris l’élu lui-même sur sa légitimité réelle, dont la faiblesse va se ressentir dans la prise des décisions. Au-delà de l’aspect instrumental, il y a que le contenu de la gouvernance est très souvent en déphasage avec les réalités du pays. La corruption à ciel ouvert, l’impunité et les enrichissements subits et féériques d’une minorité sans mérite particulier, associés à la pauvreté chronique du plus grand nombre, procurent les facteurs de l’instabilité dans les pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire et leurs voisins. Surtout, les gouvernants se montrent assez incompétents à solutionner certains problèmes graves de leurs sociétés. L’insécurité permanente due au terrorisme et aux conflits inter-communautaires et la corruption modélisée au Mali, ont créé le lit de la contestation actuelle. En Côte d’Ivoire, la redistribution des richesses est le principal point d’achoppement entre le régime et sa population, au-delà des questions politiques. Autre chose, la conception du pouvoir dans ces pays, généralement autoritaire, est de plus en plus incompatible avec les sociétés du moment conditionnées par l’ouverture sur le reste du monde et influencées par les grands courants universels. Les classes politiques actuelles, pas assez prospectivistes, ne prennent pas, à sa juste mesure, l’avènement de nouvelles générations, très différentes des précédentes sur le plan des mentalités et des usages, plus violents, en politique. Au Mali, il sera très difficile au président Kéita d’achever son mandat qui court jusqu’en 2023, au vu de l’ampleur de la contestation qui s’auto-alimente. En Côte d’Ivoire, les élections pourraient se dérouler dans une ambiance mouvementée, si les manifestations ne paralysent pas l’Etat avant le 30 octobre. Les secousses socio-politiques seront un paramètre permanent de la vie politique des pays de la sous-région. A partir de maintenant, de grands bouleversements socio-politiques, comme au Mali et en Côte d’Ivoire, sont à attendre dans les pays de la sphère francophone en Afrique.

 

Interview réalisée par Michel NANA

 

 


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