SITUATION DES PRISONNIERS EN LIBYE : Qu’y peut l’ONU ?
Tout est parti d’images de détenus maltraités et battus par des gardes en uniforme, publiées sur les réseaux sociaux. Il n’en fallait pas plus pour que l’ONU en Libye s’émeuve de la situation et demande une enquête urgente sur les rapports d’abus et de torture des détenus dans les prisons libyennes. Une démarche qui traduit toute l’inquiétude de l’organisation mondiale face à ces actes graves de violation des droits de l’Homme, et qui est d’autant plus noble qu’elle se veut une interpellation des autorités de Tobrouk et de Tripoli sur des pratiques qui mettent en relief la mauvaise réputation de certaines prisons libyennes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ONU est dans son rôle. Et si son action peut faire bouger les lignes dans le sens du respect de la dignité humaine dans ce pays, ce serait une très bonne chose. Mais que peut l’organisation mondiale face à la situation des prisonniers en Libye ? La question est d’autant plus fondée que les cas de tortures et autres traitements dégradants voire inhumains de prisonniers et plus globalement de migrants, ne date pas d’aujourd’hui dans ce pays devenu l’un des couloirs les plus prisés de transit des migrants subsahariens vers l’Europe, depuis la chute et la disparition du colonel Kadhafi dans les conditions que l’on sait.
Si l’ONU veut aider la Libye, elle doit mettre un point d’honneur à ramener d’abord la paix dans le pays
Et Dieu seul sait ce que ces derniers vivent comme enfer dans ce pays déchiré par la guerre et où cohabitent deux gouvernements rivaux dont l’un est basé à Tobrouk, dans l’Est du pays contrôlé par le Général Khalifa Haftar. Et l’autre, reconnu par la communauté internationale, est cloîtré à Tripoli et dirigé par le Premier ministre et chef du gouvernement, Abdel Hamid Dbeibah. Toujours est-il que dans un Etat failli comme la Libye où pullulent des milices armées étroitement liées aux groupes de combat nés après la révolution de 2011, la situation des droits de l’Homme reste un sujet de préoccupation majeure, au-delà des prisons qui nourrissent les inquiétudes de l’ONU qui a décidé de diligenter une enquête. Mais le tout n’est pas de lancer des investigations. Encore faudrait-il pouvoir les mener à terme et avoir les bonnes informations. Et dans le cas d’espèce, on se demande si les enquêteurs de l’ONU auront la pleine collaboration des autorités libyennes mises en cause. Et si toute ou une partie de la vérité ne leur sera pas cachée. Et c’est bien là, l’une des principales difficultés de cette enquête qui se présente tout autant comme un défi pour l’ONU. Et puis, le tout n’est pas d’enquêter pour situer les responsabilités. Il faut pouvoir aller au-delà pour prendre des mesures hardies à l’effet de faire changer les choses. Et dans ce cas de figure, on se demande de quels moyens dispose l’ONU pour mettre fin à ces pratiques dans un pays à la recherche de ses marques et qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Et le bicéphalisme à la tête de l’Etat, semble d’autant plus rédhibitoire au retour du pays à la normale que depuis le rendez-vous manqué de décembre 2021, on ne parle pratiquement plus d’élections visant au rétablissement de l’ordre constitutionnel.
On attend de voir ce qui sortira de cette enquête sur la situation des prisonniers en Libye
Et si la communauté internationale, à commencer par l’ONU, a échoué sur ce plan, on ne voit pas comment la question de la situation des prisonniers pourrait connaître un meilleur sort. Autant dire que si l’ONU veut véritablement aider la Libye, elle doit mettre un point d’honneur à ramener d’abord la paix dans le pays et soutenir ensuite la mise en place d’institutions républicaines à l’issue d’élections libres, transparentes et inclusives. C’est le principal combat qui vaille aujourd’hui la peine d’être mené en Libye par l’ONU qui n’a jamais pu y faire respecter son embargo sur les armes. Lequel embargo est systématiquement violé depuis 2011 par les marchands de la mort au nez et à la barbe de tous. Tout le reste n’est que de la poudre de perlimpinpin visant à donner le change si ce n’est, pour l’ONU, à se donner bonne conscience. En tout état de cause, on attend de voir ce qui sortira de cette enquête sur la situation des prisonniers dans un pays devenu l’ombre de lui-même et dont le conflit est en passe, si ce n’est déjà fait, d’être une crise oubliée. Et ce, dans un contexte où plus de quatorze ans après la disparition du Guide de la Jamahiriya, le pays reste fortement divisé et brille par une instabilité qui signe la faillite de l’ONU, et qui semble arranger bien des intérêts cachés.
« Le Pays »