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 SOMMET DE MARRAKECH SUR L’IMMIGRATION


Aller au-delà des mesures cosmétiques

Les rideaux sont tombés, hier 11 décembre 2018, à Marrakech, au Maroc, sur la réunion internationale destinée à ratifier le Pacte mondial sur les migrations, piloté par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Pendant deux jours, plus de 150 participants, experts, chefs de gouvernements et délégués gouvernementaux ainsi que de nombreuses ONG et organisations de la société civile se sont donné rendez-vous pour porter le sceau officiel à ce texte non contraignant, fruit de plusieurs mois de négociations et qui se veut une sorte de « guide de bonnes pratiques » pour « une migration sûre, ordonnée et régulière ».

L’on peut d’emblée saluer cette nouvelle prise de conscience de la communauté internationale  face à un phénomène aussi vieux que l’humanité mais qui demeure d’une cruciale et cruelle actualité.

Il y a des regrets à nourrir vis-à-vis du Pacte

En effet, on chiffre à près de 60 000 le nombre des migrants engloutis par le cimetière à ciel ouvert qu’est devenue la Méditerranée tandis que chaque jour, des embarcations à la dérive et surabondées d’hommes, de femmes et d’enfants parfois enguenillés, sont recueillies au large des côtes européennes. Et quid des hordes humaines sur les cruels sentiers de l’exil à travers le désert saharien dont l’exutoire est souvent les cages inhumaines et avilissantes des passeurs et autres trafiquants d’êtres humains dans certains pays du Maghreb ?  Mais la plaque Afrique-Asie-Europe n’est pas le seul point chaud de la vague des  migrations sur la planète. Il y a aussi la frontière sud des Etats-Unis, prise d’assaut par les Sud-Américains. L’on garde présent à l’esprit le mélodrame actuel à la frontière mexicaine.  Au-delà des drames humains et des tragédies personnelles et collectives qui causent ou caractérisent ces migrations, c’est toute la problématique de la stabilité sociopolitique et économique dans les pays d’accueil des migrants, qui se pose comme on le voit avec la montée de la xénophobie et la prolifération des partis politiques extrémistes.

L’on peut aussi se féliciter des avancées qui sont contenues dans le pacte qui rappelle non seulement les grands principes liés aux migrations, telle la défense des droits humains, et la reconnaissance de la souveraineté internationale. Le pacte formule de nombreuses propositions pour aider les pays à faire face aux migrations en facilitant l’information, l’intégration des migrants et l’échange des informations. L’on peut particulièrement saluer la volonté manifeste de lutter contre les réseaux de passeurs et de trafiquants d’hommes, responsables des sévices dont les images ont révulsé, il y a peu, la conscience humaine mondiale mais aussi le renouvellement de l’engagement des pays riches à venir en aide aux pays les moins nantis.  En fait, on ne  le sait que trop, les conditions socio-économiques et politiques  dans les pays « pourvoyeurs de migrants » sont le principal facteur d’exil de nombreuses populations.

Toutefois, il y a des regrets à nourrir vis-à-vis de ce Pacte qui a déchainé tant de passions, notamment dans les pays du Nord. Et pour cause.  D’abord, le Pacte, même s’il a fait l’objet d’un large consensus (il est approuvé par plus de 190 pays), il n’en demeure pas moins que c’est un texte non contraignant.

La réunion de Marrakech n’est qu’un sommet de l’hypocrisie

Et l’on comprend, de ce fait, les activistes des droits humains qui le trouvent nettement en deçà des attentes car l’on peut effectivement et  légitimement  se poser la question sur sa valeur et son impact réels sur le terrain. Ensuite, tous les pays ne sont pas signataires du texte. Des pays (au total 9)  et pas des moindres avec en tête les Etats-Unis de Donald Trump se sont retirés du processus ou ont tout simplement rejeté le pacte, encouragés en cela par les coalitions de droite qui ont fait campagne sur des thématiques xénophobes et identitaires. En France, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, conformément à ses habitudes, ne s’est pas embarrassée de fioritures pour le traiter de « pacte avec le diable ».  Cela dit, sans verser dans le pessimisme, l’on peut donc, au regard des réticences, se demander si cet accord n’est pas mort-né, même s’il a déjà réussi la prouesse de recomposer la scène politique dans un pays comme la Belgique.

Au-delà même des postures des Etats, l’on peut se poser la question de savoir si les bonnes questions ont été posées à Marrakech et si l’on n’y a pas pris, par conséquent, l’ombre pour la proie. En effet, le sommet devait fondamentalement s’interroger sur les causes des migrations qui sont essentiellement les guerres et la mauvaise gouvernance dans les pays de départ. Même si l’on ne peut dénier la responsabilité des peuples et de leurs dirigeants dans ces catastrophes, il n’en demeure pas moins que ces tragédies sont causées par ceux qui se plaignent aujourd’hui d’être envahis par les migrants. Car en pillant les ressources dans les pays pauvres et en y soutenant les dictatures, les Occidentaux y sèment misère et conflits qui sont les principales causes des migrations.  Ce phénomène n’est rien d’autre que l’effet boomerang des politiques menées en Afrique et au Proche Orient.  C’est en raison de cela  que la réunion de Marrakech, en ne s’attaquant pas à la véritable racine du mal, n’est qu’un sommet de l’hypocrisie et  le Pacte mondial des migrations qui y a été adopté, rien d’autre qu’un catalogue de produits cosmétiques.  La lutte contre l’immigration, si l’on s’en tient donc au contenu de ce Pacte, n’est qu’un combat contre des moulins à vent.

« Le Pays » 


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