HomeA la uneSOMMET USA/AFRIQUE :Les dictateurs en sortent vainqueurs

SOMMET USA/AFRIQUE :Les dictateurs en sortent vainqueurs


Le sommet USA-Afrique de Washington aura vécu. Des dictateurs africains pourront se féliciter d’avoir non seulement serré la main de Barack Obama, mais surtout d’avoir eu droit à tous les égards dans ce pays considéré comme la plus grande puissance au monde, et la référence en matière de démocratie et de liberté. Une vraie désillusion pour les démocrates africains, une raison de plus pour eux de lutter davantage pour un meilleur avenir du continent.

 

Barack Obama a privilégié les questions économiques aux questions politiques

 

La déception se sent dans l’opinion car rien n’a été dit sur l’alternance. En effet, l’on s’attendait à voir ce sommet plancher sur les questions de gouvernance politique. Mais la gouvernance économique a nettement pris le dessus. Barack Obama a dit avoir grappillé 33 milliards de dollars de promesses d’investissement pour le continent, secteurs public et privé confondus. Le président américain s’est dit optimiste pour le renouvellement de l’AGOA, l’accord de libre échange entre les Etats-Unis et l’Afrique. Toutefois, ces 33 milliards de dollars d’investissements, ce n’est ni plus ni moins que du commerce. Outre que la répartition pourrait ne pas convenir à tous les bénéficiaires potentiels, le pactole prévu au plan de l’énergie pourrait même ne pas être utilisé à bon escient ! Tout investissement devant reposer sur des bases solides, il appartient à la puissance américaine de prendre les dispositions qui s’imposent, afin de minimiser les risques de mal gouvernance.

Avoir privilégié l’économie a son importance. Mais cela n’occulte pas le fait que des dictateurs ont été reçus avec tous les égards à ce sommet. Parmi eux, le président gambien, Yahya Jammeh, de triste renom ! Les USA savaient-ils qu’ils ouvraient une brèche en invitant ce type de chefs d’Etat ? A la tête de la plus grande puissance démocratique au monde, Barak Obama était fondé à tancer les chefs d’Etat africains qui ne sont pas des exemples en matière de respect des libertés démocratiques, des droits humains et de la liberté d’expression. Certes, dans l’entourage du chef de l’exécutif américain, des propos avaient été tenus contre les tripatouilleurs des constitutions. L’impression dominante était que la Maison Blanche réprouvait ces actes orchestrés dans l’intérêt de chefs d’Etat pour se pérenniser au pouvoir. L’on était donc en droit d’attendre une sortie en règle de Barack Obama, face à des hôtes dont plusieurs étaient déjà indexés par leur peuple. Mais, à l’évidence, les considérations d’ordre économique ont pris le dessus sur les questions de gouvernance politique. Pour l’Afrique critique, les choses sérieuses n’ont pas été dites. Les chefs d’Etat africains ont été tout simplement ménagés. Ce sommet n’aura pas, à vrai dire, beaucoup profité aux Africains. L’erreur de Barack Obama, c’est d’avoir privilégié les questions financières et économiques, aux dépens des questions politiques. Or, la gouvernance économique est tributaire de la gouvernance politique. Convoquer un sommet africain de cette nature et ne pas insister sur les questions de bonne gouvernance politique, alors que les esprits y ont été préparés, c’est simplement déroutant. La mal gouvernance politique, dont l’ampleur est considérable dans la plupart des pays africains, rejaillit inévitablement et toujours sur les efforts déployés pour sortir le continent du trou. C’est un fait que l’environnement politique en Afrique n’a jamais empêché les puissances de tirer leur épingle du jeu. Aussi ne faut-il pas s’étonner de constater que la grande Amérique a cherché avant tout à défendre ses intérêts d’Etat. Elle ne pouvait que s’illustrer de cette manière. Le sommet aura donc été un instrument pour les Américains en lutte contre l’envahissement du marché africain par la Chine populaire. A preuve : deux jours ont été consacrés à l’économie et un seul à la politique. Mais ne dit-on pas : « Business is business »? Pourrait-on jamais promouvoir la démocratie et les droits humains si les dictateurs doivent servir de véritables points focaux à la stratégie américaine ?

 

Il appartient aux peuples eux-mêmes de se battre pour se libérer des dictateurs

 

Les Africains doivent se désillusionner. Autant ils ont rêvé à l’arrivée de Barack Obama, autant ils ont cru à tort que le sommet convoqué par lui allait permettre de faire une mise au point officielle. Malheureusement, en politique, il n’existe ni altruisme, ni philanthropie, encore moins dans les relations entre Etats. Jamais les présidents américains n’ont été élus sur la base de leur politique extérieure, mais plutôt sur leur manière de résoudre les questions domestiques. La rencontre de Washington ne déçoit donc que ceux qui y avaient mis de l’espoir.

Mais, comment ne pouvait-on pas croire que les mauvais gouvernants seraient épinglés? L’entourage de Barack Obama lui-même avait donné le sentiment que la table était mise. La mal gouvernance, les pratiques culturelles rétrogrades, autant que la question sensible des homosexuels, avaient été évoquées pour appâter l’opinion. Deux personnalités de choix s’étaient prêtées à l’exercice : le Secrétaire d’Etat John Kerry, et Linda Thomas Greenfield, Vice-secrétaire d’Etat pour les affaires africaines. Au total, les chefs d’Etat décriés vont regagner leur pays non sans bomber le torse. Barack Obama les a bien reçus et posé avec eux pour l’éternité. Hormis ses ministres, le président américain n’a parlé ni de bonne gouvernance politique, ni de droits de l’Homme.  Assurément, des dirigeants africains ne se priveront pas de jubiler. Leurs partisans et thuriféraires exploiteront à d’autres fins les photos issues du sommet, probablement celles prises lors des légendaires poignées de main avec le jeune démocrate noir le plus célèbre des Etats-Unis et du monde. La leçon à tirer d’un tel sommet, c’est qu’il appartient aux peuples eux-mêmes de se battre pour se libérer des griffes des dictateurs qui foisonnent sur le continent. Il ne faut pas attendre des autres un appui qui peut ne jamais venir. Le salut viendra des Africains eux-mêmes. Ils doivent lutter résolument contre les acteurs politiques qui jouent aux prédateurs. Dans ce sens, il faut saluer le courage des opposants de la RD Congo qui ont su profiter du sommet pour faire entendre leur voix. La répression qui s’en est suivie a donné la preuve que le régime de Joseph Kabila est effectivement l’une des pires dictatures du continent.

L’Amérique du parti démocrate avait une responsabilité historique à assumer à l’occasion de cette rencontre. Barack Obama n’a pas voulu se prêter au jeu. En tout cas, à deux ans de la fin de son mandat il n’aura pas fait mieux que Bill Clinton, le géniteur de l’AGOA et Georges Bush fils, le preux chevalier de la lutte contre le Sida et père du Millenium challenge. Barack saura-t-il se rattraper ? On a deux ans pour attendre de voir.

 

« Le Pays »

 


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