SOMMETS SUR LA SECURITE EN AFRIQUE : Si le ridicule pouvait tuer
Ce n’est pas demain la veille de la maturité et de l’indépendance réelle des Etats africains. Cela est malheureusement une évidence, au regard de certaines réalités sur le continent dont la gestion scabreuse des questions de sécurité ne sont visiblement pas une préoccupation assumée des princes du moment. Le 46e sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a clos ses portes le 15 décembre 2014 à Abuja et le forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est ouvert le même jour, ont à l’ordre du jour, essentiellement la même problématique : la question de la sécurité en Afrique. Mais pourquoi deux rencontres de haut niveau sur une question aussi cruciale que celle de la sécurité, quasiment au même moment et dans le même espace géographique ? Ne pouvait-on pas, au regard de la thématique quasi-identique et par souci d’harmonisation des décisions et engagements des participants, fondre ces deux rencontres pour n’en faire qu’une seule ? Face à ce qui s’apparente à de la réunionite, l’opinion africaine est tout autant perdue que désabusée.
Ceux qui rêvent d’indépendance, de souveraineté, peuvent passer après
L’absence ou l’insuffisance de coordination des efforts et initiatives en matière de sécurité sur le continent africain, est loin d’être honorable pour ses dirigeants. Quelle honte !, pourrait-on même dire, au regard du caractère hautement ridicule du comportement de ceux qui nous gouvernent. Eux qui font rarement, pour ne pas dire jamais, preuve d’initiative personnelle en matière de sécurité des populations dont ils ont reçu mandat.
L’humiliation est d’autant plus énorme que le forum de Dakar est d’inspiration française. Hélas, on en est encore là. Cette rencontre de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique fait suite au sommet de l’Elysée qui avait vu des chefs d’Etat africains amicalement « convoqués » par le président François Hollande, pour discuter des voies et moyens de lutter efficacement contre le terrorisme et l’insécurité sur le continent africain. Une fois de plus, ceux qui rêvent d’indépendance, de souveraineté, peuvent repasser après. C’est bel et bien l’Occident, et de façon spécifique la France, qui est à l’initiative de bien des efforts pour contrer le terrorisme, le djihadiste sur le contient noir. Bien entendu, l’Hexagone ne s’implique pas ainsi pour les beaux yeux des Etats africains. Ces territoires fragiles constituent un terreau fertile à la germination et à l’éclosion de l’extrémisme. Il suffit de considérer le chômage des jeunes et la misère ambiante qui rendent bien des populations réceptives aux idées extrémistes. Et ces terroristes ne vont pas se faire prier pour s’en prendre aux intérêts français en Afrique. Mieux, ils mettront un point d’honneur à se servir de ces pays africains comme base arrière, comme rampe de lancement dans leur croisade contre les pays occidentaux dont bien sûr la France.
C’est un truisme de dire que la France défend aussi ses propres intérêts, en exhortant les Africains à s’organiser pour mieux combattre le terrorisme, l’extrémisme sur le continent. Mais, il n’en demeure pas moins vrai que le fait que ce soit elle qui est la plus préoccupée révèle un certain manque de responsabilité de bien des dirigeants africains. La sécurité des pays africains, des populations africaines, doit être une priorité absolue pour les Africains eux-mêmes d’abord, au-delà de toute autre considération. L’extrémisme dont il est question dans cette lutte, avant de toucher les intérêts français sur le territoire de l’Hexagone ou à l’extérieur, touchera d’abord et avant tout des intérêts africains. C’est une illusion de penser que les djihadistes et autres terroristes du genre ne sont opposés qu’à l’Occident. Boko Haram pour ne citer que son cas, est en train de faire boire la tasse au Nigeria, bien plus qu’à tout autre pays. Ce sont surtout des soldats et des civils nigérians qui sont ses cibles prioritaires, qui font les frais de son fondamentalisme au quotidien. Bien avant les intérêts étrangers de quelque nature que ce soit.
Il faudra que la gouvernance sur le continent s’améliore
Les chefs d’Etat africains feraient mieux de prendre toutes leurs responsabilités dans la bataille pour la sécurité. Car, cette sécurité des Etats africains doit être d’abord et avant tout, l’affaire des Africains. La contribution des occidentaux doit être réduite à son strict minimum, dans le cadre de la coopération nécessaire entre pays, comme cela est de rigueur même entre Etats occidentaux. Des institutions comme le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine doivent sortir de leur léthargie. La fameuse force d’intervention rapide de l’Union africaine devrait enfin être effective et proactive. Parallèlement à cela, il faudra que la gouvernance sur le continent s’améliore. Par exemple, les fruits de la croissance doivent être redistribués de façon équitable, le devoir de reddition des comptes des dirigeants doit cesser d’être seulement théorique, l’injustice et l’impunité doivent être traquées jusque dans leurs derniers retranchements. En ce qui les concerne, les armées doivent être repensées, reformées pour cesser d’être des troupes juste bonnes pour réaliser des parades ou pour casser du civil, en cas de manifestations contre les dirigeants. La dépolitisation des armées et la démilitarisation de la politique sont les deux faces d’une même médaille qu’il convient d’arborer avec courage pour espérer annihiler ou, à tout le moins, réduire à leur plus simple expression, les violences dans la prise et la gestion du pouvoir d’Etat.
En tout état de cause, les institutions et les textes juridiques pertinents de l’Union africaine et de ses organisations régionales comme la CEDEAO sur la paix, la prévention des conflits et de façon plus large, sur la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit, doivent cesser de servir exclusivement à meubler le décor. C’est le prix à payer pour une souveraineté réelle, pour une Afrique qui s’assume et assume sa place dans le monde. Et les plus hautes autorités politiques des différents pays africains doivent enfin jouer leur partition à fond. C’est une condition sine qua non pour que les populations civiles cessent d’être de la chair à canon pour des « illuminés » comme les hommes d’Abubakar Shekau au Nigeria, sous le regard impuissant ou indifférent des dirigeants officiels des Etats. Lorsqu’ils auront ainsi pris toutes leurs responsabilités, les dirigeants africains n’auront plus à rougir de quelque soutien que ce soit, parce que cette aide s’exprimera désormais dans le strict cadre de la nécessaire coopération internationale. Et c’est à ce moment que l’Afrique pourra bomber fièrement le torse, parce que méritant sa souveraineté et sa respectabilité, deux mots qui, hélas pour l’heure, sonnent désespérément creux dans la bouche des Africains.
« Le Pays »