SORTIE MEDIATIQUE DU PRESIDENT TRAORE : Au-delà du discours rassurant…
Dans une interview fleuve accordée aux journalistes de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) et de Savane média, diffusée vendredi dernier, le président du Faso, Ibrahim Traoré, a fait passer pas mal de messages pour répondre à l’impatience, à l’inquiétude pour ne pas dire au sentiment de décrochage d’une bonne partie de ses compatriotes face aux cruautés de l’histoire que le Burkina Faso est en train de vivre. Cet entretien hors norme a permis au capitaine Traoré, d’aborder sans détour et sans langue de bois, tous les sujets y compris ceux qui fâchent, allant de la crise sécuritaire et ses corollaires à la bonne gouvernance en passant par la diplomatie et la justice. L’exercice aurait pu être désastreux pour le président de la Transition au regard des exactions de plus en plus nombreuses et violentes des groupes terroristes dans le pays, mais il s’en est tiré à bons comptes si l’on s’en tient aux réactions des uns et des autres après la diffusion de l’élément. L’occasion était belle pour le chef suprême des armées, de confirmer sa volonté d’aller en guerre totale contre les ennemis de la paix et de la cohésion nationale, et de tout faire pour redonner à toutes ces âmes en peine qui ont fui leurs villages, cette ruralité heureuse et joyeuse qui leur manque depuis que des hommes armés non identifiés selon la formule consacrée, les ont sommé de quitter leur milieu naturel de vie.
Le fringant trentenaire s’est montré optimiste et plein d’ambitions pour son pays
Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est un travail d’Hercule que Hercule lui-même aurait rechigné à faire, quand on connait le niveau de dégradation actuelle de la situation sécuritaire et humanitaire, et quand on sait que la situation économique du pays est dans le rouge, pour ne pas dire carrément catastrophique. Malgré ce tableau presqu’apocalyptique de l’état du Burkina Faso, le fringant trentenaire s’est montré optimiste et plein d’ambitions pour son pays, en se félicitant du patriotisme chevillé au corps de ses compatriotes depuis quelques mois, et en considérant les attaques qui frappent lourdement et indistinctement nos forces de défense et de sécurité et les populations civiles, comme étant l’œuvre de groupes terroristes « aux abois ». Cette posture de guerrier qui refuse toute négociation avec les ennemis de la Nation, est fort bien compréhensible dans le contexte actuel et au regard de l’immense espoir que le natif de Bondokouy continue de susciter. Car, en politique comme en architecture, « quand la clé de voûte est mal positionnée, tout s’effondre ». Il fallait donc qu’il soit droit dans ses bottes, et qu’il tacle sévèrement tous ceux qui, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, propagent des informations souvent infondées qui contribuent à scier le moral des troupes. Tout cela est bien beau et bien calibré, mais pour dire vrai, il va falloir aller au-delà de ce discours rassurant et outrageusement teinté d’optimisme.
Reste à se poser la question de savoir si cet attentisme n’est pas essentiellement dû aux problèmes logistiques et financiers
Car, les Burkinabè ne se mettront à y croire que quand ils verront les résultats sur le terrain avec le retour des réfugiés dans leurs patelins d’origine, quand les terroristes auront été contraints de choisir entre la reddition et le linceul, et quand il n’y aura plus de victimes innocentes dont nos FDS et leurs supplétifs se rendraient coupables dans le cadre de cette guerre qui n’a même pas encore commencé, selon le président Traoré. Ce dernier bout de phrase sorti de la bouche du chef de la Transition, a d’ailleurs suscité beaucoup de commentaires et même d’inquiétudes, certains se demandant pourquoi mettre autant de temps pour lancer des offensives terrestres afin de déloger les « bandits armés » de leurs bases, alors que le MPSR 2 avait promis, dès les premières heures, de démarrer les choses sur les chapeaux de roue ? L’argument du manque d’effectifs ne pourra plus prospérer avec le recrutement massif de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) dont les premières cohortes sont déjà déployées sur le terrain, et le manque d’engagement de nos FDS et de nos compatriotes d’une manière générale, ne peut être invoqué non plus, au regard de l’enthousiasme et des soutiens tous azimuts dont bénéficient les autorités actuelles. Reste donc à se poser la question de savoir si cet attentisme n’est pas essentiellement dû aux problèmes logistiques et financiers, surtout que le Premier ministre a, lors de sa récente visite au Mali, fait cas de blocage d’une commande d’armes par un pays dont il n’a pas cité le nom, mais que les soutiens indéfectibles du régime ont vite identifié comme étant la France. Le président Traoré n’a pas été prolixe sur cette relation tiède avec l’Hexagone, pas plus qu’il n’a confirmé le choix présumé de la Russie comme désormais partenaire privilégié du Burkina. Il a, en revanche, démenti les rumeurs faisant état de la présence de Wagner à Ouagadougou, non sans faire sursauter ceux qui ont peur de cette société de sécurité privée russe pour ses exactions réelles ou supposées contre les populations, en affirmant que notre Wagner à nous, ce sont nos VDP. C’est fort possible que ce soit une interprétation malveillante des propos du président, d’autant que dans le même temps, ce dernier a indiqué que les supplétifs de l’armée recevront, au cours de leur formation, des notions sur les droits de l’Homme afin de minimiser les risques de bavures et de règlements de comptes qui font le lit de la déchirure sociale et des conflits communautaires. En un mot comme en mille, l’invité de la RTB et de Savane média a répondu à toutes les questions avec décontraction et sans arrogance, même si ses arguments ont été parfois aériens, notamment sur le volet économique et sur les présumées exactions perpétrées par des VDP contre des civils à Nouna. Pour le reste, on peut dire qu’il a été globalement à la hauteur de l’événement en disant aux Burkinabè ce qu’ils veulent entendre en ces temps de crise, en promettant le ravitaillement des zones sous blocus, en poursuivant la lutte implacable contre la corruption, en annonçant une réforme de la Justice qui permettra d’utiliser certains prisonniers « à bon escient », et en martelant que la Justice est et restera indépendante durant tout son magistère. Espérons qu’il ne s’agit pas là de propos euphoriques d’un président auréolé de gloire et d’une cote de popularité plutôt ascendante après seulement quatre mois d’exercice du pouvoir, et cela bien qu’on soit tombé de Charybde en Scylla sur les plans sécuritaire et humanitaire, comme le reconnaissent les autorités de la Transition elles-mêmes.
« Le Pays »