TENSIONS ENTRE L’ETHIOPIE ET LE SOUDAN : La raison doit prévaloir
Le torchon brûle à nouveau entre les voisins éthiopien et soudanais. Et cette fois-ci, le casus belli entre les deux pays est, selon un communiqué du ministère soudanais des Affaires étrangères, l’enlèvement, le 22 juin dernier, de 7 soldats soudanais suivis de leur exécution par l’armée éthiopienne accusée ainsi de fouler au pied toutes les conventions de la guerre et le droit international. Cet incident tragique confirmé par Addis-Abeba qui, toutefois, s’en lave les mains à la Ponce Pilate, pour faire porter la responsabilité à une milice locale de la région Amhara, n’est, en réalité, que l’un des épisodes du feuilleton de la guerre larvée entre les deux pays qui se regardent en chiens de faïence depuis belle lurette. Même si l’on peut noter des périodes d’accalmie dans les relations entre les deux voisins comme l’on a pu le constater à une certaine phase de la crise socio-politique soudanaise où le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, s’était porté volontaire pour conduire une médiation entre les protagonistes, il reste que les accrochages, très souvent mortels, sont fréquents à la frontière entre les deux Etats. Ces escarmouches régulières ne sont, en réalité, que les remous de surface qui agitent de façon structurelle, les relations conflictuelles entre les deux voisins.
Ce nouveau pic de tensions dépassera-t-il la surenchère verbale et diplomatique habituelle ?
La première cause profonde des tensions entre l’Ethiopie et le Soudan est la vaste région frontalière d’Al-Fashaga dans l’Est du Soudan. Longue d’environ 200 km, cette bande de terres, caractérisée par de larges plaines fertiles, attise toutes les convoitises en raison de son fort potentiel agricole. Sous souveraineté soudanaise selon les cartes coloniales, la région d’Al-Fashaga est cependant habitée et exploitée par des agriculteurs éthiopiens et c’est précisément cette dualité qui en fait un volcan aux éruptions très souvent meurtrières. La seconde toile de fond de l’animosité entre Addis-Abeba et Khartoum est la construction du barrage de la Renaissance sur le Nil. Pour l’Ethiopie, pays longtemps touché par la famine, la réalisation de cette gigantesque infrastructure hydro-électrique et agricole est synonyme de son essor économique mais pour les deux autres pays traversés par le Nil, en l’occurrence le Soudan et l’Egypte, cette construction constitue une grave menace pour le débit du fleuve dont la baisse impacterait nécessairement le secteur agricole égyptien de même que la production électrique du barrage d’Assouan. En raison donc des intérêts économiques divergents, les relations sont devenues tumultueuses entre l’Ethiopie et l’Egypte qu’Addis-Abeba accuse d’instrumentaliser en sous-main, le Soudan, au service de sa cause. Cela dit, la question que l’on peut se poser est la suivante : ce nouveau pic de tensions entre l’Ethiopie et le Soudan dépassera-t-il la surenchère verbale et diplomatique habituelle ? A en croire le Soudan qui a rappelé son ambassadeur en Ethiopie et convoqué l’ambassadeur éthiopien pour lui signifier sa condamnation de l’exécution de ses sept soldats, l’affront de l’armée éthiopienne qu’il qualifie d’inhumain, ne sera pas impuni, et fait appel à une riposte.
Il faut que très vite, la diplomatie internationale s’active
En plus d’envisager une réponse militaire, Khartoum menace de déposer une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU et des organisations régionales. Même si l’hypothèse que la logique de la vendetta qui se dessine dans les propos, n’entraine une guerre ouverte entre les deux pays, n’est pas à écarter, l’on peut penser que la raison devrait prévaloir. Et pour cause. Aucun des deux Etats confrontés à des difficultés internes, n’a intérêt à ouvrir un autre front. En effet, alors que le régime éthiopien est encore enlisé dans la guerre qu’il mène depuis novembre 2020 contre la région frondeuse du Tigré, menée par le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) , la junte militaire soudanaise fait face à l’adversité de son peuple qui, debout à travers l’Alliance pour la liberté et le Changement (ALC), malgré la répression sanglante depuis 2018 où il a chassé le dictateur Omar el Béchir, continue d’exiger le départ des militaires. L’on comprend alors pourquoi pendant qu’al-Burhan fait semblant de monter sur ses grands chevaux, Abiy Ahmed fait profil bas et cela est d’ailleurs à son honneur. Car, il faut le dire, un conflit militaire entre l’Ethiopie et le Soudan serait la guerre de trop. En effet, dans cette région tourmentée de l’Afrique de l’Est, l’instabilité politique serait portée à son apogée avec toutes ses conséquences bien connues. Il faudra surtout redouter un drame humanitaire. L’on sait déjà que les populations civiles qui ont fui la guerre au Tigré pour trouver refuge au Soudan, payent déjà le prix fort des violences armées. Qu’en serait-il si l’on devrait assister à un nouveau pic de violences ? En tout état de cause, il faut que très vite, la diplomatie internationale s’active pour que les deux voisins ne franchissent pas le pas en s’affrontant ouvertement. Il est d’ailleurs temps que toutes les pressions se fassent pour amener les deux voisins à vider leur contentieux devant les juridictions internationales. La Cour internationale de justice qui siège à La Haye est compétente pour connaitre des conflits frontaliers tandis la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, peut constituer une piste de réponse pour juguler cette tension permanente entre les deux Etats.
« Le Pays »