TENSIONS POSTELECTORALES AU GABON : Les élections, ce n’est pas la guerre
Au lendemain de la présidentielle, des législatives et des locales du 26 août dernier, les tensions restent vives au Gabon. En cause, l’atmosphère plutôt étouffante du scrutin qui s’est déroulé dans un climat de peur, à l’abri des regards des observateurs et des journalistes internationaux, sur fond d’accusations de fraudes portées par le principal opposant, Albert Ondo, contre le pouvoir de Libreville. Et c’est une capitale gabonaise plutôt sur le pied de guerre, qui est dans l’attente des résultats. Comment peut-il en être autrement quand, aux mesures restrictives de coupure d’Internet, de fermeture des frontières et d’instauration du couvre-feu pour la tenue du scrutin, s’ajoute le quadrillage en règle de la capitale par la mise en place d’un dispositif sécuritaire dans lequel se comptent, pèle mêle, des véhicules anti-émeute et anti-incendie, avec des forces de l’ordre munies de matraques, de casques à visières et autres masques à gaz, prêtes à parer à toute éventualité ? Un décor qui n’est pas loin de traduire le manque de sérénité d’un pouvoir aux abois, avec son candidat, Ali Bongo Ondimba, à la recherche d’un troisième septennat.
Les risques de débordements ne sont pas à exclure
Et ce, après celui fort contesté de 2016 qui l’avait vu, selon les résultats officiels, coiffer au poteau son challenger Jean Ping qui n’a jamais cessé depuis lors, de revendiquer sa victoire. L’histoire se répétera-t-elle, en 2023, avec Albert Ondo ? La question mérite d’être posée. Surtout si les tendances donnant l’avantage au candidat de l’opposition, devaient se préciser. Toujours est-il qu’en attendant le verdict des urnes, le principal challenger du chef de l’Etat, qui a vu le ralliement, derrière sa candidature, de poids lourds de l’opposition réunis au sein de la plateforme Alternance 2023 créée à dessein pour porter la contradiction à Bongo fils, est dans la logique de la victoire. Et il y a d’autant plus à craindre pour le Gabon qu’au regard des accusations de fraudes portées par l’opposition, les risques de débordements ne sont pas à exclure, en cas de résultats non favorables à son candidat. Lequel semble d’autant plus sûr de sa victoire que, prenant la « communauté internationale » à témoin, il n’a pas hésité à lancer : « Le moment est venu pour Ali Bongo de partir, il n’y aura aucune négociation ». Et d’ajouter : « Je n’ai pas peur de lui ». Pendant ce temps, le pouvoir ne lésine pas sur les moyens dans le déploiement de l’artillerie lourde visant à prévenir d’éventuels troubles. Toute chose qui fait d’autant plus nourrir des craintes que l’on se souvient encore, comme si c’était hier, le pilonnage en règle dont avait été victime le QG de Jean Ping qui était dans la contestation après la proclamation des résultats en 2016. C’est dire si dans l’attente des résultats, ces fortes tensions post- électorales sur fond de préparatifs de guerre, n’augurent rien de bon pour le Gabon. Pour preuve : l’attitude de ces citoyens qui s’activent déjà à faire des provisions, à titre préventif, quand certains ne sont pas obligés de fuir momentanément pour se mettre à l’abri, en raison de ce qui paraît, au propre comme au figuré, comme les prémices d’une guerre pour le pouvoir.
On souhaite au peuple gabonais de conjurer le mauvais sort en espérant que Ali Bongo ne sera pas amené à jouer les Ali Baba
De quoi interpeller fortement la classe politique gabonaise, jusqu’au sommet de l’Etat. Car, loin d’être la guerre, les élections devraient être des moments de convivialité et de saine rivalité consacrant la beauté du jeu démocratique. Et où la voix du peuple devrait pouvoir s’exprimer dans la plus grande transparence. Mais quand on ne s’imagine pas une autre vie en dehors du pouvoir, comme c’est le propre de tous les satrapes du continent, ou qu’on croit être né pour diriger les autres, rien d’étonnant à ce que l’on soit prêt à toutes sortes de magouilles et de compromissions, pour se maintenir au centre des cercles de décisions. Quitte, pour cela, à dresser le bûcher contre son peuple. Et dans le cas d’espèce, tout porte à croire que pour Ali Bongo, le Gabon peut brûler, pourvu qu’il conserve son fauteuil présidentiel. C’est à se demander si cette race de dirigeants à la tête de nos démocraties bananières, aiment vraiment leur peuple. Autrement, après quatorze ans de pouvoir, sans compter les quarante-et-un ans passés sous l’aile protectrice de son défunt père à qui il a succédé dans les conditions que l’on sait, qu’est-ce qu’Ali Bongo, aujourd’hui gagné par l’usure du pouvoir et affaibli par la maladie, a-t-il encore à prouver à la tête de l’Etat gabonais ? Que peut-il encore apporter à son pays, qu’il n’ait déjà fait, qui puisse justifier un troisième mandat si ce n’est dans le seul but de perpétuer la dynastie au pouvoir ? Malheureusement, de Yaoundé au Cameroun à Brazzaville au Congo en passant par Malabo en Guinée équatoriale, c’est une espèce de la faune politique africaine réfractaire à toute idée d’alternance, qui n’est pas près de disparaître du jour au lendemain. En tout état de cause, tout le mal qu’on souhaite au peuple gabonais, c’est de conjurer le mauvais sort en espérant que contrairement à 2016, Ali Bongo ne sera pas amené à jouer les Ali Baba, avec les conséquences que l’on a déjà vues ou que l’on peut aisément imaginer.
« Le Pays »