TIRS NOURRIS DANS UN QUARTIER DE BRAZZAVILLE : La rançon de la boulimie du pouvoir  

 

Que se passe-t-il à Brazzaville ? C’est la question qui était sur les lèvres des habitants de la capitale congolaise, qui ont été tirés de leur sommeil au petit matin du 4 avril dernier, par des tirs nourris, à l’arme lourde, dans les quartiers sud de la ville. En attendant d’y voir plus clair, les premières informations font état d’une possible attaque d’un poste militaire par des hommes armés. Certaines sources parlent même des Ninjas (opposés à l’époque à Sassou), du nom de l’une des deux tristement célèbres milices qui, avec les Cobras (favorables à l’époque à Sassou Nguesso), avaient endeuillé le Congo lors de la guerre civile qu’a connue ce pays dans les années 90, guerre qui s’était soldée par de nombreux morts et avait abouti à la reconquête du pouvoir par le président actuel. Est-ce donc le retour des vieux démons dans ce pays? En tout cas, il faut le craindre, car eu égard au contexte du scrutin présidentiel du mois dernier, l’atmosphère sociopolitique sent toujours le souffre au Congo. En effet, depuis l’enclenchement de la campagne électorale, la tension qui était déjà palpable suite à la candidature contestée du président sortant Denis Sassou Nguesso pour un énième mandat, était montée d’un cran. Notamment du fait des déboires de certains de ses adversaires de premier plan comme le général Mokoko, et de l’opacité qui a entouré la compilation et la proclamation des résultats. Ceux-ci  ont d’ailleurs été immédiatement contestés par l’opposition qui y a vu un hold up électoral de la part de Sassou. Et face à ce qui s’apparente à un passage en force, ce serait l’occasion rêvée pour bon nombre de ses contempteurs de tenter quelque chose pour remettre en cause sa victoire. D’autant plus que tout porte à croire qu’il est impossible, dans les circonstances actuelles, de battre le président sortant dans les urnes, tant il a verrouillé tout le système de l’intérieur.

Le mandat de Sassou s’annonce comme celui de tous les dangers

Pour sûr, une telle action pourrait emporter l’adhésion d’une opposition  qui se sent muselée, pieds et poings ligotés par un président qui veut lui faire avaler la pilule amère de sa réélection, après une parodie d’élection démocratique. Aussi, cet acte pourrait être un acte désespéré de rejet de ce qui s’apparente à leurs yeux à de l’imposture. Si cela s’avérait, ce serait la rançon de la boulimie du pouvoir de Sassou qui serait en passe de replonger le Congo dans le chaos. Car, tout porte à croire que cet énième mandat de Sassou, après plus de trois décennies de règne et après avoir contourné, de la façon que l’on sait, toutes les dispositions constitutionnelles qui l’empêchaient de prétendre à un autre mandat, est le mandat de trop. En tout cas, telle une arête de poisson, il semble rester insidieusement coincé en travers de la gorge d’une opposition et d’une société civile congolaises assoiffées d’alternance. D’autant plus que le processus électoral en lui-même, caractérisé par la mainmise du pouvoir et l’omerta sur les résultats, aura engendré une grande amertume et une profonde frustration chez beaucoup de Congolais qui avaient encore la faiblesse de croire en une compétition véritablement ouverte et transparente. Maintenant, il faut craindre une « burundisation » de la situation. Car,  l’on se rappelle que des faits similaires d’attaque d’un camp militaire avaient conduit au Burundi  voisin, à une répression féroce et à une traque sans merci des opposants accusés de tous les péchés d’Israël. Et rien ne dit qu’à l’image de son homologue burundais, le président congolais ne profitera pas de la situation pour faire une purge, en durcissant la répression contre ses opposants afin de nettoyer ses propres écuries. Quoi qu’il en soit, cet énième mandat risque d’être difficile à terminer pour Sassou, tant il s’annonce sous de bien mauvais auspices. Et dans un Congo qui traîne une certaine tradition de violence politique, ce qui s’est passé est loin d’être un épiphénomène, eu égard aux nombreux ressentiments mal contenus et à la prégnance des clivages ethniques qui ne sont jamais loin et  qui font de ce pays, une sorte de cocotte-minute prête à exploser à tout moment.

En tout état de cause, si les Ninjas devaient renaître, tel le phœnix,  aussi facilement de leurs cendres, il faudrait peut-être s’attendre aussi à la réapparition de leurs rivaux les Cobras, aussi soudainement que les premiers ont refait surface. Pour toutes ces raisons, ce mandat de Sassou s’annonce comme celui de tous les dangers. Et si le pire devait arriver, il ne serait pas exagéré de dire que c’est Sassou qui l’aura cherché. En tout cas, s’il n’y prend garde, il risque de sortir de l’Histoire par la petite porte.

Outélé KEITA