VICTOIRE DE KAIS SAIED A LA PRESIDENTIELLE TUNISIENNE
En Tunisie, les résultats du second tour de la présidentielle du 13 octobre dernier, donnent le candidat indépendant et conservateur, Kaïs Saïed, largement vainqueur avec 72% des voix. Son challenger, Nabil Karoui, libéré à l’avant-veille du scrutin, n’a donc pas pu opérer le miracle de se hisser de la prison de Monarguia au palais de Carthage, emporté certainement par son dossier judiciaire qui a dû fortement peser dans la balance du choix des électeurs, après avoir plombé sa campagne par la restriction de sa liberté, quelque trois semaines avant le premier tour. Sa libération n’aura donc pas produit dans les urnes, l’effet domino attendu des électeurs qui auraient pu se prendre de sympathie pour l’ex-prisonnier. Mais Nabil Karoui a beau crier à l’iniquité par sa condition carcérale qui a pu hypothéquer ses chances, la victoire de Kaïs Saïed ne saurait souffrir de contestation tant elle a été écrasante et paraît, à bien des égards, le reflet d’un choix consciencieux des électeurs tunisiens.
Un locataire atypique au palais de Carthage
En effet, désabusés par l’ancienne classe dirigeante et tout ce qui pouvait y ressembler, les Tunisiens, dans leur soif de changement, ont visiblement fait le pari de la rupture en confiant leurs destinées à ce candidat indépendant dont la virginité politique charrie l’espoir d’un nouveau départ. Ne serait-ce que pour cela, Nabil Karoui pouvait difficilement rêver de la victoire, pour ses accointances avec le défunt régime dont il apparaît aujourd’hui aux yeux de certains Tunisiens comme l’une des dernières réminiscences. Du reste, on peut s’interroger sur ce que sera le sort du magnat des médias, candidat malheureux qui a toujours maille à partir avec la Justice de son pays. Que va-t-il se passer quand la fièvre électorale sera retombée ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Mais en attendant, le choix du conservateur austère Kaïs Saïed pour conduire les destinés de la Tunisie, même s’il est peu surprenant aux yeux de certains observateurs, ressemble à un véritable saut dans l’inconnu. Autant pour lui-même, en raison de son inexpérience dans la gestion du pouvoir d’Etat, que pour le peuple tunisien qui n’a pas hésité à sanctionner dans les urnes la vieille classe politique pour faire confiance à des hommes neufs, et qui semble assumer son choix de porter un novice à la magistrature suprême. C’est dire si le défi est d’ores et déjà énorme pour le nouveau président et l’on se demande si sa seule volonté suffira pour opérer le changement tant attendu. En tout cas, ce dernier que l’on présente comme une personnalité un peu trop carrée sur les bords, est appelé à faire ses preuves. Robocop, pour faire référence à son surnom d’homme rigide, sera-t-il alors à la hauteur de la tâche ? On attend de le voir à l’œuvre. Mais s’il ne fait pas de doute que cet enseignant universitaire réputé pour sa rigueur et sa droiture, a le profil de l’emploi dans cette Tunisie en pleine transition démocratique et qui s’est fait forte d’un vote-sanction contre l’ancienne élite dirigeante, l’on ne peut s’empêcher de se demander si les Tunisiens seront réceptifs à la rigidité qui fait la réputation du nouvel élu ou si ce dernier sera amené à faire parfois entorse à ses propres principes en faisant preuve de souplesse dans la conduite de ses compatriotes. Pour sûr, c’est un locataire atypique qui s’établira bientôt au palais de Carthage, d’autant plus que dans la foulée des résultats officiels qui ne devraient pas tarder à tomber, la prestation de serment du nouveau président est attendue le 30 octobre prochain.
Au moment où la Tunisie amorce ce nouveau virage, son exemple pourrait faire des émules, à commencer par ses voisins algériens
Arrivé à la tête de l’Etat sans parti politique et sans députés à l’Assemblée nationale, cet à une véritable expérience inédite que se livrera ce nationaliste arabe musulman au sommet de l’Etat tunisien. Aura-t-il les coudées franches pour mener son action selon son entendement et selon sa vision ou bien se trouvera-t-il, au milieu du gué, quelque peu l’otage de ses alliés de circonstance, en l’occurrence Ennahdah qui demeure la première force politique du pays avec le plus grands nombre de députés et dont le soutien a été certainement déterminant dans le sacre du nouveau président ? Quoi qu’il en soit, ce premier mandat de Kaïs Saïed ne s’annonce pas comme une sinécure et c’est peu de dire qu’il est attendu au pied du mur. D’abord par la jeunesse de son pays qui l’a porté au pinacle et qui nourrit légitimement de fortes attentes. Ensuite par la vieille garde politique de son pays que l’on imagine toujours à l’affût, enfin par les partenaires internationaux qui attendent de jauger le visage de la diplomatie tunisienne à l’aune de la personnalité et du charisme du nouveau président. En tout état de cause, au moment où la Tunisie amorce ce nouveau virage dans la continuité de sa révolution qui a balayé le régime dictatorial du président Ben Ali, son exemple de transition plutôt réussie dans les urnes, pourrait faire des émules sur le continent. A commencer par ses voisins algériens qui cherchent eux aussi à tourner définitivement la page d’une dictature vieille de plusieurs décennies. Sauront-ils s’engouffrer dans la brèche pour obtenir le changement tant attendu ? On attend de voir.
« Le Pays »