HomeA la uneVISITE DE LA MINISTRE FRANÇAISE DE LA JUSTICE EN RCI : Taubira pourra-t-elle percer les mystères de la Justice ivoirienne ?

VISITE DE LA MINISTRE FRANÇAISE DE LA JUSTICE EN RCI : Taubira pourra-t-elle percer les mystères de la Justice ivoirienne ?


 

La ministre française de la Justice, Christine Taubira, achève aujourd’hui une visite de trois jours aux bords de la lagune Ebrié. Au menu des échanges qu’elle a eus depuis le début de son séjour avec les autorités ivoiriennes, figurent en bonne place et en toute logique, les questions de coopération judiciaire. Comme il fallait s’y attendre, cette visite remet au goût du jour deux dossiers emblématiques. Il s’agit des affaires Stéphane Frantz Di Rippel et Guy André Kieffer. Pour rappel, Di Rippel était un expatrié français, patron de l’hôtel NOVOTEL en Côte d’Ivoire, qui a été enlevé et assassiné avec trois autres personnes en 2011. Quant à Guy André Kieffer, alors journaliste franco-canadien, il séjournait en Côte d’Ivoire dans le cadre d’une enquête sur la filière café-cacao quand il a disparu sans laisser de traces en 2004.

La soif légitime de vérité n’a pas encore été satisfaite

Ces deux dossiers ne connaissent pas le même niveau d’avancement en ce qui concerne leur instruction. En ce qui concerne l’affaire Rippel, l’avocat de la défense dit avoir reçu l’assurance que « l’instruction est quasiment terminée » et que le dossier est en instance d’être jugé et le sera certainement cette année. On peut donc dire, à ce niveau, qu’il y a une lueur d’espoir que la vérité soit dite dans ce dossier. Mais, on ne peut pas en dire de même de l’affaire Guy André Kieffer. En effet, cette affaire est des plus complexes. Outre le fait que la disparition mystérieuse du journaliste   s’est produite dans une période trouble de l’histoire de la Côte d’Ivoire, il y a trop peu d’indices à même d’aider à la manifestation de la vérité. Certes, il est dit que la disparition du journaliste est intervenue après un rendez-vous avec Simone Gbagbo. On sait également qu’elle est intervenue à un moment où les « escadrons de la mort » sévissaient en Côte d’Ivoire, notamment à Abidjan.

On peut donc raisonnablement dire que le régime Gbagbo a une responsabilité, ne serait-ce que morale dans cette disparition. Ce régime avait la responsabilité de la sécurité dans le pays. Il ne l’aura pas assurée et pire, il n’aura rien fait pour mettre ces escadrons de la mort hors d’état de nuire. Les enquêtes sur l’affaire Rippel évoquent des tortures qu’ils auraient subies dans le palais de Laurent Gbagbo. Tout cela fait peser sur le défunt régime, beaucoup d’accusations et de suspicions. L’ancien garde du corps de Simone Gbagbo, Séka Séka, est également cité dans le dossier Kieffer. Et la famille du journaliste aurait bien aimé que ce garde du corps et son ancienne patronne soient au moins mis en devoir de fournir les éventuelles informations qu’ils auraient sur cette disparition. Mais, cette soif légitime de vérité n’a pas encore été satisfaite. Et ce, en dépit de la chute du régime Gbagbo et de l’avènement du régime Ouattara en Côte d’Ivoire.

Il faut bien avouer qu’il n’y a pas encore de piste fiable pour la manifestation de la vérité dans ce dossier. Il y a eu, depuis, des témoignages contradictoires sur cette affaire, qui ont fragilisé un tant soit peu les indices menant à certaines personnes. Les multiples recherches pour mener au corps de Guy André Kieffer sont restées également infructueuses. Ce ne sont pourtant pas les initiatives qui auront manqué. Même des tombes ont été profanées dans l’espoir de retrouver ce corps. Hélas, le mystère reste entier. C’est comme si le journaliste s’était volatilisé, sans laisser la moindre trace. Le fait que même le nouveau régime en Côte d’Ivoire n’a pas encore pu lever le voile sur cette sombre affaire, témoigne de la complexité du dossier. On a affaire à une sorte d’enquête impossible. La disparition est tellement couverte de mystères qu’on se perd en conjectures sur ce qui est vraiment arrivé. Une affaire qui n’est pas sans rappeler l’affaire Ben Barka, du nom de cet homme politique marocain, enlevé le 29 octobre 1965 à Paris et dont le corps n’a, jusque-là, pas été retrouvé.

Il y a d’énormes doutes sur la détermination et la capacité des autorités françaises à œuvrer dans le sens de l’éclatement de la vérité

Sur cette affaire Kieffer particulièrement, on se demande bien ce que pourrait bien apporter la visite de la ministre française de la Justice dans la manifestation de la vérité tant attendue. Taubira pourra-t-elle percer les mystères de l’affaire Kieffer ? On veut bien l’espérer. Mais, la situation ne pousse guère à l’optimisme. Il y a trop de zones d’ombre et la pression diplomatique dans ce genre d’affaires a également ses limites. Certes, les Occidentaux, contrairement aux Africains, ne plaisantent pas en ce qui concerne la vie de leurs citoyens. Les dirigeants occidentaux sont obligés de se démener quand un seul de leurs compatriotes a des soucis à l’extérieur. Ces efforts sont aussi une exigence de leur opinion publique. Chez eux, l’inactivisme d’un dirigeant ne se pardonne pas en la matière.

La crainte est que la visite de Christiane Taubira ne soit juste de la poudre aux yeux, une façon de faire croire à l’opinion française que les autorités se battent pour l’aboutissement de ces dossiers judiciaires, alors que pas grand-chose ne se fait.

Toujours est-il qu’il y a à craindre que Paris, pour des raisons d’intérêts bien évidents en Côte d’Ivoire, ne veuille pas mettre la pression politique nécessaire sur Abidjan pour qu’elle prenne toutes les dispositions afin de permettre à la Justice d’explorer au moins toutes les pistes, si ténues soit-elles, dans le dossier Kieffer notamment. Car, comme on le sait si bien, la justice en Afrique est généralement sous la coupe des princes régnants qui lui donnent les moyens de travail selon leur bon vouloir et au gré de leurs intérêts partisans. La France peut avoir à cœur de ne pas froisser le régime ivoirien en lui disant que les choses n’avancent pas vraiment au rythme souhaité dans le jugement de l’affaire Ripper et dans l’instruction de l’affaire Kieffer. Surtout que tout le monde est d’accord qu’en ce qui concerne l’affaire Kieffer, la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui ne dispose pas de beaucoup de leviers qu’elle pourrait actionner.

Certes, Christiane Taubira a indiqué que l’affaire n’est pas close et qu’elle veillera, de concert avec son homologue ivoirien, à ce qu’il n’y ait pas d’entrave à la procédure judiciaire y relative. Mais, le fait de n’avoir pas associé la famille de Guy André Kieffer, ne serait-ce qu’en la tenant informée de sa visite, ne fait qu’alimenter le pessimisme et les suspicions. Il y a d’énormes doutes sur la détermination et la capacité des autorités françaises à œuvrer dans le sens de l’éclatement de la vérité. Associer la famille de Kieffer, la tenir informée de ce voyage, aurait rassuré cette famille et se serait présenté  davantage comme une marque de considération à son égard. Si elle l’avait rencontrée, la famille du journaliste disparu aurait pu exprimer à Taubira ses attentes. Simple omission ou choix conscient, la non-prise en compte de cette famille n’est pas de nature à calmer les esprits de ceux qui vivent la douleur d’avoir perdu toute trace de leur parent et ami, sans qu’on puisse leur dire jusqu’à ce jour que le bout du tunnel est proche.

« Le Pays »


Comments
  • J’espère que cette Christine Taubira ne voudra pas pousser la provocation jusqu’à venir au Burkina. Rien que sa présence parlera déjà de façon désagréable aux Burkinabé.

    12 juin 2015

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